Tendances Recrutement 2020
Selon une étude IBB Institute, plus de 55% des entreprises marocaines envisagent d’accélérer leur rythme d’embauche dans les 3 à 5 années à venir.Si le constat a de quoi surprendre à l’heure du ralentissement de la croissance économique et d’un taux de chômage pas très conciliant, il n’en reste pas moins intéressant de relever que la pénurie des talents reste aux yeux des recruteurs le principal frein à leur développement. Explications de l’étude de Think, intitulée «Croissance, Les Talents en jeu».
55%. Ce chiffre est une surprise. Une agréable surprise. Selon les principaux résultats de l’étude de l’IBB Institute* réalisée en 2019,55% des entreprises prévoient d’accélérer le rythme des recrutements dans les 3 à 5 ans à venir, et 40% des entreprises prévoient une stagnation des recrutements; ce qui signifie qu’elles poursuivront les embauches à un rythme identique aux années passées. Objectif : faire face aux besoins en compétences techniques et humaines nécessaires à la concrétisation de leurs projets stratégiques, les entreprises cherchent à renforcer leurs équipes.
Second résultat, celui-là aussi relativement étonnant: la rareté des compétences et la concurrence du marché sont considérées par la plupart des entreprises comme les principales menaces au développement de l’entreprise, et ce beaucoup plus que l’incertitude économique, les difficultés de trésorerie ou encore l’économie informelle. C’est dire à quel point, les tensions engendrées par la problématique du recrutement sont fortes, d’autant plus que désormais la compétence s’avère, plus que par le passé, un avantage concurrentiel indéniable.
Mais avouez qu’à l’heure de la multiplication des initiatives publiques et privées pour promouvoir l’auto entreprenariat ou l’entreprenariat tout court, faute d’offres d’emploi, l’argument de la rareté des compétences a de quoi surprendre ; même si certains, et ils n’ont pas à tous les coups torts, pointeront du doigt l’inadéquation entre l’offre et la demande.
«Nous n’y sommes pour rien»
La rareté des candidats, la forte concurrence sur les mêmes profils et rémunérations élevées sont les principaux motifs anticipés par les entreprises pour expliquer leurs difficultés à recruter.Pour 66% des entreprises interrogées, c’est d’abord la rareté des compétences techniques et/ou des qualités humaines recherchées qui est mise en cause. Vient ensuite la forte concurrence sur les mêmes profils pour 59% des entreprises, sans oublier le sempiternel argument des patrons qui pestent contre des rémunérations élevées et ceci pour 56% du panel. Évidemment, ces assertions sont étayées d’arguments plus ou moins solides.
On y trouve pêle-mêle l’insuffisance du nombre de cadres hautement diplômés en regard des besoins des entreprises, l’inadéquation entre la formation des cadres et les besoins des entreprises sur le plan des soft skills et de certaines expertises techniques ; la faible maîtrise des langues étrangères,…mais aussi la fuite des cerveaux se traduit par un retour insuffisant de la diaspora marocaine et par le départ de cadres marocains vers l’étranger ; le nécessaire besoin des entreprises, notamment marocaines, d’élever le niveau d’encadrement, les a conduites à recruter des cadres de haut niveau, en proposant des rémunérations incitatives en décrochage par rapport aux pratiques habituelles, sans compter le besoin de consommation grandissant et le renchérissement du coût de la vie (logement, scolarité, transports, santé, prévoyance, loisirs/voyages…), qui font que les attentes salariales des candidats augmentent, poussant les entreprises à s’aligner pour attirer puis fidéliser. Évidemment les charges salariales, notamment fiscales et sociales, sont également un facteur explicatif de la hausse des rémunérations selon les entreprises.
Alors qu’il s’agit là de motifs exogènes, la plupart des entreprises estime que leurs pratiques internes ne constituent pas un motif de difficulté à part entière.
Mais elles sont peu nombreuses à estimer que leurs pratiques internes, telles que l’allongement des délais de recrutement, le manque de moyens pour recruter ou encore la difficulté à définir le besoin constituent également de sérieux motifs de difficultés (cf encadré : interview Hicham Zouanat). «Or, notre expérience montre que bon nombre d’entreprises ne disposent pas d’une organisation appropriée facilitant les recrutements et que les difficultés sont également liées à des causes propres à l’entreprise», affirment les auteurs de l’étude.
Portrait-robot du «Candidat Idéal» 2020-2025
Quoiqu’il en soit, une chose semble plutôt inéluctable : pour mettre en œuvre leurs projets, les entreprises, notamment marocaines, envisagent d’accélérer le rythme des recrutements dans les 3 à 5 ans à venir.
Si vous voulez mettre toutes les chances de votre côté pour réussir à décrocher un job, voici les prérequis idéaux. D’abord, il vaut mieux viser les fonctions commerciales. Car qu’il s’agisse de renforcer ses équipes ou d’évaluer les fonctions déterminantes quant à la réalisation des feuilles stratégiques des entreprises, cette fonction semble mettre tout le monde d’accord ; entreprises marocaines comme multinationales.
En effet, 68% des entreprises estiment qu’il s’agit d’une fonction clé compte tenu des projets de développement, de la concurrence accrue, de la pression sur les prix et de la nécessité de renforcer les parts de marché. Mais si «le commercial» c’est vraiment pas votre truc, vous pouvez également viser le Digital ou la Production (tous 2 dans le top 3 des fonctions déterminantes).Par exemple, 63% des entreprises jugent indispensable la fonction Digitale pour mettre en œuvre efficacement les projets de transformation. Toutefois, des fonctions qui couvrent la PMO/ gestion de projets ou encore la Stratégie/ Développement, sont également citées comme des fonctions à renforcer. Cependant, il faut tout de même nuancer ces résultats. Les entreprises envisagent de renforcer prioritairement les fonctions juridique (73%), supplychain (71%),marketing et communication (65%), PMO et gestion de projets (64%), finance (63%), RH (59%)et IT (53%). Autrement dit, fonction déterminante et à renforcer ne sont pas toujours synonymes, bien au contraire…
Ensuite en matière soft skills, ce sont les «meneurs» et les «développeurs» qui sauront le plus séduire les recruteurs. Entendez, vous serez mieux loti si vous avez du leadership (85%)à revendre, que vous êtes plutôt doué en matière de conduite du changement (81%), du moins il ne faudrait absolument pas y être réfractaire, et que cerise sur le gâteau vous êtes orientés client (79%). Adressez-vous plutôt aux secteurs des IT/Télécom (85%), des services (64%),de la distribution (58%)ou encore de l’industrie (57%) dans lesquels les entreprises envisagent plus que dans les autres secteurs d’accélérer leurs recrutements.
Et pensez, en tête de liste des entreprises à approcher, aux entreprises marocaines qui envisagent d’accélérer le rythme d’embauche alors que les multinationales elles sont dans une approche d’optimisation avec dans le meilleur de cas une stagnation du nombre d’embauches : 67% des entreprises marocaines envisagent une accélération du rythme des recrutements contre seulement 45% de multinationales.
Soumayya Douieb
*IBB Institute est le centre de recherches de IBB – Executive Search. IBB – Executive Search est un cabinet de conseil en recrutement par approche directe de dirigeants et de cadres supérieurs. L’étude Think a été réalisée entre mars et mai 2019, à travers un questionnaire en ligne auquel ont répondu 101 participants.
Concernant la constitution de l’échantillon, même si les Directeurs RH sont plus nombreux (60%) à avoir participé à l’étude, la contribution des Présidents, Directeurs Généraux ou Secrétaires Généraux (40%) est élevée, ce qui révèle le caractère stratégique accordé par ces décideurs à la thématique étudiée.
La répartition sectorielle de l’échantillon rappelle la structure du secteur privé marocain. Même si les entreprises IT/ Telecom (7%) et BTP/Immobilier (5%) ne sont pas aussi nombreuses dans le panel que celles des autres secteurs, ce sont des acteurs majeurs de leurs secteurs respectifs. Les répondant sont issus à 26% de l’Industrie, à 19% des FMCG, 16% du secteur de la Finance/ Conseil, 14% de la distribution et 13% des services. Les entreprises marocaines (45%) et les filiales de multinationales implantées au Maroc (55%) sont bien représentées.
Hicham Zouanat: «il faudrait que les entreprises commencent par faire leur Mea Culpa»
«Pour éviter la langue de bois et parler en toute transparence, il faudrait que les entreprises commencent par faire leur mea culpa en reconnaissant que les difficultés rencontrées dans les recrutements s’expliquent davantage par des facteurs endogènes à l’entreprise que par des facteurs exogènes. Pis encore, ces derniers sont, en grande partie, le fruit de la pression exercée par ces mêmes entreprises dans un marché de l’emploi marocain étroit. ce marché du travail ne peut réagir que par le jeu de l’offre et de la demande pour s’auto-réguler.
Les facteurs endogènes à l’origine des difficultés rencontrées en matière de recrutement peuvent être résumés en quatre principaux:
Un manque d’anticipation dans la formalisation des besoins en recrutement (hauts potentiels, ressources clés, compétences pointues, etc.). Pour recruter, les entreprises préfèrent s’y prendre toujours à la dernière minute en se focalisant sur l’acquisition de ressources «plug & play» opérationnelles dès le premier jour.
Des rémunérations souvent décalées par rapport aux tendances du marché et non fondées sur une ingénieurie pour définir les niveaux et pratiques de rémunération.
Une gestion des talents encore embryonnaire, qui ne permet pas d’attirer, et encore moins de développer ou de fidéliser les talents.
Une image «employeur» qui contraste avec celle diffusée par les salariés, qui sont les premiers ambassadeurs de cette image à l’extérieur de l’entreprise.
Il existe néanmoins d’autres facteurs exogènes qui peuvent aussi expliquer, en partie, les difficultés rencontrées par les entreprises dans le recrutement, et qui sont notamment:
La rareté des compétences qui est le reflet d’un marché intérieur encore en voie de structuration pour combler le cruel manque d’encadrement que connaissait le Maroc il y a quelques décennies. Dans ce contexte, les pressions exercées par les marchés extérieurs tels que le Moyen orient, l’Europe et le Canada sur les candidats marocains exacerbent la tension sur le marché local.
L’atomisation des cabinets de recrutement, compte tenu des faibles barrières à l’entrée de ce métier qui a pour rôle de jouer l’intermédiaire entre l’offre et la demande. Et les pratiques contraires à l’éthique de certains d’entre eux amplifient la pression sur les candidats.
Enfin les pratiques RH «hasardeuses» restent une cause non négligeable de cette guerre des talents sur le marché local.
Hicham Zouanat: (Directeur Exécutif en charge de RH , Corporate Affairs et Développement Durable de NABC pour le Maroc et la Mauritanie)
**Interview extraite de l’étude IBB Institute