Dr Imane Kendili, psychiatre-addictologue
Propos recueillis Par Abdelhak Najib
Face au confinement, de nombreuses personnes accusent le coup et vivent très mal cette situation. Peur, angoisse, anxiété, dépression, frustration, manque… D’où l’importance d’en savoir plus sur les effets de la quarantaine sur la santé mentale des Marocains. Le point sur cette situation avec Dr Imane Kendili, psychiatre-addictologue. Entretien.
Rester confiné peut engendrer certaines peurs voire des angoisses et des dépressions?
Vous savez, décider de rester chez soi pour se reposer ou vaquer à certaines occupations relève du choix personnel de chaque individu. Par contre, le confinement qui est aujourd’hui une nécessité sanitaire absolue, ne relève guère du choix. Il est imposé par les autorités pour des raisons sanitaires très graves. Nous sommes en quelque sorte entre quatre murs, emprisonnés et condamnés à vivre avec soi et avec les siens. Ce qui veut dire que nous sommes face à nous-mêmes sans aucune possibilité de fuite dans la routine du quotidien.
Cela suppose aussi des risques de succomber à des dépendances tels que l’alcool, la cigarette et d’autres drogues plus dures?
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous sommes culturellement un peuple à consonance sociale. Nous aimons être ensemble et en groupes. On se touche, on s’embrasse, on partage avec les autres, on parle beaucoup et on n’aime pas être seuls.
Toute la difficulté est là. Car toutes les formes d’addictions ou de plaisir immédiat vont surgir à cause de la peur de l’Autre avec un grand A. Sans oublier la recherche de la compensation avec une grande consommation de sucre et de gras, à cause du grignotage et de ce que la récompense affective de la nourriture peut engendrer comme excès. Ce sont là des peurs ressenties rapidement. On a peur de manquer de ce que l’on pourrait appeler le « sein maternel » premier. D’où la régression au stade oral primal. On se rue alors sur les denrées alimentaires et on s’emplit le ventre de manière compulsive.
Les personnes ayant déjà un souci de consommation de tabac, de cannabis ou d’alcool vont entrer dans une sorte de sevrage forcé à l’aveugle pour certains (les fumeurs étant plus à risque que les non-fumeurs). Certains vont, au contraire, augmenter leur consommation pour palier d’autres manques et essayer de composer avec les angoisses et la peur. Il faut aussi souligner que la livraison d’alcool à domicile n’aide pas du tout en ces temps anxiogènes et peut générer de nouveaux maux qui se ressentiront après le confinement.
On peut aussi parler de l’impact du manque de contact avec l’extérieur et avec les proches?
L’impact est immédiat. D’abord, le sentiment de solitude, la sensation du vide et l’angoisse. Si les plus résilients stressent, les plus fragiles ressentent plus de crises d’angoisse, auront plus de problèmes d’insomnie, d’irritabilité et d’impulsivité. On peut également noter des effets de décompensation psychiatrique : théories du complot, paranoïa, déni, dépression, stress aigu laissant prévoir l’explosion des états de stress post traumatique dans six mois.
Quel est votre conseil pour gérer le stress?
Il faut sublimer avec des choses belles et efficaces qui nous font beaucoup de bien. La musique, l’écriture, la lecture, le dessin, la cuisine, la peinture, la pâtisserie, la poterie, le sport à domicile, une activité physique régulière qui peut être le jardinage, la marche, la danse… On peut aussi méditer. Mais le plus important est d’éviter les excitants, cela va de l’excès de café aux drogues, en passant par le tabac à outrance et l’alcool.
Peut-on tomber dans la dépression à cause du confinement?
Ce qu’il faut savoir est que les affects anxieux et dépressifs peuvent apparaitre sans avoir d’antécédents. Nous sommes là face à une sorte de situation de guerre sanitaire. Cela implique de nombreux paramètres psychologiques très profonds. Ceci dit, le postulat de base reste le même : On a peur pour sa vie. Et nous sommes obligés pour des raisons de sécurité de nous enfermer. Sauf qu’il n’y a aucun ennemi visible. L’ennemi est invisible et il se balade dans l’air. La peur est donc plus grande et les effets plus forts. C’est vous dire toute la situation anxiogène terrible que les uns et les autres traversent en ce moment.
Il y a aussi le flux des informations en continu qui génère du stress et de la peur?
Tout à fait. Mais nous n’avons pas besoin d’être aux aguets pour lire tout ce qui est publié ou posté sur les réseaux sociaux. Il faut se protéger contre ce type de flux en continu. Chacun de nous peut prendre 10 min pour s’informer. 10 minutes par jour, c’est largement suffisant pour ne pas rester dans l’attente du pire et dans l’angoisse. Passer son temps sur les réseaux sociaux ne rime à rien. C’est là une toxicité gratuite que nous transmettons à nos enfants et notre entourage. Au contraire, il faut savoir raison garder et ne pas céder à l’intox et aux Fake news en les partageant et les propageant. Il faut se concentrer sur soi, sur le bien que l’on apporter au sein de la cellule familiale pour passer des instants de qualité durant ce confinement.
Certains peuvent aussi tomber dans la somatisation à cause de la peur de la maladie et les effets du confinement?
Oui, on peut développer des manifestations hypocondriaques ou développer des TOCS. Cela peut plus toucher certaines personnes avec des fragilités psychologiques. D’autres apprendront le civisme, le sens de la responsabilité communautaire et l’hygiène en se lavant plus, en prenant soin de leur santé et en respectant des règles basiques du vivre-ensemble.
Pour certains, la peur peut aussi se transformer en traumatisme?
Un stress aigu comme celui que nous vivons aujourd’hui peut générer un stress post traumatique (c’est cliniquement et statistiquement connu). Six mois plus tard, on peut montrer des signes de traumatisme avéré, selon les critères diagnostics. Il faut aussi préciser que certaines formes de décompensations peuvent apparaitre pour des personnes déjà suivies ou avec des fragilités non déclarées. Ce qu’il faut savoir, c’est que la peur fragilise. Elle fait baisser l’immunité et peut avoir des conséquences dramatiques. Les sorties inconscientes de Tanger, de Salé et de Fès en sont la parfaite illustration.
Est-il envisageable de dépasser cette période très dure sans conséquences psychologiques?
On peut, mais il faut communiquer, il faut s’occuper sainement et surtout ne pas hésiter à consulter face à des crises d’angoisse, des troubles du sommeil ou d’autres symptômes déstabilisants. Nous devons aussi mettre en place des cellules d’écoute médico-psychologiques en amont pour aider les gens et éviter des complications d’ordre psychologique et psychiatrique.
Quelles sont les personnes les plus touchées par ce type de traumatisme?
D’abord, les enfants qui sont à protéger. Il faut leur parler en continu sans en faire trop ni dramatiser les choses. Sans obsession, non plus. Mais parler et expliquer la situation en toute clarté. Sinon, il n’y a pas de personne en particulier qui vont souffrir plus que d’autres. Il y a certes des facteurs favorisants et protecteurs et nous sommes tous sujets à accuser le coup. Mais il faut, comme je l’ai dit plus haut, savoir s’occuper, faire des choses qui subliment les angoisses, passer du temps avec soi, se retrouver dans la sérénité et d’apprécier ces moments de solitude pour se parler et faire le point dans le sens positif, s’entend.
Comment reconnaître une personne traumatisée?
Le diagnostic reste clinique et médical. Ce qu’il faut savoir, c’est que le mot traumatisme peut avoir de nombreuses définitions. Mais un changement de comportement, une peur persistante, des cauchemars, des insomnies, des pleurs, des difficultés respiratoires, la sensation d’avoir une boule dans la gorge… face à ce type de symptômes, il ne faut pas hésiter à consulter, même par téléphone pour en savoir plus et en avoir le cœur net.
Comment parler aux enfants ? Comment rassurer son entourage?
Les enfants absorbent les angoisses de l’entourage et ont besoin de se sentir en sécurité à la maison et de s’occuper, non pas face aux écrans toute la journée, mais en faisant de nombreuses activités ludiques comme la lecture, la musique, jouer avec des puzzles ou des jeux de patience ou alors, on peut les faire participer aux activités quotidiennes comme la cuisine, le rangement, le jardinage, le ménage pour qu’ils soient responsables. Il faut aussi savoir maintenir des rituels familiaux positifs, comme les repas en famille, regarder un film ensemble, faire des jeux de société ensemble, dessiner à plusieurs mains…