Un projet véreux mis en échec

Jardin du quartier Baladya de Casablanca

Mohamed Khalil

Alors que le pays est engagé dans un combat sans merci contre la pandémie, d’aucuns tentent d’en tirer profit pour mettre en exécution  des projets aux objectifs inavoués.

C’est ce qui allait se passer à Derb Baladia, à Derb Soltane Al Fida, où le bureau de la commune voulait détruire le petit jardin de la place, seul poumon de la proximité, pour en faire, au nom de la modernité, un souk ou marché et y déplacer les commerces d’en face, essentiellement composé de restaurants et de bouchers, dont les fonds de commerce sont convoités par les décideurs de la commune.

Tout allait se passer en catimini. Il y a moins de deux semaines, quand les habitants du quartier Baladia ont eu la fâcheuse surprise de découvrir une main d’œuvre étrangère qui voulait installer des caches autour du jardin, vieux de plus d’un siècle… N’eût été la vigilance et la mobilisation de la population et des commerçants qui ont investi les lieux, pancartes et slogans de protestation hissées haut et fort. Et les barricades disparaissent, témoins d’une décision scandaleuse qui mérite une enquête approfondie.

Selon les riverains, le conseil communal aurait pris cette décision depuis longtemps. Mais face au travail d’entretien effectué par la population, devant la démission totale des élus locaux, l’on voulait « encercler de toiles de zinc le jardin pour en interdire l’accès aux volontaires et aux personnes qui y prennent du repos, en ces temps de confinement.

Un petit poumon de proximité

Sur toutes les lèvres, les mots «voleurs» «criminels» «assassins» fusent.  Ils démontrent ce divorce irrévocable entre la population et ceux qui, depuis des lustres, ne font que se servir au lieu de servir les citoyens, en profitant d’une gestion, à la manière d’une ferme personnelle, d’une commune complètement délaissée et où, seuls, les projets fonciers et immobiliers ont voie de cité.

Et pourtant, le quartier Baladya est connu pour ses vieilles constructions, vétustes qui résistent encore à l’usure du temps, et par le taux le plus élevé, au niveau de Casablanca, de la tuberculose et de l’asthme, dus au manque d’aération dans les maisons.

Le petit jardin, aujourd’hui sous la menace de la « maffia de l’immobilier » (il n’y a pas de fumée sans feu.. !), représente, depuis belle lurette, un espace de «fugue» de chez soi et de détente, une échappatoire aux dures conditions de vie et d’habitation dans des lieux de grande sinistrose.

C’est connu la préfecture de Derb Soltane Al Fida détient le triste record de la plus grande densité au niveau de la capitale économique, avec une densité des plus élevées (629 habitants par hectare, sur une moyenne casablancaise de 400 habitants par hectare.

Il est vrai que cette commune, en contradiction totale avec le progrès et l’indispensable modernisation des lieux, ne voit que le côté pécuniaire des projets et ce que l’on pourra en tirer comme dividendes personnelles. C’est connu. La grande tendance est de refaire les constructions R+1 ou 2 en mettant des commerces au rez-de-chaussée…

Aussi ce genre de contournement d’espaces verdoyants est convoité par les promoteurs immobiliers. Le conseil de cette commune est aussi réputé pour être à leur service.

Nous l’avions vu avec ce qui allait se passer avec le siège de l’ancienne Régie des Tabacs, tant convoitée  par les marchands de béton qui voulaient en faire un R + 5… Là encore, il faudra dire que c’est grâce à Khalid Safir, gouverneur à l’époque à Derb Soltane Al Fida, qui s’était sereinement mais farouchement opposé au projet qui voulait détruire jardins et terrains de sport pour satisfaire des appétits de promoteurs et d’élus qui guettent les occasions pour s’enrichir.

Les élus ont cette chance que les habitants de leur quartier, à l’instar d’autres lieux populaires, ont acquis cette culture de l’environnement et rivalisent entre eux.

Car si ce jardin a survécu, en tant qu’espace verdoyant, c’est grâce à cet engagement citoyen complètement désintéressé et loin de tout soutien communal ou national.

Hélas, nous sommes en plein décalage avec ceux qui gèrent la commune.

A l’heure des smart city

L’inconscience voulait que l’on massacre ce lieu de notre mémoire, théâtre de tant de «halka» et de personnages artistiques (Ah Kachbal et Zéroual et d’autres qu’ils reposent en paix) et de boxeurs …) que cette place a retenus en mémoire…

Jadis, des habitants avaient pris l’habitude d’y passer une bonne partie de la nuit pour rentrer dormir chez eux, pour céder la place aux diurnes avides d’oxygène et de calme.

A l’heure où l’on parle des smart city (Ah COP mon amour…), ce genre de pratiques, enfouis dans une non communication aux concernés (ni panneau d’information ni avis au public !), les élus qui ont entériné ce projet devraient avoir honte. Beaucoup plus, ils devraient être soumis à une enquête minutieuse pour répondre de leur crime.

Top