Par Safaa Abou El Houda (MAP)
Privée de sa raison d’être, à savoir la couverture et le commentaire des compétitions sportives, la presse spécialisée, au Maroc comme ailleurs, se démène, depuis plusieurs mois, pour garder la tête hors de l’eau, au risque d’être emportée par le torrent du nouveau coronavirus (covid-19).
Au creux de la vague durant le pic de la pandémie, les rédactions sportives ont commencé même à poser des questions existentielles sur l’avenir de la profession, au regard des pronostics très pessimistes de certains experts à la lumière desquelles il a semblé, un moment, qu’on était plus proches de l’annulation de toutes les compétitions que d’un retour sur les terrains.
Les craintes se sont relativement apaisées depuis la reprise des grands championnats européens et de la prestigieuse Champions League, à la faveur de l’accalmie de la pandémie dans le Vieux continent et de la prise de conscience qu’une année blanche serait fatale pour un écosystème qui emploie des dizaines de milliers de personnes et génèrent des sommes astronomiques nécessaires à la survie des clubs.
Au Maroc, les reporters sportifs ont poussé un long soupir de soulagement après la décision des autorités compétentes d’autoriser la reprise des rencontres de la Botola Pro, même si le taux d’adrénaline est resté faible, du fait de ne pas pouvoir être aux abords du tapis vert et sur les bancs des salles de conférence.
Pour le journaliste de la station «Atlantic Radio», Karim Dronet, on parle au minimum d’une perte de 30 à 50% des recettes publicitaires. Cette crise aura aussi des répercussions sur la santé financière des clubs, notamment ceux du football car les droits TV représentent jusqu’à 70% de leur budget.
Ajouter à cela l’absence des recettes guichets, puisque les matches sont programmés à huis clos. C’est tout l’écosystème du sport qui se trouve aujourd’hui impacté.
Du côté des médias, la stratégie de rediffusion des des matches, adoptée pour éviter l’écran noir, ne pouvait pas attirer les annonceurs publicitaires dont les budgets se sont réduits comme une peau de chagrin, a-t-il fait remarquer.
Par conséquent, poursuit M. Dronet, les tarifs des écrans publicitaires ont chuté de manière importante, ce qui ne permet plus aux chaînes de couvrir les frais engagés pour l’achat des droits exclusifs des prestigieuses compétitions.
Il reste, néanmoins, optimiste pour la suite des événements. Il veut pour exemple le championnat allemand, dont la reprise, même à huis-clos, a généré de bonnes retombées, notamment en termes d’audience. En effet, pour le choc Dortmund-Schalke, disputé en mai dernier, on a comptabilisé près de 3,7 millions de téléspectateurs, soit plus du double du score habituel pour une rencontre diffusée dans l’après-midi.
Le journaliste à «Arryadia», Mohamed Bentabet, précise que les droits de diffusion de l’unique chaîne spécialisée au Maroc n’ont pas été affectés, puisqu’ils dépendent entièrement du produit local dont elle a les droits exclusifs.
D’après lui, il est difficile de parler de solutions réalistes puisque la plupart des expériences suivies dans plusieurs pays n’ont pas abouti, y compris les matches à huis clos, ce qui a eu un impact négatif sur le niveau de performance des joueurs mais aussi sur le niveau techniques des matches.
De plus, poursuit-il, la presse écrite a été contrainte de passer en mode digital, en investissant dans tout un arsenal de moyens coûteux pour réaliser ce changement et qui n’a contribué qu’à la baisse de la vente des journaux papiers, puisque la presse électronique reste gratuite pour les lecteurs.
Pour le journaliste au quotidien «Assabah», Abdelilah Mouttaki, l’impact premier de cette crise sanitaire est directement lié à la psychologie du journaliste, car ce dernier, comme tout autre citoyen, a des obligations personnelles mais aussi professionnelles qui s’entremêlent.
«Dans la situation actuelle, sa profession est menacée. A ceci, s’ajoutent d’autres problèmes, comme le changement de méthode de travail lors d’une couverture médiatique et le recul d’intérêt des gens pour le sport», fait-il observer.
Il se veut plus pessimiste en insistant sur le fait que «le sport ne vaut rien sans les supporters et des sponsors stables capables de contribuer au financement et il devient donc nécessaire, en ces moments de crise sanitaire, de simplement mieux gérer le domaine du sport pour s’en sortir avec un minimum de dégâts».
Dans une projection dans l’avenir, Karim Dronet pense que «2021 ne s’annonce guère mieux car, même si les calendriers des compétitions sont maintenus, il n’est pas dit que les annonceurs et les sponsors revoient à la baisse, d’au moins 30%, les contrats négociés avec les diffuseurs». Un quart de la recette totale des droits TV serait également concerné.
Les diffuseurs réfléchissent encore à un nouveau modèle de développement et à de nouveaux contenus pour pallier un éventuel reconfinement et une deuxième vague du nouveau coronavirus, renchérit-il.
Selon le même commentateur, les offres Over The Top (OTT), qui permettent à un club de proposer directement aux téléspectateurs de suivre ses matches en direct via Internet en prépayé pourraient également se développer plus vite que prévu.
Reste maintenant à savoir comment se fera la répartition des droits TV et si les instances du sport mondial donneront leur aval à cette nouvelle forme de diffusion des événements sportifs.
L’impact économique du Covid-19 est déjà non négligeable pour la presse sportive, mais aussi pour les fédérations internationales et nationales, les clubs et les athlètes. Il va, certainement, falloir tout remettre à plat pour repartir sur de bonnes bases. D’ailleurs, c’est le cas pour la plupart des activités économiques, sociales et artistiques.