Il veut vite faire oublier Trump
Par Omar Achy (MAP)
Aussitôt déclaré président élu des Etats-Unis, le démocrate Joe Biden a vite détaillé les contours du vaste et ambitieux programme qu’il compte mettre en œuvre. Sa mission est pourtant loin d’être aisée, lui qui compte vite faire oublier son prédécesseur, tellement le pays reste divisé et en prise avec une multitude de défis complexes.
«Je m’engage à être un président qui rassemble et non pas qui divise», a d’emblée lancé l’ancien vice-président dans son discours d’acceptation, appelant les Américains à ne plus traiter leurs «opposants comme des ennemis».
Biden, 77 ans, a été déclaré vainqueur de la course à la Maison Blanche au bout d’une campagne longue et acharnée, marquée par la crise sanitaire du Covid-19, et hantée par un décompte des voix qui tient encore le pays en haleine. Le président républicain Donald Trump, refuse toujours de concéder la défaite et insiste pour porter la bataille devant la justice. D’influents leaders de son parti, dont le chef de la commission judiciaire du Sénat, sont venus à sa rescousse et crient, à leur tour, à la fraude. Ce nouvel épisode est le reflet d’un pays plus que jamais polarisé. Pour ses détracteurs, c’est bien Donald Trump qui a attisé les tensions durant son mandat. Face à la crise du coronavirus et ses conséquences économiques drastiques, et aux troubles sociales sur fond de racisme systémique, il a répondu, selon eux, par les divisions et les polémiques.
Pourtant, à la
faveur d’un taux de participation record, la moitié des électeurs américains a
voté en faveur d’un second mandant pour Trump, lequel a d’ailleurs dépassé le
record de Barack Obama, en recueillant plus que 70 millions de voix.
Certes, Joe Biden a raflé un plus large vote populaire et un nombre plus
important de grands électeurs déterminants dans le système américain. Il a
obtenu près de 75 millions de voix, un record historique, selon les derniers
chiffres.
Dans cette configuration, le 46ème président des Etats-Unis aura inévitablement à composer avec un Congrès divisé, ce qui n’est pas une mince affaire s’il entend mettre en œuvre ses ambitions économiques et sociales.
Décidé à afficher son leadership, Biden a vite dévoilé les grandes lignes de son programme d’action sur le site Web officiel de transition. Dès son premier jour dans le bureau ovale, après son investiture le 20 janvier prochain, il promet de démanteler l’agenda de son prédécesseur au niveau national et faire valoir son approche diamétralement opposée en politique étrangère. Sur sa plateforme, «build back better» (Mieux reconstruire), Biden et la vice-présidente élue, Kamala Harris ont défini quatre grands axes prioritaires: la lutte contre le Covid-19, la relance économique, l’équité raciale et le changement climatique.
«Une administration Biden-Harris, dont les jalons seront posés durant la transition, s’attèlera à assurer une reprise juste et équitable qui permettra l’émergence à nouveau d’une classe moyenne forte et inclusive et d’une économie tournée vers l’avenir», indique-t-on. En tête des priorités figure en effet la lutte contre le coronavirus à l’heure où les Etats-Unis, épicentre mondial de la pandémie avec plus de 236.000 décès, vivent au rythme d’une nouvelle explosion de cas. Le pays multiplie récemment les records avec chaque jour environ 120.000 nouveaux cas positifs au Covid-19.
Dans son discours de victoire, le président élu a promis un plan «élaboré sur une base scientifique … pour enrayer cette pandémie» dont l’ampleur risque de continuer à augmenter en cette période d’hiver et à l’approche des vacances. Jusqu’à sa prise de fonction officielle, il n’a pourtant aucune autorité pour agir bien qu’il met en place, dès ce lundi, sa propre cellule de travail sur le Covid-19, composée d’experts et de scientifiques.
Il a également promis que, dès le premier jour, il agirait rapidement pour installer un «commandant de la chaîne d’approvisionnement au niveau national» pour la fabrication des équipements médicaux, similaire au panel de production en temps de guerre crée par le président américain Franklin Roosevelt pour lutter contre la Grande dépression. Outre la promesse de la gratuité de tout éventuel vaccin, il compte aussi revenir sur le retrait américain de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) décidé en juillet par Donald Trump.
Pour relancer une économie pénalisée par la crise sanitaire, le futur président promet de dépasser l’impasse au niveau du Congrès et hâter l’adoption d’un nouveau plan de relance; créer de nouvelles opportunités économiques pour résorber le chômage; et restaurer les protections environnementales et les droits aux soins de santé. Dans le cadre de son plan, Biden entend venir en aide aux jeunes et aux cols bleus qui font le gros de la base électorale du parti démocrate de même qu’il entend privilégier les fournisseurs américains lors des grands projets d’infrastructures.
Le pays est confronté à un déficit abyssal. Le déficit fédéral a dépassé les 3 trillions de dollars au cours de l’année qui s’est terminée le 30 septembre et hantera Washington l’année prochaine.
A l’adresse de la minorité afro-américaine à laquelle il doit en grande partie son élection, Biden juge nécessaire de vastes programmes économiques et sociaux pour soutenir les minorités et faire face au racisme à l’origine du vaste mouvement de manifestations raciales qui ont frappé les États-Unis cette année. Un des piliers de son programme est de favoriser le soutien aux entreprises pour les minorités grâce à un fonds d’investissement de 30 milliards de dollars.
Dans le domaine
social, il a aussi promis de rétablir le droit des employés à se syndiquer, de
lutter contre la précarité et d’inverser, au cours de ses 100 premiers jours en
fonction, les politiques de Trump de séparation des enfants de migrants
clandestins de leurs parents à la frontière avec le Mexique, d’annuler les
limites du nombre de demandes d’asile et de mettre fin aux interdictions de
voyager en provenance de plusieurs pays à majorité musulmane.
M. Biden dit qu’il élargira le régime public d’assurance maladie adopté
lorsqu’il était vice-président de Barack Obama et mettra en œuvre un plan pour
assurer environ 97% des Américains.
Dans le domaine de politique étrangère, Biden s’est engagé à rompre avec le style tranché de son prédécesseur qui, au nom de «l’America first», a fondé ses rapports avec le reste du monde sur l’unilatéralisme bien qu’il manifeste une grande aversion pour les interventions militaires à l’étranger.
Fin connaisseur des arcanes de la diplomatie internationale, Biden est un pragmatique plus enclin au compromis et plus respectueux du multilatéralisme. Il a promis de revitaliser les liens entre Washington et ses alliés, notamment au niveau de l’OTAN mis à mal durant le mandat de M. Trump avec des réductions de financement, et de privilégier le consensus pour faire face à des défis communs, tels le réchauffement climatique qualifié de «menace existentielle».
A ce propos, il s’est engagé à réintégrer les Etats-Unis à l’Accord de Paris sur le climat en annulant le retrait acté par Trump. Il a à cet effet promis de réduire les gaz à effet de serre jusqu’à 28% d’ici 2025, sur la base des niveaux de 2005, en encourageant les investissements dans les énergies renouvelables à hauteur de 2000 milliards de dollars sur quatre ans.
Sur d’autres dossiers internationaux plus délicats, les observateurs ne s’attendent pas à un virage net sur le fond mas plutôt en terme de style. Il en est ainsi notamment au sujet des rapports tendus avec la Chine ou encore sur le conflit au Proche-Orient.
Aussitôt déclaré vainqueur, Biden a donné le ton de son mandat et définit ses priorités. Mais pour réussir un agenda aussi vaste qu’ambitieux, il aura inévitablement besoin de puiser fort de sa longue expérience politique, en tant que sénateur et ancien vice-président, pour transcender les profonds clivages internes et un ordre mondial davantage fragmenté par la crise.