Israël-Palestine : deux États ou un État commun ?

Point de vue

Par Mohammed Chraibi

Dans un article paru dans « Orient XXI » du 1er décembre 2023, sous le titre « Les États-Unis en panne d’une vision alternative », S. Cypel analyse la politique de soutien inconditionnel des États-Unis à Israël dans ses guerres contre les Palestiniens et conclut à l’absence de perspective pour la résolution de ce conflit qui dure depuis plus d’un demi-siècle, à laquelle cette politique a mené. Il écrit : « Bref, la perspective des deux États est aujourd’hui aussi peu plausible que celle d’un État commun. Les deux resteront impossibles tant que les États-Unis n’auront pas pris la décision d’obliger Israël à quitter définitivement, dans un délai rapide, les territoires palestiniens, nolens volens. C’est difficile ? Certes. Mais quelqu’un a-t-il une meilleure option ? ». S. Cypel avance là une solution au conflit israélo-palestinien, mais sans trop insister sur les chances de sa faisabilité. L’objet de cet article est de présenter quelques arguments en faveur de celle-ci.

Une solution difficile

La solution avancée est difficile, certes, mais moins utopique qu’il n’y paraît quand on se souvient de la « tempête du désert » qui a bouté l’Irak hors du Koweït qu’il avait envahi en août 1990. Pour rappel : après l’invasion du Koweït, une motion du Conseil de Sécurité de l’ONU (Résolution 660 du 9 août 1990) lui enjoignit alors de se retirer, et une nouvelle résolution (678 du 29 novembre 1990) posa un ultimatum à l’Irak de quitter le Koweït avant le 15 janvier 1991, tout en autorisant les États membres de l’ONU à utiliser tous les moyens pour faire respecter celui-ci. Se basant sur cette dernière résolution, une armée internationale sous la conduite des États-Unis obligea l’Irak à évacuer le Koweït.

Israël : une force d’occupation

Israël est dans une situation, sinon identique, du moins très proche : Israël a envahi et occupe depuis 1967 le territoire imparti à la Palestine en 1948 en violation de la résolution 242 du Conseil de Sécurité (22 novembre 1967) ordonnant son retrait immédiat et de la résolution 338 (22 octobre 1973) exigeant l’application immédiate de la résolution 242. Là où l’analogie des processus de résolution des deux conflits (Palestine d’un côté et Koweït de l’autre) s’arrête se situe dans l’absence de contrainte imposée à Israël de se conformer aux résolutions 242 et 338 de l’ONU, contrairement à la résolution 678 qui donne à l’Irak un délai pour s’exécuter, faute de quoi, il y serait contraint militairement.

Ce qui manque aux résolutions 242 et 338 pour être contraignantes pour Israël est la menace du recours à la force, on ne peut plus clairement exprimée dans la résolution 678 adressée à l’Irak. La question est alors de savoir s’il est envisageable qu’une coalition internationale mandatée par l’ONU repousse, manu militari, Israël hors des territoires qu’il occupe depuis 1967, qui comprennent, rappelons-le, Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Autrement dit, la solution dite des deux états, en germe dans la résolution de 1967, implicitement convenue dans les accords dits d’Oslo en 1993 et depuis lors progressivement jetée aux oubliettes avant d’être définitivement enterrée lorsque Trump décida le transfert de son ambassade à Jérusalem en 2018 (en vertu d’une décision du Congrès de 1995) et poussa quatre pays arabes à normaliser leur relation avec Israël fin 2020.

La solution des deux états peut-elle être imposée à Israël par la force ? (Hamas l’ayant acceptée en 2017, sans reconnaissance explicite d’Israël). Pour répondre à cette question, il convient d’examiner si les conditions qui ont empêché la mise en œuvre effective de cette solution depuis plusieurs décennies ont changé. L’étude des raisons pour lesquelles la solution des deux états n’a pas dépassé le stade de l’intention a fait l’objet de profondes réflexions savantes qui reflètent l’extraordinaire complexité de la question. Rien ne prouve, par exemple, que sans les disparitions prématurées des deux protagonistes des accords d’Oslo (Rabin et Arafat) l’avènement des deux états ne fût devenu réalité.

Une Capitale pour deux Etats

Pour faire court, on admettra que le principal obstacle a été la volonté des radicaux des deux camps de faire barrage à cette solution. Et, quitte à choquer, on rejettera la responsabilité sur la partie qui croyait avoir le plus à perdre dans cette solution: Israël. Les actions d’Israël (notamment l’établissement de colonies juives sur tous les territoires conquis en 67 et l’adoption de Jérusalem comme capitale en juillet 1980) ainsi que les déclarations de ses dirigeants laissent peu de doutes sur ses intentions d’accaparement définitif des territoires conquis. On admettra également que si Israël, minuscule état de quelques millions d’habitants, se permet de défier les états du monde entier c’est grâce au soutien inconditionnel du plus puissant d’entre eux: les USA. Cette prémisse nous autorise à abandonner la nécessité du recours à la force pour obliger Israël à mettre en oeuvre, sous brève échéance, la solution des deux états. Recours dont la faisabilite est, pour le moins discutable sinon hors de propos dans l’ordre actuel qui gouverne le monde. Par contre, cette premisse implique qu’il suffirait que les E.U. exercent une pression suffisante sur Israel pour lui faire avaler l’amère pilule de la création d’un état palestinien sur DE territoires occupés depuis 1967 conformément à la version anglaise de la résolution 242. Un tel changement de politique des E.U. résulterait, bien entendu, des conditions nouvelles créées par l’attaque du 7 octobre que nous allons exposer ci après. L attaque du Hamas (et du Jihad islamique) a profondément changé les conditions qui ont empêché, jusqu’à présent, la mise en œuvre effective de la solution des deux états au moins à deux niveaux : celui de la nature du conflit israëlo-palestinien et celui du soutien américain à Israël. Nature du conflit : Il suffit pour se convaincre du changement intervenu à ce niveau d’écouter les deux déclarations suivantes : « Nous ne nous battons pas pour avoir du fuel ou des permis de travail en Israël.

L’assaut du 7 octobre a changé l’équation

Nous ne cherchons pas à améliorer la situation à Gaza. Notre but est de renverser complètement la situation dans la région….Nous espérons instaurer un état de guerre permanente ». (Taher El-Nounnou, conseiller en média du Hamas). Et Khalil Al-Hayya, leader palestinien qui déclare au NYT à propos du 7 octobre: «Il était nécessaire de changer toute l’équation et non provoquer un autre clash. Nous avons réussi à remettre la question palestinienne sur la table et dorénavant, personne dans la région ne connaîtra la paix… » ( NYT du 8/11/23). Avec l’attaque du 7 octobre, Hamas sait qu’Israël agira militairement et de manière décisive dans les mois à venir, mais voit ce qu’il fait comme un effort générationnel beaucoup plus important que ce qui se passe sur le champ de bataille » (The Guardian 29/11/23).

En clair : le présent épisode du conflit ne saurait prendre fin, comme les précédents, par un cessez le feu. Seul un accord ferme et non révisable, garantissant la création d’un état palestinien dans un délai rapide pourra l’arrêter. Ce message adressé au monde entier a sûrement été reçu et compris aux E.U. comme injonction à agir vite dans ce sens s’ils veulent sauvegarder ce qu’il leur reste comme influence dans la région et sauver ce qui peut encore l’être de leur image fortement détériorée. Soutien inconditionnel américain à Israël : Les administrations successives américaines ont soutenu Israël jusqu’à présent sans grand dommage pour leur image, avec l’assentiment des régimes arabes et la résignation de leurs peuples. Le congrès et l’opinion publique américaine ont également été favorables à cette politique. Jusqu’à présent ; car depuis la riposte sanglante d’Israël à l’attaque du 7 octobre les choses ont sensiblement changé.

En voici quelques exemples :

1- Les jeunes électeurs et les électeurs d’origine arabe ou musulmane qui ont joué un rôle clé dans la victoire de Biden en 2020 font au jour d’hui publiquement état de leur agacement face à son soutien à Israël.

2- Un sondage récent (Gallup, rapporté par Haaretz du 5/12/23) révèle que 67% des américains désapprouvent ce soutien, et au congrès des élus de plus en plus nombreux y affichent leur opposition.

3- Celle ci a franchi récemment les portes de la Maison Blanche où des centaines d’employés (notamment parmi ceux d’origine arabe/musulmane) ont fait part de leur mécontentement (voir dans le NYT du 29/11/23: Biden Navigates divisions inside the White House over Gaza).

4- Particulièrement remarquée est la démission de Paul Josh, haut responsable au Département d’Etat, en protestation de la livraison d’armes à Israël utilisées, selon lui, pour tuer des civils (voir dans NYT du 18/11/23 : I knew U.S. military aid would kill civilians…So I quit).

5- Les meetings en faveur de la Palestine sur les plus prestigieux campus universitaires américains, les manifestations populaires dans les cités, grandes et moyennes, à travers le territoire américain et tant d autres exemples de protestations émanant d’une partie de plus en plus large de la société américaine qui voit dans le soutien à la cause palestinienne un prolongement à la lutte contre le racisme et la répression des minorités.

Ces changements ont été provoqués par le caractère disproportionné et inacceptable de la réaction israëlienne voulue par Hamas (voir ci-dessus) en déclenchant son offensive du 7 octobre. Cette réaction a, par son ampleur, et sa bestialité battu tous les records établis par les agressions israéliennes antérieures en nombre de morts d’enfants, en nombre et tonnage de bombes larguées sur des cibles désignées par des algorithmes à base d’Intelligence Artificielle (voir the Guardian du 5/12/23: The Gospel, how Israël uses AI To select targets in Gaza). Elle a même battu les records de l’armée américaine en Afghanistan, Iraq, Syrie…voire des records de la seconde guerre mondiale en nombre de cibles bombardées par jour. Et pour clore le palmarès, l’armée de Israël a tué en quelques semaines plus de cent agents de terrain de l’ONU et plus de soixante journalistes ( en comparaison, au cours des près de deux années de guerre en Ukraine, 17 journalistes et travailleurs des médias ont été tués -The Guardian 4/12/23).

Ils (les changements) ont été favorisés par la conjonction de la guerre à Gaza et la guerre en Ukraine qui met à nu le « deux poids, deux mesures » de l’Occident en général et de son chef de file, les US en particulier : Les destructions d’infrastructures et le massacre de civils infiniment plus massifs à Gaza qu’en Ukraine soulèvent pourtant infiniment moins d’indignation. Cependant, ni le changement de nature du conflit clairement affirmé par Hamas, ni les protestations de larges pans de la société américaine et dissensions au sein de la classe politique ne semblent avoir affecté sensiblement, la politique des E.U. qui s’entêtent à s’opposer au Conseil de Sécurité aux motions de cessez le feu (peut être pour la dernière fois, le 8 novembre dernier, s’inquiètent les Israeliens selon Haaretz du 9/11: Israel isn’t sure Biden will veto another UNSC Cease-fire proposal).

Et le Hamas n’est pas mort et d’autres forces (du Liban au Yémen en passant par la Syrie et l’Iraq) soutenues par l’Iran se tiennent en réserve et les mouvements de protestation aux E.U. n’ont pas été étouffés. L’entêtement des E.U s’il devait persister les expose à assumer la co-responsabilité d’une guerre qui risque, avec ses dizaines de milliers de morts potentiels, de se transformer en génocide.

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