«Presque» de Khaoula Assebab Benomar : Yto, le grand départ…

Un jour, un livre

Mohamed Nait Youssef

La réalisatrice et militante des droits des femmes, Khaoula Assebab Benomar explore un nouveau genre : l’écriture romanesque. «Presque», son premier roman paru chez les Editions la croisée des chemins, suit la trajectoire de Yto, une femme qui a tout laissé derrière elle pour entamer une nouvelle vie, un nouveau départ pour retrouver le goût et le sens de l’existence. Yto s’envole pour rejoindre de nouveaux horizons plus vastes et cléments. Ses bagages : une valise jaune et les bribes  d’un passé, voire d’une vie étouffée de souvenirs vivaces et mélancoliques.

«Yto, une, voire deux syllabes qui la définissent tellement bien. Bref, efficace, rare et nonchalant, tel est le prénom qu’elle porte différemment selon les continents. Ses parents ont choisi de lui donner un prénom difficile à porter au Maroc, court mais chargé d’une longue histoire, il fait partie de ces prénoms qui ne vont plus aux enfants, de ceux dont le son est chargé de rides et de cheveux gris. Il rappelle le monde rural, le tatouage tribal, la vie à la dure, une géographie envoûtante mais qui met les corps à l’épreuve, une vie ancrée dans la terre des ancêtres, gorgée de soleil, rythmée par le froid et le dur labeur.», «Presque» p9. Est-facile d’être femme dans une société telle que celle de Yto ?  En effet, cette dame à la fois fragile, brave et battante  ayant  porté le poids lourd de la famille, de la société : ses dictats, ses représentations, ses métamorphoses, était toujours à la quête  de soi, d’une propre existence ; la sienne.  «Yto était l’otage d’une société, où même dans le deuil les hommes et les femmes ne sont pas égaux, quand celui de l’homme peut prendre fin au bout d’une semaine, quand on peut l’encourager à reprendre le cours normal de sa vie active et surtout sentimentale quand on peut aller jusqu’à le pousser à se remarier pour ne pas rester seul. La femme, elle, doit cesser de vivre, on s’attend à ce qu’elle rende un perpétuel hommage au défunt mari, qu’elle devienne la pièce maîtresse du muselet que ses proches, voire ses connaissances, ont construit en sa mémoire.», «Presque» p.89.

Yto s’évade en voyageant dans son imaginaire. Elle fuit cette réalité à la recherche de son propre monde paisible et serein.  «Pour faire partie de ce monde, il faudra montrer patte blanche, se séparer du superflu et ne garder que l’essentiel, se soumettre à des contrôles de sécurité précis et stricts, faisant réfléchir sur la chance d’être en vie.», écrivait Khaoula Assebab Benomar dans son roman «Presque», p.16.

Par ailleurs, les  notions du départ, de dépassement, de la quête continue,  du voyage intérieur sont au cœur de l’œuvre romanesque. «À présent, elle n’a plus aucun doute sur la raison de sa décision soudaine de quitter ses repères, de partir, de s’éloigner pour se rapprocher de son être. Un voyage intérieur était nécessaire en ce moment précis où elle se sentait embarquée par les évènements et ne distinguait plus ses choix personnels, ses envies, ses sentiments et ses ressentis, de ceux imposés par son environnement. Yto est à la recherche de son Saint Graal. Elle est consciente qu’au bout de ce voyage l’attendait une décision qui ne pourra être que bonne car émanant de sa seule personne, la sienne.», p.13.

«Presque» est une réflexion profonde  sur  une grande question : qu’est-ce que la famille? Mais pas que… Car, le roman évoque également les notions du sacrifice, de la vacuité existentielle, mais aussi de la perte.  «Dans cette quête du parfait, Yto semblait occulter le rôle du père, car oui il y en avait un. Il était bien présent, dévoué et motivé. Mais Isli n’était jamais assez efficace à ses yeux.», p.33. Et d’ajouter: «J’ai été mariée, je suis maman de trois enfants qui sont adultes à présent, mais il se trouve qu’il n’est plus là, il est parti, je suis veuve.», p.80.

Dans un moment de vérité, Yto, femme authentique, livre ses confessions et celles de nombreuses femmes dédiant leur vie au foyer, à la famille, à Isli, Yan, Yza. Yto a vécu, une vie…ou presque. «Yto a regardé ailleurs, elle a mis de côté ce profil de femme libre, battante, prête à arracher ses droits, et s’est cachée derrière des prétextes vieux comme le monde. «Je le fais pour ma famille, mes enfants ont besoin de leur père, je ne peux pas leur imposer ça.». Elle admet à présent que cette douleur était méritée, elle reconnaît son tort, Yto plaide coupable.», p.20.

Yto est prête pour un nouveau départ. Elle fait sa valise jaune où sont rangés ses souvenirs.  Elle est partie pour mieux revenir. «Elle est partie pour comprendre, pour se donner une deuxième chance, pour trouver des réponses aux questions jamais posées, pour faire connaissance avec elle-même et s’assumer. Elle est partie pour mieux revenir, pour être à la hauteur de ce nouveau départ, pour ne pas refaire les mêmes erreurs, pour assumer. Pour devenir une personne à part entière. Elle est partie pour se libérer des traces du passé, pour couper avec les schémas établis et s’accepter, s’aimer pour être capable d’aimer, pour l’assumer.», «Presque»,  p.149.

Avec une économie du langage et fluidité du style, Khaoula Assebab Benomar dresse le portrait d’une femme renaissant de ses cendres… ou «Presque».

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