La rubrique «les attentes des citoyens» introduite dans le conducteur du jt de la première chaîne publique en prélude à la campagne électorale a été un moment édifiant.
Elle nous a offert un vrai voyage, géographique à travers la carte du pays de Dakhla à Figuig et Tanger mais un voyage dans l’imaginaire de nos concitoyens et les représentations qui l’animent. Un premier constat se dégage sur l’énorme déficit de la culture politique des gens interviewés. Certes, un micro trottoir reste un dispositif médiatique à la portée significative limitée par les contraintes du montage : on a fait dire aux gens ce que l’on a bien voulu leur faire dire. Mais pour l’essentiel le constat est le même. On a appris ainsi que les attentes des gens se réduisent, en majorité à des questions de la vie quotidienne : la question du transport collectif à Kénitra, l’absence de la sécurité et la nécessité d’un commissariat à Ain Aouda dans la banlieue de Rabat, la question de l’emploi des jeunes à Berkane et Dakhla… bref on a eu droit à un cahier revendicatif digne d’une campagne pour les communales et non pour les législatives. Le lexique politique pour sa part est non seulement limité mais inapproprié : on parle de la qualité du « candidat » en lieu et place du «député». Le bilan final de cette expérience audiovisuelle est que la culture parlementaire est loin d’avoir atteint le public du pays profond, au-delà du cercle des initiés et des professionnels.
Peut-être que les questions du journaliste induisaient les citoyens sur la piste de la revendication spontanée. «Qu’attendez-vous du futur parlementaire ?», la question aurait pu être formulée autrement. Par exemple : «qu’est-ce pour vous un bon parlement ?».
Pour les spécialistes de la science politique, trois critères simples en apparence aident à définir un bon parlement :
- C’est un parlement qui représente bien le pays
- C’est un parlement qui légifère bien
- C’est un parlement qui contrôle bien l’Exécutif.
La première qualité est de nature éminemment politique, elle est au cœur de ce qui fonde la démocratie représentative. Il s’agit en effet d’imaginer et de mettre en pratique la meilleure méthodologie pour que la représentation politique épouse ou du moins s’approche de la sociologie du pays. Cela pose la question du mode de scrutin. Un mode n’est jamais tout à fait innocent. A défaut de la démocratie directe illustrée par une place centrale de la cité, l’agora, où les citoyens délibéraient et choisissaient leur représentants à main levée, l’histoire des parlements a été l’histoire des modes de leur élection. Le scrutin individuel majoritaire à un tour a longtemps constitué le modèle dominant, y compris chez nous. Il a été dévoyé de son essence par l’émergence d’une aristocratie politique qui a fait de la députation un héritage quasi familial. Le modèle défendu, face à l’érosion du principe même de la démocratie représentative, par les progressistes à travers le monde est celui du scrutin proportionnel. Il est le mieux apte à donner une image qui s’approche le mieux de la carte politique et sociologique du pays. Chaque courant ayant une réelle présence dans l’espace public peut ainsi avoir une représentation proportionnelle à sa force et à son implantation.
Au Maroc, le modèle adopté est une proportionnelle mixte : des listes à l’échelle des circonscriptions locales et une liste nationale consacrée aux jeunes et aux femmes. La formule a montré ses limites notamment au niveau de la délimitation du seuil pour les listes locales et de la discrimination positive adoptée pour la constitution de la liste nationale. L’expérience est mûre pour une nouvelle réadaptation en fonction de l’expérience accumulée.
Rafik Abdelkrim