Festival national du film 2016 : Des rires et des larmes

Une deuxième journée contrastée du festival de Tanger avec des films sous le signe du rire et des larmes. Ahmed Boulane propose en effet une comédie légère sur un sujet d’actualité. La isla de perejil aborde le fameux épisode du conflit maroco-espagnol autour d’un rocher située à une centaine des côtes marocaines.

Le ridicule d’une situation héritée du passé impérialiste de notre voisin du nord mérite en effet un traitement distancié que seule la comédie peut traduire sans froisser les susceptibilités des uns et des autres. Il faut reconnaître à Boulane d’avoir réussi ce pari : on rit de bon cœur. Outre la situation rocambolesque en soi, l’astuce consiste à réunir sur une petite île deux personnages hauts en couleur : un agent des forces auxiliaires marocaines et un immigré clandestin subsaharien. Le choix des interprètes pour assumer cet huis clos est une belle trouvaille avec Abdellah Ferkous et Issa N’daye. Le film ouvre une réelle piste pour Ahmed Boulane sur la voie d’un cinéma populaire surfant sur des sujets « graves ». Un partenariat stratégique avec Abdellah Ferkous pourrait aussi prolonger ce premier succès sur de bonnes bases.

Larmes de Satan, le premier long métrage de Hicham El Jebbari fait partie des films attendus de cette édition. Certes, le parcours court métrage du cinéaste était relativement discret mais c’est la télévision qui va le faire connaître le plus, notamment avec la série ramadanienne La maison des héritiers, l’une des plus belles réussites de la télévision marocaine. Comment El Jebbari va-t-il alors négocier son passage au cinéma. La première impression que dégage le film est une forme de libération, comme si le cinéaste voulait se libérer de Sur moi qui a pesé sur lui durant ses années de télévision. Il se livre alors à une mise en scène débridée, portée par une débauche d’effets spéciaux, d’emphase en expression visuelle et une inflation de mouvements d’appareils. Avec une bande son assourdissante amplifiant et surexposant l’apport musical qui finit par devenir envahissant.

Le scénario, généreux dans ses intentions, ramène le cinéma marocain à la vague des films des années de plomb. Un détenu politique sans aucune référence précise, sort de prison, revient chez lui et découvre qu’il ne peut réapprendre à vivre sans accomplir le geste primitif de la vengeance. C’est le face à face tant revisité par le cinéma du bourreau et de la victime. Schéma qui finit par se métamorphoser avec la confusion qui s’instaure au fur et à mesure de l’évolution du drame pour ne plus savoir qui est la victime, qui est le bourreau.

En voulant se libérer de la télévision en forçant le trait, El Jebbari reprend en fait la logique actuellement dominante au niveau de la circulation des images dans la médiasphère. Notamment les images de violence. Il est dans l’esprit de la youtubisation en vigueur des images : montrer tout, voir tout. Une musique omniprésente, des images réduites à l’instantané dénotatif comme dans un J.T. Toute la richesse polysémique des images cinématographiques est neutralisée est évacuée au bénéfice d’un traitement au premier degré assignant le spectateur à résidence, bombardé d’une image de violence à l’autre. Ce déferlement d’images et de sons redoublent la violence représentée par la violence de la représentation elle-même. En fait, le cinéaste est resté enfermée dans la grammaire télévisuelle, celle de l’accumulation quasi naïve des images en cham contre-champ…rien n’est évacué en hors champ là où réside l’essence du cinéma. Le champ est saturé de signes référentiels sans laisser de place à la métaphore, au vide, au silence.

En hyper simplifiant la victime et le bourreau, le film plonge le spectateur dans un schéma réducteur, le rendant aveugle à la complexité du réel.

Mohammed Bakrim

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