L’homme normal ou l’Etranger des temps modernes

Auteur du livre Yasmina Khadra ou la recherche de la vérité : étude de la trilogie sur le malentendu entre l’Orient et l’Occidentet de multiples articles scientifiques, le professeur de renommée et le docteur en littérature Youssef ABOUALI,  s’embarque enfin à l’aventure romanesque et effectue une entrée éminente par un roman qui ne tardera pas à se faire une place parmi les romans incontournables qui traite la crise de l’homme postmoderne ; le roman est intitulé : L’homme normal. Il a été édité à la maison Bourgreg  fin 2019, et présenté dans plusieurs institutions par son auteur.

Ce roman qui est particulièrement fascinant de part sa singularité et la difficulté à sa classification, est scandé en trois parties très distinctes au niveau du style, du  narrateur et la dimension que l’auteur a choisi pour chaque partie offrant ainsi une polyphonie très intéressante ralliant un réalisme meurtri à une imagination originale. Le roman raconte le parcours d’un jeune homme kaamil dans sa quête existentielle à trouver sa place au sein de la société, cette quête qui va être ponctuée par les drames qui s’abattent sur sa famille,  ou un nombre de ses membres souffrent de maladies mentales, ensuite kaamil, au milieu de ce tumulte,  va vivre une histoire d’amour peu commune qui ne sera qu’un drame de plus et  façonnera sa vie à tout jamais.

Au début de l’écriture de ce roman, l’auteur avait choisi de publier les premiers chapitres sur sa page Facebook sous un autre titre ; Merde à Freud, un titre peut être plus original que le présent mais qui en dit long sur ce qui suivra, l’auteur avait, effectivement, commencé son roman par un chapitre intitulé « écrit sur commande »  de son psychologue, où il lui assène de vives critiques des plus formelles aux plus professionnelles. Il exhibe son indifférence à la souffrance de ses patients qui ne constituent qu’une source d’argent et d’enrichissement. Le titre Merde à Freud révèle la dimension antipsychanalytique de l’œuvre, d’ailleurs, le narrateur/personnage n’est pas un fan de la psychanalyse, pourtant il se trouve quand même à pratiquer un psychologisme ardent pour expliquer sa personnalité, son tempérament, ses besoins et ses relations avec autrui.

Ce qui commence par une autobiographie, va être bouleversé dans le deuxième chapitre Ma vérité, ou le narrateur/personnage niera toutes  les informations données au psychologue         par moquerie ou par simple délassement « Bien sûr, puisque ce psy ne m inspirait aucunement confiance, j’avais tout inventé… » Et commence son histoire d’amour avec Malak, une histoire prometteuse de beaucoup de bonheur et d’équilibre à sa vie tumultueuse.

Nous ne serons pas à la fin des surprises dans ce roman puisque dans la troisième partie et qui constitue presque la moitié du roman, l’auteur va nous mettre face à un autre genre d’écriture. Cette partie intitulée nos esprits et nos souliers vagabonds, le personnage/narrateur va disparaitre et laisser place à une énorme prosopopée où c’est Malak, morte tragiquement, qui prend le relais de raconter mais de l’au-delà. «Kaamil ne racontera plus rien. Je le sais parce que je suis déjà de l’autre côté du miroire…» Malak raconte leur rencontre, leur relation, sa mort et Kaamil avant et après sa mort.

Un récit émouvant par sa vivacité et son intensité, par ses descriptions comme par ses actions, les faits comme les sentiments emportent le lecteur, l’impliquent et l’obligent à se remettre en question, à s’interroger à réfléchir…

Le roman L’homme normal, offre une panoplie de narrations et autant de consciences qui se chevauchent au niveau des thèmes et provoquent un décentrement global, où l’autobiographie se croise avec l’autofiction. Dans la dédicace : « à la mémoire de ton âme immaculée. Repose en paix car ma rage déferlera bientôt sur leur race maudite et les réduira tous en cendres. ». L’immense colère de son auteur le trahit et nous permet en tant que lecteurs de se positionner dans la lecture du roman. Ce cri de rage contre une société qui fait l’autruche face aux réels problèmes qui rongent sa jeunesse ; les chiffres des malades mentaux qui influencent  crescendo les cas de suicides des jeunes.

Qu’advient le narrateur/personnage ? Ce personnage en quête de normalité, qui rencontre l’amour, le grand amour mais en même temps, une rencontre fatale qui accouchera d’un être incapable d’aimer ou d’apprécier l’amour. Un être qui survit. Qui  deviendra enfin Normal. «Il se disait que la vie, ce n’était ni l’excellence, ni l’écriture ; la vie était belle et il fallait en juir.il se disait que pour jouir de la vie, il ne fallait pas trop réfléchir…».

Youssef ABOUALI, s’attaque dans son romanautofictif, métafictifet postmoderneà un domaine peu romancé et qui demeure encore un sujet tabou à savoir les maladies mentales et le suicide, ces maux qui sont tus par la société ou interprétés selon des repères religieux ou/et culturels qui ne font que fragiliser l’identité des individus.

Mina Outmouhine

Le roman est captivant et peut être lu d’un trait car le style, en plus de sa diversité selon les parties, témoigne d’une grande maitrise de langue et un vocabulaire dense et précis que l’auteur manie avec aisance et art.

Que dire de plus ? Jouissez de votre lecture.

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