Ainsi parlait… Ouissaden

Intrinsèque et ambivalente, nous lui assignons des attributs la rendant de plus en plus étanche. Impossible à cerner, l’identité se dilate, fait miroiter des représentations et suggère des appartenances.

Un alliage que Frédéric, protagoniste du roman Ainsi parlait Shéhérazade, a pertinemment formulé moyennant cinq questions existentielles mais aussi légitimes, suscitant d’emblée l’adhésion du lecteur : Qui es-tu ? D’où es-tu ? En qui crois-tu ? Comment es-tu ? Que veux-tu ? Questions auxquelles tâchera de répondre sur Facebook une certaine internaute dénommée Shéhérazade, en s’efforçant à mettre en œuvre toutes ses capacités intellectuelles et oratoires. S’établit ainsi entre Frédéric et son interlocutrice un vrai rapport amoureux où l’on ne sait plus distinguer lequel a plus d’emprise sur l’autre. Frédéric découvre la personnalité de l’inconnue au fur et à mesure que l’exploration de la problématique de l’identité s’opère. C’est à partir de cette conversation que se développe l’argumentation de Shéhérazade, qui se veut à la fois une analyse et un plaidoyer.

Au cours de sa réflexion relative au concept de l’identité, Mohamed Ouissaden choisit à dessein de s’exprimer à travers ses personnages. Se voulant démonstratif sans pour autant succomber à la froideur objective d’une rigueur scientifique, l’auteur est tout de même amené à consacrer la moitié de son œuvre à l’étude des cinq questions, l’autre moitié étant dédiée à l’évolution de la trame narrative.

Balayant toute assimilation à un traité philosophique, Ainsi parlait Shéhérazade se distingue -entre autres- par une combinaison singulière. Alliant le narratif à l’argumentatif, le lyrique au logique, l’auteur déploie toute une série de thèmes, de registres et de tonalités afin d’exprimer, dans toute sa délicatesse, l’essentiel de son raisonnement. On ne saurait donc s’étonner devant la beauté littéraire de l’œuvre en question. Celle-ci ne le cède pas à l’élégance de sa réflexion, ni encore moins à l’originalité de ses perspectives. Il faudra tout d’abord rendre justice à la composition. Mohamed Ouissaden a merveilleusement su faire concourir à un effet unique la structure de la phrase, la valeur suggestive des sonorités ainsi que la souplesse des rythmes comme en témoigne l’expression : ‘Elle quitta le bel homme pour son Frédéric qui, dans les bras ouverts de cette autre, s’amusait ou encore ‘Et, de la main de Frédéric, elle fut giflée’. La musicalité régissant la plupart des extraits provient essentiellement de la structure rythmique de tango que l’auteur écoute en écrivant.

L’action, quant à elle, se déroule en étapes. Si l’intrigue faisant intervenir le trio Rabab, Sarah et Frédéric constitue le pilier des combines amoureuses caractéristiques de Ainsi parlait Shéhérazade, ces péripéties passionnelles s’estompent rapidement laissant apparaître un décor minimaliste réduisant les rebondissements en un simple échange virtuel entre Frédéric le professeur de philosophie et Shéhérazade prétendant détenir les réponses absolues aux questions de ce dernier. L’évolution des quatre protagonistes se trouve aussitôt suspendue suite à une longue scène d’exposition durant laquelle seront introduits des univers authentiques. En effet, l’imagination transfigure l’analyse de chaque question. Tour à tour Mohamed Ouissaden esquisse le cadre spatio-temporel qui abritera le héros de chaque récit. A une adolescente berbère originaire d’une colline située au sud du Maroc va donc succéder une jeune fille arménienne avant de céder place à une épouse indienne. Ensuite surgira un quadragénaire libanais pour enfin conclure la démonstration par l’évocation d’un chimiste érudit évoluant en Chine.

Que s’est-il donc passé entre les trois personnages du départ ? Qui est-ce qui se cache derrière le masque de Shéhérazade ? Quel est le rapport entre tous ces protagonistes ? En tissant toutes ces destinées le talent de Mohamed Ouissaden se révèle dans toute sa maitrise envoûtante. Déployant un génie sans pareil, l’auteur parvient à transformer brillamment une réflexion austère en une fascinante œuvre d’art. Par l’équilibre de la forme et du fond d’une part, et par la magie des saveurs que le roman recèle d’autre part, Ainsi parlait Shéhérazade restera un écho inaltérable retentissant à jamais.

Azi Khadija

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