Conférence du CERAB sur le chômage entre le discours et la réalité
M’Barek Tafsi
Le Centre d’études et de recherche Aziz Belal (CERAB) a organisé, mercredi 15 janvier une conférence-débat au siège national du Parti du Progrès et du Socialisme, animée par Dr. Lahcen El Ameli autour du thème : « le chômage entre le discours et la réalité », sachant que le taux de chômage actuel au Maroc est de 13,6% contre 13,5% un an auparavant, selon le Haut-commissariat au plan
Réagissant à toutes les interrogations soulevées au cours de ce débat, le Secrétaire Général du PPS, Mohammed Nabil Benabdallah, a indiqué que la promotion de l’emploi au Maroc, dont la situation gravissime fait l’unanimité de tous les observateurs objectifs, ne peut être résolue que dans le cadre d’une industrialisation véritable du pays.
Il n’y a pas eu un seul pays au monde qui a réussi à lancer un véritable processus de développement économique, de promotion de l’emploi et de lutte contre le chômage sans industrialisation véritable, a-t-il insisté, tout en précisant que les investissements faits d’ailleurs avec succès dans les domaines aéronautique, électronique, automobile et autres n’ont eu malheureusement qu’un impact limité sur l’emploi.
Nonobstant ces limites, l’on continue de vendre au peuple une marchandise frelatée, en avançant que le pays est en pleine industrialisation, alors qu’en réalité le Maroc est encore loin du modèle d’industrialisation escompté.
Selon lui, la situation du chômage est effectivement dangereuse pour ne pas dire catastrophique et augure de développements hautement négatifs.
Toutefois, il faut admettre de manière objective que le Maroc d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était il y a des décennies et que des progrès importants y ont été réalisés.
Le pays a effectivement connu des transformations fondamentales au niveau économique et de l’emploi et il importe à présent de faire un diagnostic réel de la situation et d’en dévoiler les détails aussi bien à l’opinion publique qu’au gouvernement, tout en sachant que d’aucuns parmi les responsables gouvernementaux n’acceptent même pas les critiques. L’on est aujourd’hui en face d’un gouvernement qui n’hésite pas à proférer des menaces contre quiconque ose le critiquer ou attirer son attention sur des défaillances ou des imperfections, a-t-il indiqué.
C’est du jamais vu. Cela se produit même à l’intérieur du Parlement, a-t-il dit.
Une œuvre utile de clarification de la situation en matière d’emploi est donc nécessaire, a-t-il estimé, rappelant qu’il est insensé d’admettre comme le veut le gouvernement que tout va pour le mieux au Maroc, alors que le pays est confronté à des problèmes réels dont en premier lieu au niveau de la protection sociale.
Tout en parlant de la protection sociale, a-t-il affirmé, le gouvernement refuse de voir la situation du secteur informel, alors que ce dernier fait partie intégrante du tissu économique et social du pays. Il représente quelque 30% du PIB, d’après Bank Al Maghrib.
Il importe de mettre en exergue ces réalités, tout en appelant à saisir les opportunités technologiques et les changements en cours au niveau international, écologique, numérique, et autres dans le but de promouvoir l’espace de l’emploi, a-t-il ajouté.
A ce propos, le Secrétaire Général du PPS a souligné que l’on a besoin plus que jamais de concepts redéfinis, d’approches claires et d’un référentiel conceptuel précis pour aborder certains sujets. Et ce à un moment, où un grand nombre de produits contrefaits sont présentés comme étant des politiques « prêts à porter », alors qu’elles n’ont rien à voir avec la politique.
Le slogan du gouvernement de l’Etat social en est l’exemple frappant, a-t-il dit. Ce slogan de l’Etat social, qui intègre plusieurs dimensions dont celle relative à la couverture sociale, est avant tout une approche de gouvernement et de société avec toutes ses manifestations. Mais cette dimension de gouvernement est totalement occultée par le gouvernement, dont le référentiel n’a rien à voir avec le chantier de l’Etat social. C’est la raison pour laquelle il est très difficile à l’actuel Exécutif de réaliser effectivement sur le terrain ce projet d’envergure.
En matière d’emploi, a-t-il rappelé, le problème essentiel qui se pose toujours au Maroc, contrairement à tous les pays qui ont mis fin à cette question, a trait à la fiabilité des recensements et des données statistiques publiés. Ailleurs, comme en France, l’INSEE est considéré comme une source fiable, alors qu’au Maroc, tous les gouvernements contestent les chiffres du Haut-commissariat au plan, a-t-il noté, estimant qu’il importe d’abord de régler une fois pour toutes cette question pour disposer de données exactes et crédibles sur la situation réelle très complexe de l’emploi.
Tout en admettant la difficulté de trancher la question en raison de sa complexité, il a indiqué qu’il ne doit pas y avoir d’écarts énormes sur un sujet aussi important que l’emploi.
Il a aussi souligné qu’il ne s’agit pas d’une question technique ou comptable, mais d’un sujet politique lié à une orientation et à une approche. C’est pourquoi, tout effort intellectuel doit viser avant tout à combattre l’impression de flou et d’ambiguïté qui caractérise le sujet en se fondant sur les principes de l’école du PPS. Et ce dans le but de clarifier l’approche à adopter pour promouvoir et développer l’emploi au Maroc et réduire le chômage.
Pour ce qui le concerne, a-t-il dit, le PPS propose en effet dans ses documents de nombreuses alternatives dans les domaines politique, économique, social et environnemental, soulignant qu’en matière d’emploi et d’éradication du chômage, le parti ne compte que sur le développement global pour y parvenir. Tout en réaffirmant la justesse de cette vision, il a soulevé la question de savoir si cette solution suffit ou non. Il a rappelé dans ce sens que certaines expériences vécues au cours des vingt dernières années n’ont pas eu des résultats probants sur l’emploi, car elles comportent un défaut quelque part.
Selon le SG du PPS, ceci concerne aussi les gouvernements auxquels le parti a participé y compris ceux au sein desquels il avait en charge le département de l’emploi. La stratégie d’accompagnement de l’emploi ne relève pas du seul ministère de l’emploi, mais d’autres sphères.
Aujourd’hui, il est du devoir des intellectuels et chercheurs d’illuminer et de proposer d’autres alternatives plus précises sur le développement. Il faut répondre par une alternative véridique et réalisable sur le développement, tirée des documents dont dispose actuellement le Maroc à savoir : la Constitution, le rapport intitulé « 50 ans de développement humain au Maroc et perspectives pour 2025 » ou le Nouveau modèle de développement.
Sans être totalement d’accord avec le NMD, ce document constitue en fait une approche acceptable à plusieurs niveaux, a-t-il indiqué. Malheureusement, le gouvernement a décidé de le négliger. Il n’ose plus en parler car nombreuses sont les dispositions de ce document qui sont au fond en contradiction avec ses intérêts, ses orientations et ses desseins. Il en a tiré des slogans qu’il utilise pour des besoins politiques et pour dissimuler ses véritables desseins politiques, économiques et financiers qu’il importe aux chercheurs de dévoiler, a-t-il ajouté.
Dr. CHIGUER : « C’est au niveau du secteur informel qu’il importe de déployer les gros moyens »
Ouvrant le débat, le président du CERAB, Mohamed Chiguer a souligné l’importance de cette rencontre autour de la problématique de l’emploi qui constitue l’indicateur principal pour l’évaluation des politiques publiques. Il revêt diverses dimensions dont celle économique puisqu’il est créateur de la richesse, celle politique, car il contribue à la stabilité et la dimension sociale, étant donné qu’il génère un revenu aux démunis et contribue à la lutte contre la pauvreté et à l’autonomisation de la femme, condition indispensable parmi d’autres pour la promotion et la réalisation de l’égalité homme-femme. Il a aussi une dimension culturelle en contribuant à la cohésion sociale et au sens patriotique.
Selon lui, trois défis marquent la conjoncture actuelle, d’abord d’ordre écologique, étant donné que la sécheresse au Maroc, devenue structurelle impacte directement l’emploi en particulier dans les campagnes, puis d’ordre technologique, étant donné que la digitalisation, la robotisation et l’intelligence artificielle exercent désormais un grand impact sur le travail, et enfin d’ordre démographique dû au vieillissement de la population qui fait perdre au Maroc son avantage démographique.
Ce débat intervient donc à point nommé, car les politiques publiques mises en place par les gouvernements successifs au Maroc n’ont pas abouti aux résultats escomptées.
Au titre de l’année 2025, l’Etat a consacré 14 milliards de Dirhams aux entreprises dans le but de booster l’emploi, alors que le rôle de l’entreprise est de maximiser le profit, a-t-il dit, estimant que ce cadeau n’est pas en mesure de changer la donne.
C’est ainsi que seuls 3,6 millions de personnes sont inscrites à la CNSS sur un total de plus de 20 millions de population active, en plus de 700 à 800.000 fonctionnaires y compris l’Administration du territoire et des commerçants, soit au total un peu plus de 4 millions d’inscrits à la CNSS.
Selon Chiguer, une véritable politique d’emploi doit être déployée surtout au niveau du secteur informel qui prend en charge toute la population active non employée dans les secteurs privé et public. C’est au sein de ce secteur, qu’il importe de développer l’emploi, étant donné le potentiel important dont il dispose, a-t-il expliqué.
Dr. El Ameli : « le taux de chômage annoncé par le HCP est en deça du taux réel »
Pour sa part, Dr. Lahcen El Ameli a indiqué que tout débat autour de la problématique du chômage au Maroc porte inéluctablement sur celle de l’emploi, soulignant qu’en réalité, le taux de chômage réel au Maroc est beaucoup plus élevé que le taux de chômage de plus de 13% annoncé par le Haut-commissariat au plan.
Il a d’abord rappelé que depuis la décennie 1990, différentes mesures (programmes Moukawalati, Taâhil, Força) ont été prises avant le lancement de la stratégie nationale pour l’emploi 2015-2023, adoptée à la fin de 2014.
Selon les auteurs de cette stratégie, celle-ci « propose une nouvelle approche de la politique de l’emploi visant à aller au-delà des traditionnelles politiques actives du marché du travail et de la question du chômage ».
« Elle vise, au contraire, à mettre l’emploi au centre de l’action publique et adopte une approche globale intégrant notamment les dimensions économiques, financières, budgétaires et institutionnelles prenant en compte l’ensemble des déficits d’emplois et des catégories de la population touchées par ces déficits ».
« Son objectif principal est de réunir les conditions permettant la création d’emplois suffisants en nombre et satisfaisants en qualité pour répondre aux attentes de la jeunesse et corriger les inégalités entre les sexes et les disparités territoriales en matière d’emploi ».
« La promotion de l’emploi productif, la valorisation du capital humain et la bonne gouvernance du marché du travail constituent les principaux leviers pour assurer des conditions de vie décentes aux populations vulnérables et lutter durablement contre la pauvreté et la précarité », selon les rédacteurs de cette stratégie, a-t-il affirmé.
Ces derniers avaient notamment souligné que la croissance reste à la fin de 2014 assez peu créatrice d’emplois, malgré les politiques sectorielles ambitieuses lancées sur différents fronts (tourisme, PMV, puis generation Green pour l’agriculture, et autres). Ces plans sectoriels visaient aussi à améliorer les scores en matière d’emploi et la résorption du chômage.
Abordant la dimension du chômage, le conférencier a indiqué que le secteur connait depuis plusieurs années un taux très élevé, avant de distinguer deux séquences temporaires : de 1998 à 2011, il y avait une baisse du taux de chômage, mais à partir de 2011 il n’a cessé d’augmenter.
A partir de 2020, il a atteint des records, en raison de la conjugaison de plusieurs facteurs : la sécheresse et la COVID d’une part et d’autres facteurs structurels d’autre part.
La situation actuelle est marquée donc par un taux de chômage très élevé qui pénalise grandement les femmes (entre 26 et 36%), les jeunes, les diplômés supérieurs (plus de 42,5 en 2023) et les non diplômés.
Pour 2023, le taux de chômage global était donc de plus de 13%, c’est-à-dire très loin des prévisions de la stratégie nationale pour l’emploi, qui tablait sur un taux de chômage en baisse de 3,9 % en 2025 contre 9,2 % en 2013.
Il a également fait état des disparités entre les milieux rural et urbain et entre les différentes régions du pays en la matière.
Pour ce qui de la catégorie « NEET », elle occupe une situation qui s’apparente au chômage, mais qui ne le sont pas.
Selon le conférencier, le taux de chômage est en réalité beaucoup plus élevé que celui annoncé par le HCP, qui ne tient pas compte de tous les éléments dans ses calculs. C’est ainsi que la COVID a fait perdre au Maroc quelque 447.000 postes d’emplois en 2020.
Il a ensuite fait savoir que l’agriculture absorbe de moins en moins de population disponible au travail. Quant à l’excédent au niveau rural, il trouve refuge dans le secteur des services, parce que le pays est dépourvu d’industries manufacturières, à même de jouer ce rôle.
En fait l’industrie ne participe qu’à hauteur de 10 à 12 % à l’emploi, a-t-il noté.
Pour ce qui est du secteur des services, sa part est passée de 40 à 51% entre 2014 et 2024.
C’est dire que le retard qu’accuse le Maroc en matière d’industrialisation et l’incapacité de l’agriculture à absorber l’excédent de main d’œuvre a fait que les travailleurs sont principalement orientés vers le secteur des services, qui a connu une forte croissance en matière d’emploi.
Evoquant l’importance du secteur informel, il a indiqué qu’il représente quelque 30% d’après Bank Al Maghrib.
Il a ensuite fait savoir qu’en dépit des taux d’investissements imprtants, réalisés pendant plusieurs années, le taux de croissance économique comme celui de l’emploi n’ont pas suivi, étant donné que les investissements étaient orientés vers des secteurs à rentabilité et profits élevés et rapides. Quant à l’investissement public, il a été marqué par des reports successifs d’année en année d’excédents, en particulier au niveau des collectivités territoriales, qui n’arrivaient pas à investir tous les crédits qui leur sont alloués.
Au niveau des secteurs industriels (automobiles, aéronautique, alimentaire, textile), a-t-il dit, les investissements les plus importants réalisés par les équipementiers étrangers n’aboutissent qu’à un faible taux d’intégration locale.
Dr El Ameli est titulaire d’un doctorat en sciences économiques. Il est professeur visiteur dans plusieurs établissements dont l’IAV Hassan II et ancien directeur au sein du Crédit agricole.