Ismaïl Alaoui: «le discours du Chef du gouvernement ne contient pas un plan d’action complet»
Hassan Ouarid: «on ne gère pas les secteurs sociaux avec une logique de marchandisation»
«Le Maroc post-corona nécessite le lancement d’une politique des grands chantiers pour parer la crise et assurer une intégration socio-économique aux couches sociales fragilisées par la pandémie », a souligné Ismaïl Alaoui, président du Conseil de la présidence du PPS, qui fut l’invité avec l’écrivain, Hassan Ouarid, au débat confiné placé sous le thème : «Le Maroc face au coronavirus : les points de rencontre entre la science, la politique et l’éthique», organisé par l’Agora des administrateurs progressistes et diffusé sur la plateforme-forme Facebook dans la soirée du lundi dernier .
Promouvoir la politique des grands chantiers
Tout en louant les mérites de la création du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie pour satisfaire plus ou moins les besoins vitaux des millions de familles marocaines, cette solution demeure momentanée et prise sous la contrainte, a-t-il relevé. Ainsi, la question qui s’impose avec acuité : est-ce que l’Etat va continuer à verser les subventions en suivant le même procédé après le déconfinement?
Pour l’ancien Secrétaire général du PPS, la gestion des effets de la pandémie ne peut pas se baser sur des solutions limitées dans le temps, d’où l’importance de l’établissement d’un programme d’investissement pérenne ayant une dimension sociale. Ce programme d’action basé sur la politique des grands chantiers (voies ferrées, barrages, autoroutes…), vise, outre à relancer l’emploi, à assurer aux travailleurs des formations de lutte contre l’analphabétisme ou encore leur assurer une autonomisation économique via des formations professionnelles, a-t-il expliqué. Pour ce faire, le militant du PPS a plaidé pour la mise en place d’un mécanisme de financement continu assorti d’un plan d’action SMART.
La concertation, le maillon faible
Sur un autre registre, le militant progressiste s’est penché dans son intervention sur la non-implication des élus dans le processus décisionnel notamment au niveau local. En termes plus clairs, l’intervention de l’élu aussi bien au niveau de son quartier ou de sa ville est jugée par les autorités publiques comme une campagne électorale précoce.
Un tel constat, a-t-il poursuivi, traduit une crise de confiance entre l’ensemble des composantes de l’Etat, ce qui soulève la problématique de la participation du citoyen dans la gestion de la chose publique.
D’ailleurs, a-t-il laissé entendre, le gouvernement assume une certaine responsabilité, vu qu’il n’a pas œuvré jusqu’à maintenant à l’élaboration de la loi organique régissant la création d’instance de concertation, en vue d’associer les différents acteurs sociaux à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques», comme le dispose l’article 13 de la Constitution 2011.
L’enjeu pour l’avenir est celui de former un nouveau citoyen capable d’exprimer son opinion et ses revendications, a indiqué Ismaïl Alaoui, soulignant dans ce sens que le projet de loi 22.20 constitue un scandale par excellence tout en appelant le gouvernement à ne plus reproduire ce genre de défaillances dans l’avenir qui ne fait que ternir l’image du pays et créer un hiatus entre l’Etat et les citoyens.
Pour le militant du PPS, la prochaine étape devrait être réfléchie de manière collective où tous les acteurs de la société sont censés contribuer au débat avec l’Exécutif pour établir un agenda solide.
Changement des visions
Pour ce faire, un changement radical s’impose au niveau des visions et le pire serait d’affronter l’avenir en ayant recours aux mêmes grilles d’analyses, a-t-insisté. Autrement dit, la logique recommande de se défaire de l’orthodoxie économique basée sur l’idéologie néolibérale, a déclaré Ismaïl Alaoui. En plus de cela, « le gouvernement doit se livrer à l’exercice de l’autocritique en procédant à l’implication des élus dans les grandes décisions et doit s’ingénier à revoir les orientations économiques en donnant plus d’importance au rôle de l’Etat dans les secteurs sociaux tels la Santé, l’Education…», a-t-il rétorqué.
Malheureusement, le discours du Chef du gouvernement devant le Parlement, en dépit de certains aspects positifs ne contient pas un plan d’action complet pour affronter la crise, a estimé le président du Conseil de la présidence du parti du Livre.
Le militant du PPS a mis également le doigt sur certains facteurs bloquant le développement économique en citant à titre d’exemple celui de l’agriculture, faisant savoir que les petits et moyens agriculteurs ne recevaient que 10% en comparaison avec les subventions accordées aux grandes exploitations agricoles.
Le déconfinement n’est pas la fin de la crise
De son côté, l’écrivain et l’historien Hassan Ouarid a indiqué que la crise a surpris les décideurs et qu’il serait difficile d’envisager des scenarios de sortie de crise dans un environnement ponctué d’incertitude.
Un environnement où la marge d’action du politique se limite seulement à gérer les contradictions en étant soumis au pouvoir des savants supposés avoir le dernier mot. Ce qui signifie, a-t-il ajouté, que la décision du confinement n’était pas si facile à prendre et a été dictée par des considérations purement sanitaires. Un tel constat s’applique sur tous les Etats du monde et ne concerne pas uniquement le Royaume, a-t-il expliqué.
Abondant dans le même ordre d’idées, l’auteur de «L’impasse de l’islamisme» a noté que nos décideurs auront des difficultés pour établir des plans de développement étant donné qu’ils sont confrontés à l’imprévisible. Mais, il aurait été mieux de gérer cette situation d’exception en adoptant des mesures d’accompagnement qui sont flexibles en vue de soulager les catégories sociales affectées par la crise, a-t-il expliqué, en donnant l’exemple des marocains qui sont bloqués à l’étranger. «Dans ce cas on ne peut pas se contenter d’une stricte application de la loi et que la raison nécessiterait un traitement particulier de ce dossier tout en prenant les mesures garantissant la protection de la société», a-t-il dit.
La patrie appartient à tout le monde
A l’instar d’Ismaïl Alaoui, le conférencier a plaidé pour la mise en place d’une politique de grands chantiers, surtout lorsque l’on sait que le Maroc dispose de tous les atouts, en citant à tire d’exemple l’expérience de la construction de la route El wahda ou encore l’initiative nationale du développement humain, pour ne citer qu’eux.
Cependant, a-t-il souligné avec insistance, «la sortie de la crise est tributaire de l’implication de tous les acteurs car la patrie appartient à tout le monde.
«On comprend la responsabilité qui incombe à l’Etat pour la gestion de la crise et le fait qu’il dispose des outils techniques et matériels pour gérer la crise. Toutefois, cela ne justifie en rien qu’il détient le droit du monopole de la vision de la sortie de crise», a fait remarquer le politologue, en appelant à ce que tous les acteurs sociaux notamment les partis politiques soient associés au processus d’élaboration des solutions. «L’élargissement de l’espace de participation et de concertation pour faire émerger idées innovantes est une condition sine qua non pour maintenir une culture de confiance ente l’Etat et la société», a-t-il affirmé.
L’état d’exception ne fait pas la règle
Cela étant, l’état d’exception ne fait pas la règle et ce qui relève de l’exception restera exceptionnel», a-t-il martelé. Cela dit que «la relation entre l’Etat et la société devrait être inscrite dans une logique de complémentarité et non pas de confrontation afin de ne pas impacter le climat de confiance car nous sommes tous dans le même bateau».
L’ancien historiographe du royaume a fait dans ce sens allusion à la «loi muselière 22-20 constituant une atteinte à la confiance qui s’est installée entre l’Etat et la société. «Nous n’avons pas besoin seulement des mesures efficaces mais surtout besoin de renforcer la confiance, une valeur principale pour créer une cohésion entre les gouvernants et les gouvernés», a-t-il avancé. D’ailleurs, a-t-il poursuivi, aujourd’hui il y a une crainte dans tous les Etat d’un éventuel retour d’une gestion autoritaire de la chose publique. Ainsi, les forces vives des nations sont invitées à faire montre d’une certaine vigilance en soutenant seulement les décisions d’intérêt général s’inscrivant aux antipodes des pratiques autoritaires, a-t-il appelé.
En répondant à une question concernant la présence massive des technocrates dans le champ politique, Hassan Ouarid a répondu que cette présence se justifie par la domination de l’ère de la technologie, mais le problème se pose lorsque le technocrate veut usurper l’identité du politique.
Valoriser les secteurs sociaux
Ce qu’il faut prendre en compte, c’est que la pandémie a mis a nu certains «postulats» économiques tant prêchés par les néolibéraux et qu’aujourd’hui on assiste à une forte demande pour le retour pour l’Etat-providence, a-t-il expliqué.
Le Maroc ne peut point rester à l’abri de ces changements, d’où l’importance de se doter d’une vision globale pour fixer d’abord les priorités et non pas seulement adopter des mesures sectorielles.
Une vision globale requiert la valorisation des secteurs de la Santé et de l’Enseignement en veillant à revoir l’architecture éducative, et la formation d’un nouveau citoyen imbu des valeurs universelles.
«On n’a plus le droit de gérer ces secteurs en se conformant à une logique de marchandisation», a-t-il plaidé.
Certes, il existe une prise de conscience des problèmes urgents, mais ce n’est pas suffisant, car la situation impose à prendre des actions concrètes.
Grosso modo, il faut faire prévaloir l’esprit d’écoute, un management participatif et les valeurs de la solidarité, a-t-il déclaré avec insistance.