Faouzi Bensaidi: «Je suis un pessimiste heureux»

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Faouzi Bensaidi est l’invité de marque de la 17ème édition du festival du court métrage méditerranéen de Tanger. D’ailleurs ses deux bijoux «Le mur» et «Trajets» ont été projetés en format 35mm lors de l’ouverture. Un cinéaste qui a une vision, une touche cinématographique propre à lui. «Je pense que faire un film doit être un acte de foi. C’est un acte de création. Il faut se donner totalement à son art pour faire quelque chose de touchant, de valable, quelque chose qui peut résister avec le temps. Beaucoup d’œuvres ont fini dans l’oubli de l’Histoire», a-t-il confié à Al Bayane.  Rencontre avec le réalisateur.

Al Bayane: Le public du festival du court métrage méditerranéen de Tanger a eu le plaisir de découvrir et redécouvrir les deux films «le mur» et «trajets» qui ont été projetés en format 35mm. Il en était votre sentiment notamment avec ce passage au numérique qui a envahi le monde?

Faouzi Bensaidi: C’est vrai que malheureusement on est passé au numérique, et on ne peut pas faire de marche arrière. C’est une discussion purement industrielle. Et je pense que dans l’histoire du cinéma à chaque fois qu’il y avait des changements techniques pour qu’on puisse avancer,   j’ai l’impression que ce virage numérique n’est pas tout à fait extraordinaire  parce qu’il y a par exemple  une destruction des métiers qui sont importants, qui sont en voie de disparition. En fait, il  y a une logique plus commerciale, capitaliste derrière qui m’énerve un peu. A vrai dire,  il y a une réduction du temps du travail, du coût et des producteurs vont au fond, mais je ne suis pas sûr  que ces changements qui ne  seront pas parfois au profit des œuvres. Le temps réflexion est nécessaire pour le film.

Aujourd’hui,  la machine du montage va plus vite.  Or,  auparavant, les films prenaient du temps ! Des films qui sont faits dans les règles de l’art. C’est un temps de réflexion qui était nécessaire aux films. Aujourd’hui, on coupe la pellicule dans tous les sens, et ça fait de moins en moins des films réfléchis, conçus, structurés dans le bon sens c’est-à-dire il manque ce temps de réflexion qui n’a pas changé. La machine va vite, mais l’homme ne va pas vite plus qu’avant. Il y a toutes ses choses là que je ne trouve pas assez extraordinaires. Au montage, il y avait toujours un assistant parce qu’il y avait les rushes à gérer, de la pellicule à gérer et beaucoup de travail. Maintenant, il y a un ordinateur et un monteur qui travaille tout seul. Donc, il y a un métier qui se perd. Il y a plein de choses qui me désolent un peu.

Dans votre film «Le mur», on est dans cette espèce de théâtralisation si n’osons dire dans un espace à la fois ouvert et clos. A  vrai dire,  tout se passe comme si on était devant une pièce de théâtre avec un rythme trop accéléré et beaucoup de mouvements, de scènes et de personnages qui passent devant une caméra fixe.

Pour moi ce qui était intéressant dans ce film, c’est à la fois revenir à l’origine du cinéma même avec une caméra et des acteurs. Donc on est totalement dans le cinéma. On est dans l’origine même du cinéma avec ce film et en même temps on est dans ce qui est piqué au théâtre et de le rendre cinématographique, si je peux dire. Ça peut ressemblait au théâtre, mais ce n’est pas du tout du théâtre ! C’est du cinéma, mais du cinéma qui se permet de mélanger les genres et de prendre le bien du théâtre et de le faire dans le cinéma.

Revenant au film «Trajets», il y a cette espèce de mélancolie si n’osons dire poétiser cinématographiquement. Il y a aussi cette solitude humaine traitée par des personnages qui sont complexes. Qu’est ce que vous inspire  la mélancolie?

Oui. Je suis un pessimiste heureux.   J’ai un amour infini aux gens, à leur complexité, à des difficultés de vivre parfois et au courage de vivre. Il faut le dire, vivre est un courage ! En même temps, le regard lucide sur le monde et sur sa cruauté fait que cette noirceur existe dans les films et de pessimisme. Mais c’est pessimisme joyeux, mais c’est un pessimisme avec de l’énergie. Je crois qu’on ne sort pas abattu des films. Il y a quelque chose qui nous donne de l’énergie dans les films. Une énergie du désespoir.

Comme vous savez le sujet de l’état lamentable de certaines salles de cinéma remonte sur la surface. En effet, beaucoup de salles comme «Alcazar» à Tanger, «Opéra» à Salé, «Bijou»  à Fès, «Scala» à Essaouira sont en voie de disparition. Cet interpelle sans doute.

On connait cette espèce de tragédie des salles de cinéma au Maroc qui sont entrain de fermer ou qui sont fermées pour des raisons multiples, qui sont liées à l’environnement culturel, qui sont liées à la place de l’individu dans la société… Il faut se poser ces questions à la place de la culture, mais aussi à l’offre qui peut arriver par la télévision ou par internet. La question est liée aussi à l’état des salles  dont beaucoup sont devenues dans un état lamentable où un public qui cherche une projection digne de son nom. En outre, on est attaqué par autre chose qui est par exemple l’arrivée des plateformes comme Niteflix qui sont les ennemis de la salle et qui font une proposition qui n’est pas trop chère. Et je me pose toujours la question sur la qualité de ces films.

Sur ce sujet de la qualité: que vous pensez de certains réalisateurs qui ne font  du court métrage que pour en arriver au long sachant que la plus part du temps ce choix a un impact parfois négatif sur la qualité de ces films?

Je suis d’accord. Je pense que faire un film doit être un acte de foi. C’est un acte de création. Il faut se donner totalement à son art pour faire quelque chose de touchant, de valable, quelque chose qui peut résister avec le temps. Beaucoup d’œuvres ont fini dans l’oubli de l’Histoire. Il faut créer quelque chose qui restera de nous. En d’autres mots, il faut faire ce métier avec ses tripes.

Ce vendredi et dimanche, la ville de Rabat abrite les premières assises des industries culturelles et créatives dont le cinéma aura une place importante dans les débats. En tant que réalisateur et cinéaste, pensez-vous que le Maroc a une vraie industrie cinématographique?

Je pense qu’on est entrain de la construire, et ses assises sont les bienvenues pour pouvoir ouvrir un dialogue entre les industriels, les professionnels du métier, les responsables et les hommes d’affaires. Le cinéma est un art et une industrie, c’est un marché qui coûte trop cher. Donc s’il y a un intérêt pour développer une industrie, je pense que c’est une bonne chose. Je crois aussi que les cinéastes, les producteurs ont des choses à se dire. Et c’est une très bonne chose!

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