Révision du Code de la famille
Mohamed Khalil
Après plusieurs mois de consultations avec le tissu politique, social et celui de la société civile, la Commission chargée de la révision du Code de la famille mise en place par SM le Roi en octobre 2002, a rendu sa copie. A charge du gouvernement d’en tenir informée l’opinion publique de la teneur des principaux amendements proposés pour la révision du Code de la Famille, comme exigé par le Souverain, en attendant que le projet final de cette révision sera soumis, probablement durant la session de printemps au Parlement pour adoption.
Fortement attendu l’est également l’avis royal sur certaines questions délicates, sui sera certainement un point fort lors des débats parlementaires attendus et promettent d’atteindre des degrés d’affrontements des idées, au vu des tenants de la thèse dite « traditionnelle », qui voudraient s’en tenir à la religion et rien qu’à la religion, sans prendre en considération les mutations que le Maroc, les Marocaines et les Marocains ont connu durant les deux dernières décennies et la nécessite d’insuffler un nouveau rythme aux réformes du Code de la famille, par l’introductions de nouvelles générations de décisions à l’air du temps.
Car l’on a toujours en mémoire les deux grandes manifestations de 2000, qui avaient mis en lumière la fissure de la société marocaine et sa bifurcation en deux clans diamétralement opposés, avec un combat, presque frontal, entre les modernistes et les traditionnels, concernant le plan d’action présenté à l’époque par Mohamed Saîd Saâdi, ministre de tutelle dans le gouvernement de Abderrahmane Youssoufi.
Encadrant le débat en cours maintenant dans notre société, SM le Roi l’a situé dans les efforts de la modernité, en appelant les oulémas et les politiques à recourir à l’IJTIHAD – l’interprétation éclairée de la religion- pour réaliser des avancées substantielles en faveur de la femme marocaine et du pays.
Indéniablement, après la Constitution révisée en 2011, la réforme du Code de la famille représente le plus important chantier du règne de SM Mohammed VI. Même si le pays marche, sur ce plan, à pas de tortue, l’essentiel est de vaincre les réticences du monde religieux et conservateur, de ne pas choquer frontalement les esprits et de réaliser des progrès au profit de la femme marocaine, victime de tant d’injustice ancestrale, et de la société marocaine amputée, depuis longtemps, de sa force complémentaire dans le développement et l’instauration d’une société de justice et d’égalité.
Le Maroc semble opter pour la politique des petits pas et envisage des solutions consensuelles sur des questions très sensibles, relevant du Coran et du rite malékite, sans s’y opposer frontalement.
Il faudra dire que chez nous, à chaque fois, l’on a opté pour le minimum syndical consistant en la reproduction de textes de la chariâa et du rite malékite, avec quelques ouvertures et consensus mesurés pour progresser sur la voie de la modernité.
Stopper les « apprentis-sorciers »
Mais les combats de la femme marocaine ne datent pas d’aujourd’hui. Déjà, il y a plus de 8 décennies, la Marocaine avait battu le pavé pour revendiquer l’indépendance du Maroc, tout en levant l’étendard de l’émancipation en luttant pour sa dignité et ses droits. Et s’il y a débat aujourd’hui, il faudra en rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui étaient précurseurs en matière d’amélioration de la condition féminine au Maroc.
Aujourd’hui encore, le problème n’est pas de couper la poire en deux, mais c’est surtout de maintenir des dérogations qui donneront à bien des apprentis sorciers de profiter de l’amalgame au détriment de la loi et de la femme.
C’est encore le cas, notamment, dans le texte dernièrement élaboré, des questions injustes comme le sont l’âge du mariage, fixé à 18 ans mais jouissant de certaines dérogations, ou encore de la question de l’héritage maintenu au détriment de la part légale de la femme qui restera la moitié de celle de l’homme, mais, heureusement que le nouveau texte offre aux parents animés par une justice féminine l’opportunité légale de recourir à des donations spécifiques en faveur des filles afin de réparer l’injustice que constitue la moitié de l’héritage et de la part accordée à l’homme. Ou encore celle de la polygamie soumise encore à des dérogations qui laissent la porte ouverte aux manipulations et aux interprétations.
Car il ne faudra pas tabler sur une reconnaissance explicite, par les oulémas, des dysfonctionnement flagrant de certains préceptes religieux ou, encore moins, l’octroi de leur part d’une caution explicite en matière de changements dans le Code de la famille, notamment en matière de mariage, de répudiation, de polygamie ou d’héritage, en liaison directe avec les textes coraniques. A côté d’autres divergences, avec la société politique et civile, sur certains aspects du nouveau code comme le sont la garde des enfants, la pension alimentaire, le statut des mères célibataires, la reconnaissance de la paternité, le partage des biens…
Il est vrai que l’ordre patriarcal continue à régner dans notre société, certes beaucoup moins qu’auparavant. Les mentalités rétrogrades et conservatrices ne veulent pas désarmer ni évoluer, en dépit des mutations de la société marocaine. Les sociétés d’aujourd’hui, surtout dans les pays musulmans, exigent le travail des hommes et des femmes. Et nous sommes trop loin de l’époque où l’homme était considéré comme le seul porteur des ressources du foyer conjugal.
La seule manière, pour ne pas affronter de face cette réalité, est de recourir, de manière sage et modérée, à l’intelligence humaine pour démontrer les contradictions apparues, depuis 622, surtout en matière d’héritage et de polygamie, et de les contourner, en ignorant le référent religieux pour une justice dans l’héritage et l’abolition d’une polygamie qui n’a plus aucune raison d’être.
Sans cela, aucun progrès social, culturel et économique n’est assuré pleinement.