Le film amazigh en quête d’une place au soleil

Entre amateurisme et professionnalisme

DNES à Agadir Mohamed Nait Youssef

Les années 90 étaient véritablement le point de départ du film amazigh, notamment avec les films vidéo. À l’époque, ces expériences portées à l’écran par des réalisateurs  tels Lahoucine Bouizgaren et Mohamed Mernich ou encore Archach Agourram faisaient un tabac. Aujourd’hui, les temps, les moyens et visions ont changé. Surtout avec la venue d’une nouvelle génération de cinéastes, entre autres, Mohamed Amin Benamraoui (Adios Carmen), Ahmed Baidou (Aghrabou)  Mohamed Fauzi, alias «Aksel Rifman» (Monsters).

Les commencements…

«Depuis les années 90, le film amazigh a connu une évolution très importante sur le plan quantitatif en produisant des films. Mais, en initiant la chaîne Tamazight et en organisant des sessions de formation organisées par l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) en matière de l’écriture du scénario, ce film a connu plus ou moins des avancées remarquables. En revanche, sur le plan qualitatif, le film amazigh fait toujours face à plusieurs entraves, notamment celles qui concernent le scénario et l’écriture cinématographique.», nous confie le chercheur et acteur amazigh, M’hamed Sallou.

Pour Azarual Fouad, chercheur à l’IRCAM, l’expérience de la vidéo était le vrai commencent du film amazigh. «Le soutien au cinéma et le lancement de la chaîne amazighe, les productions cinématographiques ont connu quand même un certain essor. Or, la plupart des films sont le fruit des initiatives personnelles.», a-t-il déclaré à Al Bayane.

Selon lui, la quantité est là, mais il reste encore un chemin à faire afin de produire des films de grande qualité. «Beaucoup de films qui ont été produits aujourd’hui manquent de créativité, d’accompagnement et de formation. La preuve : il y a une certaine reproduction des stéréotypes et des clichés où les sujets traités manquent de profondeur et d’esthétique.», a-t-il souligné.

L’écrivain, poète et chercheur, Ahmed Assid n’y va pas par quatre chemins. «Le film amazighe a commencé à travers la vidéo en 1993 par des amateurs comme Lahoucine Bouizgaren qui avaient réalisé «Tamghart N’ourgh» et Mohamed Mernich  ou encore Agourram et d’autres qui ont réalisé «Butfunast». C’étaient des films vidéos adressés au plus grand nombre. C’est-à-dire, les femmes au foyer, les commerçants, les couches populaires. Et puisqu’ils s’adressaient à un public qui n’avait pas de formation en matière du cinéma, donc il suffisait de filmer «La halqa».», a-t-il affirmé dans un entretien accordé à Al Bayane en marge de la 13ème édition du Festival Issni N Ourgh international du Film Amazigh (FINIFA) qui a eu lieu du 29 septembre au 03 octobre au cinéma Sahara.

À  l’époque, poursuit-il, il n’y avait pas réellement les structures d’un film ou d’un cinéma. «C’était un travail d’amateur avec des moyens du bord. C’est pour cette raison, qu’on n’osait pas parler de cinéma pendant les années 90. Alors, on disait uniquement le film amazigh. Par ailleurs, avec la création de l’IRCAM en 2001, on était conscient du rôle important de la  formation. », a-t-il fait savoir.

Scénario et distribution : les bêtes noires…

Avec quelques exceptions qui se comptent sur les doigts d’une main, il faut dire aussi le problème du scénario est considéré comme l’une des entraves freinant le développement du film amazigh. 

«Dans le bon nombre de films amazighophones, on trouve des textes ou encore des intrigues qui sont enfermés dans les sujets de la campagne, des montagnards… En d’autres termes, on n’a pas pu sortir de cette représentation de l’amazighe du Maroc profond, pleine de clichés et stéréotypes, qui porte  parfois atteinte à l’image de l’amazighe en particulier et du cinéma amazighophone en général.», a révélé M’hamed Sallou.

Azarual Fouad a pointé, quant à lui,  du doigt sur le problème du scénario et de l’écriture. «En général, on n’a pas de bons scénaristes pour produire des textes au-delà du traitement enfermé de la culture et de l’identité amazighes.», a-t-il dit.

Aux côtés du scénario, il y a aussi les problèmes de la distribution et de la diffusion qui constituent de vraies bêtes noires pour le film amazigh et bloquent son développement.

Dans ce cadre, M’hamed Sallou estime que la distribution est l’un des problèmes entravant le développement du cinéma amazighophone. «Les salles de cinéma ne programment pas ce genre de cinéma et une seule chaîne consacrée à l’amazighe ne peut pas répondre à toutes les attentes.», a-t-il indiqué.

De la formation avant toute chose…

Afin que le film amazigh réponde aux différentes attentes, il est nécessaire, voire indispensable d’investir dans la formation, l’accompagnement et l’encadrement des jeunes réalisateurs, scénaristes et  techniciens.

«Pour le film amazighe, on était conscient de la nécessité de former une nouvelle génération de cinéastes amazighes dans tous les domaines: la réalisation, le scénario, la lumière, le son… pour arriver finalement à un bon film comme «Adios Carmen» de Mohamed Amin Benamraoui qui était en fait le commencement du cinéma amazighe, parce qu’il y avait un vrai réalisateur, un vrai directeur d’acteurs et un vrai scénario.», a rappelé Ahmed Assid. Et d’ajouter : «On peut dire aujourd’hui, qu’on a une nouvelle génération de réalisateurs et de cinéastes et de scénaristes qui auront un grand avenir dans ce domaine.»

Azarual Fouad n’a pas manqué, lui aussi, d’insister sur les rôles primordiaux de la formation et de l’accompagnement. «On a besoin plus que jamais des formations en matière de l’écriture du scénario en explorant d’autres sujets et histoires plus originaux. Car, un bon scénario est la moitié d’un film.», a-t-il expliqué.

De l’amateurisme au professionnalisme…

Aujourd’hui, surtout avec l’avancement des technologies, le développement des cinémas et l’émergence de nouveaux publics plus exigeants, le film amazigh devrait passer de l’amateurisme au professionnalisme. C’est désormais une nécessité.

«Il faut mettre les jalons d’une industrie cinématographique amazighophone en investissant davantage dans la formation parce que le cinéma est un domaine regroupant un ensemble de métiers et des professions : l’écriture, la réalisation, le montage, le décor…», a revendiqué M’hamed Sallou. D’après lui toujours, c’est  le cinéma documentaire qui a aujourd’hui le vent en poupe.

«Je pense que l’avenir du cinéma amazighophone est dans les films documentaires. Mais, il faudrait un accompagnement des cinéastes et réalisateurs qui travaillent dans ce domaine parce que ces documentaires garantissent la préservation de la mémoire, des valeurs, de l’identité et de l’histoire amazighes.», a-t-il souligné.

Contrairement au film, le théâtre amazigh a pu tracer son chemin en marquant sa forte présence dans le paysage théâtral et artistique national et même continental.

«J’espère que le film amazighe fasse le même parcours que celui du théâtre amazigh qui est toujours présent avec trois ou quatre spectacles, qui prennent part au festival national du théâtre.», a confié Azarual Fouad.

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