Le masque, l’accessoire et le symbole

Le marché de la pandémie

Mohammed Bakrim

«Il y a des visages plus beaux que les masques qui les couvrent»

Jean-Jacques Rousseau

En cette période de pandémie, il n’y a pas que le virus qui circule. Tout autour, il y a un vaste marché qui voit circuler une multitude de signes, des objets comme des mots ; matériels et immatériels.

Dans le domaine économique, cela a généré toute une industrie ; pour certains secteurs, ce fut même l’embellie. L’année du Covid 19 aura été celle de tous les records de production et de chiffres d’affaires. Je pense en particulier à tous les produits en liaison avec l’hygiène, la désinfection, le nettoyage…Mais l’objet qui restera  le plus emblématique de cette période est le masque. Notamment depuis qu’on a décrété son port obligatoire. Il entrera certainement dans les annales de l’histoire, comme un repère chronologique.

Dans le très beau film d’Ahmed Bouanani, Mémoire 14 (1971), le narrateur de la séquence d’ouverture cite quelques grandes dates de l’histoire du pays du point de vue de la mémoire populaire en citant par exemple «année de la gazelle», «année des sauterelles», «année du sabre et du canon» … On peut dire dans ce sens que la mythologie populaire ne manquera pas d’inscrire dans ce registre «l’année du masque».

Un masque qui se décline sous toutes les formes et toutes les couleurs. Il a commencé par être un objet rare, tant recherché lors de la première phase du confinement. Dans les grandes surfaces, on s’arrachait les sacs de farines et les boîtes de masques. Puis il s’est banalisé avec la reconversion de plusieurs unités industrielles en  pourvoyeur de masques. Le pays s’offrant même le luxe d’en exporter.

Devenu disponible, presque banal dans le circuit, il a gagné cependant en légitimité puisque, un peu partout dans le monde, le masque est considéré comme l’un des derniers remparts contre un virus implacable. Un virus terrible mais démocratique : il a mis sur un pied d’égalité dans leur impuissance,  le Maroc et les Etats-unis, le Yémen et la France.  Cela n’a pas manqué de produire des images fortes.

Cela va de l’image édifiante du jury de la Mostra de Venise, tout un beau monde qui arpente le célèbre tapis rouge du lido…masqué avec en  symbole le beau visage camouflé de la présidente Cate Blanchett…jusqu’à l’image de ces jeunes filles casablancaises qui  choisissent des masques flamboyants mais  les mettant pratiquement autour du cou comme un accessoire de beauté.

Ce petit objet à une longue l’histoire ; elle est marquée par son usage métaphorique ; il est toujours pris comme une connotation, comme une figure de rhétorique. Un usage métonymique courant est illustré par le théâtre où l’un renvoie à l’autre. Il a toujours accompagné les pratiques cérémoniales de l’homme. Toutes les sociétés en usent, du déguisement au travestissement. Cette valeur symbolique chargée de mystère en a fait un objet de prédilection des artistes. Au cinéma, Zorro en est une figure populaire. Aujourd’hui, ce sont les spectateurs des rares salles ouvertes qui sont masqués !

Dans le jeu des relations sociales, il est souvent connoté négativement. Dire de quelqu’un « il avance masqué », est une manière de signifier qu’il cache son jeu, pas toujours pour de bonnes intentions. Est-ce pour cela que les gens hésitent à en porter au point que les autorités sont obligées de sévir, y compris parfois d’une manière absurde comme ce fut le cas avec ces citoyens verbalisés à l’intérieur d’un restaurant car ne portant pas de masques !

La pandémie a instauré un nouveau rapport au masque. C’est un adjuvant susceptible d’aider les sociétés à maîtriser la propagation de l’épidémie tout en continuant de vivre. La forte demande pour la reprise de différentes activités, y compris un enseignement sous forme présentielle n’est pas seulement un indicateur de l’épuisement, il exprime aussi un désir d’altérité, un besoin du vivre ensemble…au-delà du masque.

Faisons nôtre cette réflexion pleine de sagesse du philosophe André Comte-Sponville, celui-là même qui nous invite à aimer la vie plutôt que d’avoir peur de la mort : «Le Covid-19, qui fait que nous pensons à la mort plus souvent que d’habitude, pourrait nous pousser à vivre plus intensément, plus lucidement, et même – lorsqu’il sera vaincu – plus heureusement».

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