Le deal du siècle
La montagne a accouché d’une souris : sauf que c’est une souris porteuse de virus mortel pour la paix. Le plan de Trump, dit pompeusement, la «transaction du siècle» pour résoudre la crise du moyen orient, a mis fin à toutes les illusions et a réveillé ceux qui rêvaient d’une potion magique made in Usa pour sortir de l’impasse.
Pire que la déclaration Balfour, le nouveau deal américain porte très loin l’arrogance des puissants en préconisant une démarche qui non seulement bafoue les droits historiques du peuple palestinien mais ne manque pas de dimension humiliante. On comprend alors la colère d’un homme politique de grande expérience, Mahmoud Abbas, diplomate chevronné habitué lors de sa longue carrière à manier les concepts avec mesure et retenue… «Ce n’est pas un Etat, dit-il, c’est un morceau de gruyère ! Qui pourrait l’accepter ?». Colère face à l’ignominie de ce qu’il a appelé avec raison «la gifle du siècle».
Avec raison, en effet car c’est tout un édifice qui s’effondre; tout un programme politique, celui d’une négociation sérieuse aboutissant à une paix entre deux états…Trump vient de le couler. C’est l’avantage avec l’actuel locataire de la Maison blanche: ses formules à l’emporte-pièce, souvent sous forme de tweets, permettent de rendre les choses plus transparentes, débarrassées des oripeaux mensongers de la langue de bois.
Avec lui, on sait au moins ce qu’il en est. A quoi s’en tenir. Et là, le réveil est terrible : nulle colère sous forme verbale, de pétition ou de manifestation, ne peut amener à éviter l’inéluctable. A savoir une révision de l’ensemble du processus politique fondé sur une illusion, un mirage, celui des deux états. Clarifier les enjeux, revenir aux fondamentaux en rappelant par exemple que nous sommes en présence d’une société sans Etat, la Palestine et d’un Etat sans société, Israël. Israël, un état qui doit sans cesse faire face en permanence à une crise de légitimité.
Celle-ci serait possible avec une solution à deux Etats car un état palestinien même ridicule et réduit à epsilon permettrait à un état juif de se justifier aux yeux de la communauté internationale. En fait un piège tendu aux palestiniens.
Je rappelle que la position initiale du mouvement révolutionnaire palestinien moderne (par opposition de celui des années 1920-1930) à savoir l’aile gauche du Fatah, les deux tendances du Front populaire, soutenus par la gauche radicale arabe, était de militer par une résistance populaire de longue haleine pour un seul Etat.
Les Palestiniens avaient eu la lucidité de voir clair dans la nature réelle du conflit qui n’est nullement une question de territoire, de frontières mais de vision et de projet politique. Un projet moderne pour une Palestine unifiée démocratique et laïque. Mais sous la pression des régimes réactionnaires arabes, de l’impérialisme et de la bourgeoisie bureaucratique palestinienne, l’OLP s’est vu acculer à réviser son programme à la baisse et accepter la solution à deux états.
Edawrd W. Saïd avait vu juste lorsqu’il a écrit : «A mon avis, le processus de paix n’a fait, en réalité, qu’éteindre la petite flamme de la vraie réconciliation qui devra nécessairement intervenir si l’on veut que la guerre de cent ans entre le sionisme et le peuple palestinienne trouve une fin. Oslo a dressé le décor d’un divorce, mais la véritable paix ne peut découler que de l’instauration d’un Etat (unique) binational israélo-palestinien».
Aujourd’hui la seule thèse crédible qu’il s’agit de rappeler et de défendre, au lieu de crier sans cesse au loup est d’appeler à une solution d’un seul état bi-national, comme phase de transition dans la perspective révolutionnaire d’un état démocratique et laïc. Beaucoup d’intellectuels, de chercheurs de politiciens, juifs et palestiniens…défendent de plus en plus l’idée d’un état binational ou sur le modèle de la nouvelle Afrique du sud qui a mis fin à l’apartheid.
Le livre, «Un Etat commun entre le Jourdain et la mer», de deux écrivains israéliens, Éric Hazan et Eyal Sivan, défend avec des arguments historiques et politiques, l’idée qu’il ne peut y avoir de solution «à deux États», et seule la perspective de l’État commun peut conduire à une paix fondée sur la justice et l’égalité. Ils rejoignent ainsi le constat d’Edward Saïd: «une fois que nous aurons acté que les Palestiniens et les Israéliens sont là pour rester, la conclusion décente qui s’impose ne peut être que le besoin d’une coexistence pacifique et d’une réconciliation authentique dans le cadre d’un Etat israélo-palestinien».