«L’intégration, une démarche totale et définitive»

du conseil national des droits de l’Homme (CNDH) ont souligné le rôle incontesté des associations de migrants dans la mise en œuvre de cette politique pour une intégration réussie des migrants au Maroc. Dans cet entretien, Marcel Amiyeto, président de l’association Afrique Culture Maroc (ACM) créée en 2014 au lendemain de l’adoption de la nouvelle politique migratoire, revient sur la problématique de l’intégration des migrants au Maroc. Les détails.

Al Bayane : La semaine dernière, le ministère des MRE et des affaires de la migration a organisé le 3e forum annuel de l’immigration. In brief, quel bilan faites-vous aujourd’hui en matière d’intégration des étrangers subsahariens au Maroc ?
Marcel Amiyeto : Il y a différentes façons d’aborder cette question d’intégration. On pourrait l’approcher, notamment suivant trois aspects : économique, socioculturel et éducatif. Je peux dire qu’il y a eu des avancées considérables sur ces grands axes. Au niveau culturel et éducatif, il faut saluer les efforts du gouvernement, par le biais du ministère des MRE et des Affaires de la Migration, qui a mis en place des projets éducatifs et de formation dont nous avons nous-mêmes bénéficié. Au niveau social, on peut souligner la régularisation des migrantes, la reconnaissance des associations de migrants, l’octroi de subventions à certaines d’entre elles, la mise en place de dispositifs relatifs à la protection sociale et l’assistance humanitaire aux migrants et aux membres de leurs familles. A titre d’exemple, des mesures ont été prises pour faciliter l’accès libre des migrant(e)s les plus vulnérables et de leurs enfants aux services médicaux. Au niveau économique, l’ANAPEC a mis en œuvre des mesures pour faciliter l’accès à l’emploi. Les migrants régularisés peuvent être directement embauchés sans l’autorisation du ministère de l’Emploi. Tous ces efforts sont à saluer. Il faut souligner d’ailleurs le fait que les autorités ont associé les migrants au processus de mise en œuvre de la politique migratoire. Ce qui est un plus, étant donné que les migrants sont les mieux placés pour plaider leurs causes et évaluer ce qui est prioritaire pour leur intégration.
Mais du chemin reste à faire pour aboutir à des résultats concrets. Il faut noter que l’insertion est d’abord une affaire de personnes et de relations humaines. La nature ou le type de dispositifs mis en place par les institutions est secondaire dans le processus d’insertion des migrants car la clef de la réussite d’une action d’insertion réside effectivement dans la qualité des relations humaines. Par là, j’invite les migrants à s’impliquer davantage là où ils se trouvent pour faciliter leur insertion socioculturelle et économique au Maroc.
Pensez-vous qu’il y’ait aujourd’hui une cohérence en matière d’interventions de la part des différents acteurs du domaine migratoire à l’échelle nationale ? Si non quelles en sont les causes ?
Malheureusement non. Entre ce qui est dit et ce qui se fait sur le terrain, il y a un déphasage. Prenons l’exemple d’une femme migrante voulant accoucher dans un centre de santé et qui se voit renvoyer d’un CHU où on lui demande de payer des frais alors que c’est censé être gratuit pour tous les nationaux et migrants. Le plus grand souci reste le vide juridique. Des textes de loi devraient accompagner cette nouvelle politique afin de faciliter sa mise en œuvre. Nous comprenons que les choses ne sont qu’à leur début, alors il faut patienter. A cela s’ajoute le fait que la plupart des associations de migrants ayant reçu les subventions du Ministère œuvrent dans le même domaine alors qu’il faudrait diversifier les rôles pour couvrir tous les axes de l’intégration, entre autres : l’éducation, la formation, l’assistance, l’insertion sur le marché de l’emploi…
Lors du forum, les responsables du CNDH et du ministère de tutelle ont plaidé pour la mise en place d’un «espace permanent d’échange réunissant les pouvoirs publics, les ONG, les syndicats, le patronat et les chercheurs académiques» pour favoriser l’«évaluation de la mise en œuvre de la politique migratoire et jouer un rôle de médiation». Qu’en pensez-vous ? Quelles seraient les actions concrètes à mettre en place pour que ces recommandations ne restent pas une lettre morte ?
Je crois qu’un tel espace pourra effectivement pallier le problème de cohérence et de coordination évoqué ci-haut. Toutefois, il faut surtout mettre les migrants au centre du débat car on ne peut traiter les questions de la migration sans faire participer les migrants eux-mêmes.
Quant aux actions concrètes à mettre en place, il faut réfléchir aux conditions et aux processus de l’insertion tout en sachant que pour les migrants, l’insertion ne constitue qu’un moyen parmi tant d’autres pour améliorer leurs conditions de vie. Par conséquent, il faut les doter de moyens pour se former et faciliter leur accès au marché du travail au lieu de leur octroyer des aides qui ne font que les rendre plus dépendants et ne changent en rien leur situation. Certes les aides et l’assistance humanitaire octroyées au migrant sont nécessaires mais à elles seules ne suffisent pas. La reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles demeure un outil concret d’intégration plus rapide dans le marché du travail. Elle va de pair avec l’accès aux services de l’emploi, ainsi qu’avec l’apprentissage tout au long de la vie et les parcours de requalification pour ceux qui demeurent sans emploi.
Pour les jeunes migrants, les enfants des migrants, le droit d’avoir accès à l’éducation publique et à la formation devrait être assuré, qu’ils soient en situation régulière ou sans papiers. Il faudrait en outre assurer un niveau minimum de protection aux migrants travaillant dans le secteur informel tels que les petits commerces, l’artisanat, ….
En matière de partenariat, la consultation permanente avec les organisations de la société civile (OSC) doit être maintenue et améliorée afin de renforcer l’efficacité de la future législation qui va encadrer le domaine migratoire.
Aujourd’hui, le rôle des associations dans le cadre de la politique migratoire est attesté. D’ailleurs, selon les propos du président du CNDH lors de ce dernier forum, il est important d’en faire des acteurs majeurs de cette politique. Aujourd’hui, que fait l’ACM ? Quels sont ses objectifs ?
Afrique Culture Maroc (ACM) fait partie des associations partenaires du ministère des MRE et des Affaires de la migration dans la mise en œuvre de cette nouvelle politique migratoire. Depuis son lancement, ACM a apporté sa pierre dans le processus de la régularisation en sensibilisant et en mobilisant particulièrement les migrants subsahariens. Ensuite, nous avons porté avec l’appui du ministère le projet IF «l’intégration par la formation» qui a permis à une trentaine de migrants et migrantes régularisés de suivre une formation d’aide soignante. Nous pensons que l’intégration passe d’abord par la formation. Celle-ci permet aux migrants de se doter de compétences pour assurer leur autonomie et aussi contribuer au développement socio-économique du Maroc, leur terre d’accueil. Contrairement aux stéréotypes et idées véhiculés non seulement au Maroc mais aussi ailleurs, le migrant peut contribuer à l’essor socio-économique et culturel du pays où il se trouve. Vu la spécifité du marché de l’emploi au Maroc, nous sommes en train de nous battre pour l’insertion professionnelle des migrants. J’en profite d’ailleurs pour lancer un appel dans ce sens à tous les acteurs pour nous aider de peur que les moyens et efforts consentis ne soient vains.
Nous menons également un autre projet sur le «renforcement organisationnel des migrantes travailleuses domestiques pour un accès aux services sociaux de base et la fin de la traite humaine au Maroc» avec le soutien de l’Union européenne et la fédération internationale des sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge. Ce projet touche le volet de la traite humaine auquel le gouvernement veut mettre fin. Là aussi, ACM apporte sa pierre à l’édifice et son expertise en collaboration avec le Collectif des travailleurs Migrants au Maroc (CTMM) et son partenaire Solidarity Center. En tant que partenaire, nous participons aux réunions et ateliers organisés par le Ministère pour la mise en œuvre et le suivi de la politique migratoire.
Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées les associations œuvrant pour l’intégration des migrants et qui les empêchent de jouer pleinement leur rôle ?
J’évoquerai d’abord le manque de moyens et de coordination entre les associations œuvrant pour les mêmes causes. Pour pallier cela, ACM a signé des partenariats avec d’autres associations afin de se compléter mutuellement en vue de la réalisation de nos objectifs communs. Là encore, certaines associations marocaines accordent peu de crédit aux associations des migrantes, rendant ainsi la collaboration assez difficile pour ne pas dire impossible alors qu’au niveau des autorités et des institutions, nous ne rencontrons pas ces difficultés.
Dans les faits, le processus d’insertion est bien souvent interrompu à cause des obstacles que pose l’administration. Le vide juridique pour régir les dispositifs de la nouvelle politique migratoire ne facilite pas l’application des directives permettant l’accès des migrants en situation précaire aux droits sociaux et services de base. A titre d’exemple, en matière d’accès des migrants aux services de santé gratuit, les mesures annoncées ne sont pas appliquées dans tous les centres de soins et de santé. Concernant l’inscription des migrants  dans les établissements d’enseignement publics, il faut souligner que la procédure n’est pas de tout repos dans les autres établissements hormis l’OFFPPT. Il est demandé aux migrants de passer par la voie diplomatique habituelle, ce qui leur est chose impossible d’autant qu’ils ne remplissent pas toutes les conditions requises. Nous insistons sur le fait que l’intégration passe d’abord par la formation afin de faciliter l’insertion professionnelle. Aujourd’hui encore, sur le marché de l’emploi, rares sont les chefs d’entreprise qui embauchent les migrants à cause des longues et coûteuses procédures administratives. Le constat reste amer car après deux ans de mise en œuvre, le marché de l’emploi au Maroc reste encore assez fermé aux migrants.
Selon vos objectifs, ACM œuvre en vue de l’intégration des migrants au Maroc. Quelle différence faites-vous aujourd’hui entre intégration et insertion ? Ne pensez-vous pas qu’aujourd’hui, le terme intégration est utilisé abusivement et pourtant, ce sont des actions d’insertion qui sont mises en place ?
Je suppose que l’intégration d’un individu au sein d’une société signifie que cette société reconnait les particularités culturelles et ethniques de cet individu et lui permet de participer pleinement à la vie de cette société. La société lui accorde les même droits et devoirs que ses autochtones alors que l’insertion quant à elle limite cette participation. L’intégration respecte aussi l’identité culturelle de l’individu en lui frayant une place au sein de la société tout en considérant le retour au pays comme une possibilité logique de l’immigration. Autrement dit, l’intégration est totale et définitive tandis que l’insertion est partielle et temporaire. De là, on peut affirmer qu’il y a un usage abusif de ces termes.
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