«Nous avons sécurisé l’approvisionnement en eau potable pendant la sécheresse»

Les risques d’une pénurie d’eau sont bien réels et le Maroc court, ainsi, vers une crise hydrique. Le ministère de tutelle ne veut pas attendre son avènement pour réagir. Elle est en première ligne sur les questions environnementales et ne cesse de s’insurger contre la surexploitation des eaux dans certaines régions du Maroc, Charafat Afilal, Ministre déléguée auprès du ministre de l’Énergie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement chargée de l’Eau se confie à Al Bayane sur ce combat.

Al Bayane : A Stockholm et à l’occasion de la semaine internationale sur l’eau, vous aviez brossé un tableau plus ou moins sombre de la crise de l’eau dans le monde et en particulier en Afrique. Concrètement, quel est le degré d’urgence de cette crise et quelles sont les pistes envisagées pour faire face à ce problème ?

Charafat Afilal : L’Afrique qui compte 16 % de la population mondiale reste le deuxième continent le plus sec au monde avec seulement 9 % des ressources mondiales en eau douce (FAO).Si l’Afrique, dans certaines régions, ne manque pas d’eau, sa population manque d’eau potable en raison du déficit en équipements et en infrastructure de production, d’adduction et de distribution d’eau et d’assainissement. Près de 330 millions d’africains subsahariens n’ont pas accès à l’eau potable, soit presque la moitié de la population mondiale utilisant des sources d’eau non améliorée (Nations Unies).

Ce manque d’eau risque d’être aggravé par les effets du changement climatique. La conjugaison de certains facteurs géographiques et économiques, ajoutée à une dépendance à l’égard des ressources naturelles de base, font de l’Afrique le continent le plus vulnérable aux effets du changement climatique. Cette vulnérabilité compromet le développement du continent et met en péril des millions d’africains et leurs moyens de subsistance. La part de la population africaine qui pourrait être confrontée à un stress hydrique sera plus importante, passant de 47% en 2000 à 65% en 2025.

Pour faire face à cette situation et atteindre les Objectifs de Développement Durable pour ce continent, il faut multiplier les efforts et consolider et renforcer les initiatives lancées ces dernières années dans l’objectif d’établir et de mettre en œuvre un véritable plan de résilience au changement climatique, d’accès aux services de l’eau potable et d’assainissement et de développement durable pour le continent Africain.

A ce propos je tiens à signaler que suite à l’appel des Ministres Africains qui ont participé à la Conférence Internationale sur l’Eau et le Climat de Rabat, une initiative «Water for Africa» sera lancée à l’occasion de la COP 22 pour engager un agenda spécifique pour l’eau et le changement climatique en Afrique.

A Paris, vous aviez annoncé que la COP22 doit faire de l’eau une question prioritaire. A la veille de ce rendez-vous planétaire, peut-on dire que la communauté internationale, la société et plus particulièrement les gouvernements sont conscients de la gravité du problème ?

Déjà lors de la COP21, l’eau a été très présente grâce à de nombreuses initiatives lancées à cette occasion, qu’il s’agira de prolonger et renforcer pour en accroître l’ambition. Au sein de l’Agenda de l’Action, qui sélectionne des coalitions multi-acteurs à fort potentiel transformationnel, trois grandes initiatives ont été présentées : Le Pacte de Paris sur l’eau et l’adaptation au changement climatique dans les bassins, les fleuves, les lacs et les aquifères, dont plus de 340 signataires, la Business Alliance for Water and Climate et l’Alliance des Mégapoles pour l’eau et le climat. La société civile et plusieurs organisations internationales se sont fortement mobilisées pour généraliser la reconnaissance de l’eau au niveau politique durant la COP21 et dans les prochaines éditions.

Ces initiatives doivent se poursuivre et être renforcées lors de la COP22 et bien sûr d’autres initiatives seront lancées lors de cette COP à Marrakech pour défendre davantage l’eau et le climat.

Dans le même sens et grâce à la mobilisation du Maroc, pays hôte de la COP, et aux efforts du Ministère Délégué chargé de l’Eau qu’il y aura une journée réservée à l’eau lors de cette COP22.

Au Maroc, le stress hydrique était cité généralement pour l’agriculture et le monde rural, mais ces derniers temps le phénomène commence à toucher la distribution d’eau potable dans certaines grandes villes, comme Tétouan. Quel est l’ampleur réel de ce stress pour le Maroc et quelles sont les mesures prises pour en atténuer l’impact sur les populations ?

En fait, le Maroc de par sa situation géographique, est très vulnérable au changement climatique. La faiblesse des précipitations dans la majeure partie de son territoire et le caractère irrégulier du régime pluviométrique qui se manifeste surtout par une alternance de séquences humides et de séquences sèches sévères pouvant durer plusieurs années, risque d’être accentué à l’avenir sous l’effet des changements climatiques.

Grâce à la politique de maîtrise et de mobilisation des ressources en eau adoptée par notre pays depuis des décennies, ainsi que l’adoption d’une démarche de planification et de gestion intégrée, nous avons pu sécuriser l’approvisionnement des populations en eau potable même pendant les périodes de sécheresse en plus du développement de l’irrigation et de la production de l’énergie hydro-électrique. Toutefois, avec le dérèglement climatique, il est important de renouveler continuellement la politique de l’eau pour assurer la sécurité hydrique de notre pays.

C’est dans cet esprit qu’un Plan National de l’Eau a été élaboré en concertation avec tous les intervenants. Ce plan prévoit des actions et des mesures combinant la gestion de la demande en eau et le développement de l’offre avec la préservation et la protection des ressources en eau et la gestion des phénomènes climatiques extrêmes à savoir les inondations et les sécheresses.
En effet, en plus de la poursuite de la politique des barrages, les efforts seront multipliés pour le développement de la mobilisation des ressources en eau non conventionnelles à travers le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées dans un cadre de partenariat public privé.

Et sur le plan réglementaire, la nouvelle loi sur l’eau 36-15 publié en Septembre dernier, prévoit que chaque agence de bassin établit un plan de gestion de la pénurie d’eau en cas de sécheresse. Ce plan doit contenir des mesures préétablies selon le degré de pénurie et intégrer tous les secteurs usagers pour une gestion proactive de la pénurie d’eau.

Ceci dit, toutes ces mesures n’excluent pas la survenue de situations conjoncturelles de pénurie en raison de la persistance des situations de sécheresse prolongée comme le cas de Tétouan avec un déficit pluviométrique pendant 3 années successives.

Après Paris et Marrakech, quelle serait, d’après vous la prochaine étape ?

La COP21 à Paris était la COP des engagements à travers l’Accord historique de Paris. Maintenant la COP22 à Marrakech sera la COP des actions pour la mise en œuvre de cet accord. Et les efforts restent à poursuivre pour que la question de l’eau soit pleinement intégrée et pour engager et mettre en place un agenda d’action pour l’eau et améliorer l’accès au financement notamment pour les pays en voie de développement et en premier rang les pays du continent Africain.

Najib Amrani

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