Agadir, le logo de la discorde
Mohammed Bakrim
«Le logo est une signature qui dit une appartenance et indique une promesse»
La polémique autour du logo de la ville d’Agadir est en soi un signe révélateur. Elle indique d’abord l’existence d’une vigilance citoyenne illustrée par la réaction immédiate contre le choix du logo initial identifiant la ville; une réaction sous forme d’une riposte empreinte certes d’une colère contre la médiocrité de la proposition mais nous avons assisté à une riposte positive parce que les citoyens, jeunes et moins jeunes, ne se sont pas contentés de critiquer mais ont inondé la toile de contre-propositions qui visent à corriger les errances esthétiques et l’absence de cohérence entre le culturel, l’artistique et le politique dans la première version du logo proposé. La démocratie par les réseaux sociaux a donc fonctionné à plein régime comme une opposition en marge des institutions traditionnelles.
En outre, cette polémique traduit notre rapport problématique à la modernité y compris par l’intérêt accordé au commerce des signes dans l’espace public. Le débat autour du logo confirme notre entrée dans la civilisation des signes et des images. Et ce n’est pas un hasard si la ville d’Agadir se retrouve au cœur de ce débat. N’est-elle pas le symbole d’une certaine urbanité ancrée dans la modernité par un tragique accident qui l’a propulsée au devant de la scène nationale comme ville de la résurgence?
Un logo fait justement partie de la culture urbaine moderne. Un signe de la civilisation du regard que nous somme en train de vivre. Un des aspects aussi de la société de consommation. Des études ont estimé qu’un individu évoluant dans un environnement urbain est quotidiennement exposé à 1200 logos par jour. Ceux-ci sont véhiculés à travers une multitude de «médias», de supports y compris parfois ou souvent le propre corps de l’individu puisque certains fans de certaines marques vont jusqu’à se tatouer le logo de leur marque préférée ! Cela concerne également les vêtements qu’il porte, les emballages qu’il manipule, les affiches, des murs de sa ville…
Etymologiquement, le logo renvoie à la marque au fer rouge (par le feu) autrefois apposée sur le bétail (image récurrente dans le western classique). Cependant, on peut le définir comme une représentation graphique officielle d’une institution (marque, organisation, ville…). Il est une présence qui renvoie à une absence.
C’est sa fonction sémiotique de restituer, de figurer l’identité d’une instance qui l’a choisi dans ce sens. Il est à ce titre considéré comme l’élément identitaire le plus représentatif et globalisant de la communication d’une organisation ou d’une marque comme la substance de tout un programme symbolique qui relève de l’identité visuelle. Il ne renvoie pas au seul univers marchand, commercial. Des institutions diverses, politiques par exemple, ont leur logo. La réaction spontanée et sincère des citoyens gadiris montre qu’ils sont conscients de cette dimension et qu’un logo n’est pas une simple formalité administrative à gérer d’une manière bureaucratique mais il fait partie de l’environnement culturel de la cité. C’est un élément qui contribue à l’éducation du regard comme le signalait déjà Platon: la cité éduque par les signes qu’elle véhicule. On comprend alors que des institutions font appel à des grands noms du domaine de l’art pour dessiner leur logo, celui de l’Espagne, par exemple, est dessiné par Joan Miro (grand peintre surréaliste catalan).
Le choix du logo relève d’une stratégie culturelle globale. L’intérêt des Gadiris pour le logo de leur ville émane de cette approche. Un intérêt porté par le souci de voir leur ville dotée d’une véritable stratégie d’identité visuelle qui renvoie à son double ancrage dans le temps et dans l’espace; dans la culture et dans la nature. Cet intérêt n’est pas fortuit, il a été déjà exprimé lors du débat sur la dénomination de certaines artères de la ville. Là encore, les choix faits illustraient des aberrations culturelles antinomiques avec l’héritage de la ville.
La critique du logo n’est pas un simple cri de colère. C’est une critique pensée et construite. Le logo étant abordé comme un système de signification polysémique articulant différents invariants plastiques, combinant du non verbal (l’iconique) et du verbal (le texte écrit).
Au niveau verbal une grossière erreur sur la traduction amazighe du mot «ville» a frisé le ridicule avant d’être corrigée, grâce à l’intervention des citoyens, en remplaçant tamdint (cimetière !!!) par igherm (cité). Au niveau plastique, l’allusion à la pyramide a été également mal perçue; aux dernières nouvelles Agadir n’est pas un héritage pharaonique!
Le recours à des éléments récurrents tels le soleil, l’eau, la montagne…a donné lieu à des agencements qui ne manquent pas d’originalité de la part de nombreux jeunes qui ont bénévolement fait des propositions, souvent réussies. Ils ont démontré par leur créativité que le logo ne se réduit pas à un signe aléatoire. Bien au contraire, il a la charge de condenser de façon graphique et visuelle un ensemble de valeurs et de croyances qui font l’identité de la ville d’Agadir.
Le logo est plus qu’une image, il joue plutôt comme un signe plein; une signature qui dit une appartenance et indique une promesse.