Deux films du cinéaste marocain Moumen Smihi font l’actualité culturelle de cette semaine. Il y a d’abord la programmation de son film Tanjaoui à la cinémathèque de Tanger et il y a la projection de son premier long métrage Chergui dans le cadre du cycle Cinéma d’antan (cinéma dbekri) organisé à Rabat par Association des Rencontres Méditerranéennes du Cinéma et des droits de l’Homme, en partenariat avec le Centre Cinématographique Marocain (CCM). Organisé le premier jeudi de chaque mois, l’objectif est de permettre au jeune public et aux cinéphiles de connaitre le patrimoine cinématographique national et de pouvoir en débattre.
Moumen Smihi fait partie de la génération des années 1960 qui a marqué de son empreinte le développement du cinéma marocain. C’est une figure de proue du cinéma d’auteur dans notre pays. Ses films sont portés par un double projet : esthétique et culturel dont l’un se nourrit de l’autre. Dès Chergui en effet Moumen Smihi se positionne dans une démarche de recherche, de quête. Retrouver l’identité et la souveraineté nationale, bafouées par les années de protectorat, ne se réduit pas à la dimension politique (illustrée par la récurrence du drapeau dans ses films) mais passe indéniablement par la réhabilitation de la dimension culturelle. Et au cinéma cela se traduit par la recherche d’un langage libéré des clichés véhiculés par le cinéma narratif dominant. « A l’ère de l’image, la culture n’est plus un luxe, ce n’est plus du superflu. La culture est devenue une priorité. Une immense partie se fait, se vit, se transmet, évolue aujourd’hui par l’image… », écrit-il dans un célèbre article publié dans le numéro 43 de CinémAction (1987). C’est un credo auquel il a été et demeure fidèle. Revoir Tanjaoui aujourd’hui en est une parfaite illustration. Ce film de 2012 fait partie de la trilogie autofiction ouverte par Elayel (Le gosse de Tanger 2005). Mais le film ne se réduit pas à la simple évocation nostalgique des années de la jeunesse (les années 1960). C’est une véritable chronique culturelle et politique d’un pays, d’une ville et d’une génération. Le titre complet du film, Peines de cœur et tournements du jeune Tanjaoui Larbi Salmi ouvre sur une référencialisation littéraire avec une allusion aux souffrances du jeune Werther de Goethe cité par ailleurs dans le récit.
Tout le récit évolue en effet dans un jeu de citations, de références et de mise en abyme (clin d’œil au cinéma, au théâtre…). Une intertextualité pour dire l’altérité que la première séquence met en place d’emblée : la famille de Larbi débarque dans une nouvelle maison du quartier européen de la ville de Tanger. Toute la suite des événements est une variation sur ce thème de passage : de l’adolescence à la jeunesse engagée ; de la tradition à la modernité, de l’intérieur à l’extérieur ; de Tanger à Rabat ; du Maroc à l’étranger.
Le film est en outre très marqué politiquement, je m’étonne qu’il ne soit pas cité dans les films abordant les années de plomb. Tanjaoui est truffé de débats politiques dans la grande tradition des années 1960 ; et rend un hommage discret aux militants de l’UNEM et du parti communiste marocain. Il mérite d’être (re) vu à Tanger et ailleurs.
Tanjaoui, 2012, L.M, 99 mn, couleurs à la Cinémathèque Rif Tanger
Chergui ou le silence violent, 1975, L.M, 90 mn, salle 7ème art jeudi 2 juin 2016 à 18H (projection suivie d’un débat)
Mohammed Bakrim