Témoignage du fils : Nationaliste, Communiste et Marocain !

La première raison, suffisante en elle-même, est qu’à sa naissance, l’Algérie n’existait pas en tant qu’Etat souverain et indépendant et qu’à l’indépendance de ce pays voisin, en 1962, Ali Yata avait depuis fort longtemps exprimé et prouvé sa marocanité. Cette marocanité qui l’amena, de la décennie quarante, en tant que premier dirigeant du Parti Communiste marocain, à connaître les prisons du colonialisme français, à Casablanca (Al Ghbila,), Alger(Barberousse), Marseille (Les Baumettes), Paris (Fresnes, la Santé) avant de « fréquenter », au temps des années de plomb, celle de Derb Moulay Chérif (1963), ou encore El Alou (1969-1970), en tant que Secrétaire général du Parti de la Libération et du Socialisme, PLS…

 

Ali Yata, était né d’un père kabyle, Si Saïd, qui, après des études supérieures en Droit à l’Université d’Al Azhar au Caire, avait quitté l’Algérie sous domination coloniale française « sans espoir de retour », pour s’installer en 1911, avant donc l’instauration du Protectorat franco-espagnol au Maroc, à Tanger, où il devint traducteur interprète à la Régie Internationale des Tabacs. Sa mère, Fatima Ben Amar, était marocaine et tangéroise et Ali Yata reçut dans la ville du Détroit la meilleure des éducations, en suivant notamment les cours et leçons d’un Alem qu’il respecta profondément tout au long de son existence, Si Abdallah Guennoun. La famille Yata s’installa en 1933 à Casablanca, dans les demeures toutes neuves à l’époque de la Nouvelle Médina, au 5, place de la Mosquée. Le jeune Ali suivait en parallèle les cours du Lycée Lyautey et ceux de maîtres et nationalistes de la première heure comme Si Bouchta Jamaï ou Ahmed El Chinguitti, qui lui donnèrent à la fois une culture arabo-islamique de grande qualité, l’amour du Maroc et la volonté de lutter pour son indépendance et sa souveraineté. C’est ainsi que sous la tutelle et l’égide de Bouchta Jamaï, Ali Yata fut un membre actif des premières cellules du Parti National à Casablanca, (Hizb Al Watan), dès 1940, avant d’adhérer au Parti Communiste Marocain, (dominé à l’époque par des militants français) en décembre 1943, tout en continuant à entretenir des relations étroites avec les membres du Parti National. Cela lui donna notamment l’occasion d’assister, en 1942, chez Bouchta Jamaï à Casablanca, à une réunion au cours de laquelle Ahmed Balafrej fit compte rendu des contacts entretenus avec certains responsables allemands, dont Von Ribbentrop… De même, Ali Yata signa à titre personnel la pétition qui accompagna le Manifeste de l’Indépendance (11 janvier 1944) même s’il était déjà un militant ardent du communisme, enthousiasmé, selon ses propres paroles, par la victoire de l’Armée Rouge sur les armées hitlériennes à Stalingrad ! Voici ce qu’écrit le professeur René Galissot, spécialiste des mouvements ouvriers en Afrique du Nord, sur le parcours initial d’Ali Yata au sein du PCM : « À l’école du quartier du Maarif, Michel Mazzella fit la connaissance d’un jeune enseignant d’arabe : Ali Yata, qui participait aux cercles de jeunes nationalistes marocains avant d’adhérer au parti communiste. Quand en juillet 1944, Léon Sultan s’engagea dans l’armée française de débarquement en Europe, c’est sur Mazella et Henri Lafaye qui suivait surtout l’action syndicale, que reposa la direction du parti communiste ; en février 1945, Ali Yata entrait au secrétariat du parti communiste. L’infléchissement du mouvement communiste dans les trois pays d’Afrique du Nord comme ailleurs, amorcé à l’été 1946, poussait à une meilleure représentation des nationaux aux côtés des « Européens » dans les instances du parti et des syndicats. C’est alors Ali Yata qui présenta le rapport politique au comité central des 3 et 4 août 1946, évoquant la fin du Protectorat et l’élection d’une Assemblées nationale souveraine ». Ceux qui écrivent donc que feu Ali Yata était « un Algérien » commettent une grossière erreur, parce que celui-ci a toujours montré son attachement au Maroc, dès son plus jeune âge. C’est d’ailleurs pour cette marocanité intransigeante et irrévocable que l’admirable romancier algérien Kateb Yacine, lui écrivit dans la dédicace de son roman Nedjma, paru en 1956 : « À Ali Yata, à qui je ne pardonnerai jamais d’avoir préféré le Maroc à l’Algérie »… D’autres faits et témoignages attestent amplement de cet amour patriotique pour le Maroc qu’Ali Yata ressentit tout au long de sa vie. Trois d’entre eux méritent peut-être une évocation plus précise, pour inciter seulement les jeunes journalistes à travailler plus sérieusement leurs sujets quand l’Histoire du Maroc est interpellée… Le premier de ces faits est l’inculpation par le Tribunal militaire de Paris, en 1952-1953 de feu Ali Yata pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de la République française. Ali Yata était alors emprisonné à Fresnes, puis à la Santé et le Procureur de la République réclama à son encontre la peine de mort, présentant l’inculpé comme « un dangereux communiste et agitateur » qui avait pour objectif d’arracher l’indépendance du Maroc ! Le dirigeant communiste marocain, qui fut exilé de son pays natal jusqu’en 1957, sur ordre du Résident général Juin en 1952, fut parmi les trois personnalités à bénéficier de la nationalité marocaine par décision de feu SM Mohammed V et de feu SM Hassan II, alors Prince héritier, pour leur engagement dans la lutte pour le recouvrement de la souveraineté du Maroc. Ce Dahir royal a été publié au BORM en date du 6 septembre 1958 et concernait les défunts Mouloud Mammeri, originaire de Kabylie, précepteur de feu Hassan II, Abdelkrim Khatib, né à El Jadida d’une famille originaire de Mascara, dans l’ouest algérien, Ali Yata, né à Tanger, d’un père kabyle (né à Darna) et d’une mère tangéroise. Enfin, pour clore ce rappel édifiant sur le parcours patriotique d’un authentique fils du peuple marocain, citons des extraits d’une conférence de presse tenue le 8 mai 1973 au Club de l’Union des Écrivains du Maroc à Rabat par feu Ali Yata, alors secrétaire général du PLS clandestin et consacrée à la présentation d’un livre « le Sahara Occidental Marocain ». Il y déclarait dans son allocution liminaire : « Notre pays est encore amputé d’une importante partie de son territoire, tant au Nord qu’au Sud. En particulier, l’Espagne franquiste maintient sous son joug notre Sahara Occidental et rien, pour l’instant, ne laisse présager qu’elle compte le rétrocéder à la mère-patrie… » « Les puissances impérialistes et néo-colonialistes encouragent vivement cette opération de rapine alors que certains pays frères semblent la bénir sous cape, ne faisant pratiquement rien pour la mettre en échec… au point qu’il est permis de se demander si d’aucuns ne rêvent pas de voir le Maroc à jamais privé de son Sahara Occidental, ce qui rendrait possible son encerclement, faciliterait sa domestication et permettrait la réalisation de certaines ambitions ». Comment écrire ou croire après cette vision prophétique, inspirée par un patriotisme vrai et ardent qu’Ali Yata était « cet Algérien qui devint chef du Parti Communiste Marocain » ?

(*ce texte écrit de la main du fils du défunt  Ali Yata a été publié sur l’Hebdomadaire «La Nouvelle Tribune en date du 20 mai 2010)».

Un communiste musulmam

 

Un demi siècle durant , le communisme et l’idéologie marxiste-léniniste au Maroc se sont identifiés au camarade Ali Yata. Dès les années 70, il fait tomber son mur de Berlin grâce à un pragmatisme fondé sur son concept de la «révolution nationale démocratique». Un précurseur qui a plaidé pour un socialisme inspiré de la réalité marocaine. Portrait.

Encore jeunes dans les années soixante, nous nous considérions déjà comme des intellectuels accomplis qui refusent de s’abaisser et de s’enfermer dans des considérations purement partisanes, alimentées par les différents politiques et idéologiques. En toute sincérité, nous avions beaucoup de sympathie pour ces militants de la première heure qui refusaient les postes honorifiques et se mettaient spontanément du côté de la classe ouvrière, en ces années marquées par tant d’assassinats, d’enlèvements et de scissions successives au sein de nos principales formations politiques.
En ces années de grandes turbulences, nous avions la profonde conviction que le leader révolutionnaire idéal pour le Maroc s’appelai bel et bien Ali Yata. Nous voyions en lui l’homme de principes qui a toujours su se placer au-dessus de la mêlée. La majorité écrasante des jeunes Marocains de cette époque penchaient vers les idées révolutionnaires, l’idéologie marxiste- léniniste et les idées socialo-communistes perçues comme l’unique alternative possible pour sortir le pays de son marasme et le peuple de ses souffrances.

Le PCM, un parti pionnier

C’est en 1943 que Ali Yata participe à la fondation du Parti Communiste marocain dont il deviendra, quelques années plus tard, le Secrétaire général, succédant à son fondateur et premier leader historique, Léon Soltane, décédé en 1945.
Dès cette époque, Ali Yata se lance dans une action politique tous azimuts.
Il s’appliquera, d’abord, à donner à ce parti un cachet purement marocain. Son souci était de marocaniser le parti communiste marocain (PCM) et surtout vulgariser ses idées et sa doctrine politique et philosophique, grâce au ralliement de centaines d’ouvriers, d’agriculteurs et d’intellectuels de tous les horizons.
Le Parti Communiste marocain n’était encore, en ces années quarante et cinquante, qu’une espèce de succursale d’un grand parti politique français. Une simple section relevant du parti communiste français (PCF) et les Marocains y étaient tout simplement interdits. En effet, pour reconnaître officiellement le PCM et lui accorder son récépissé, l’administration coloniale avait exigé qu’aucun Marocain, aucun arabe et aucun musulman ne devaient y adhérer. Et c’est ce qui explique, dans une large mesure, que les premiers membres de ce parti étaient essentiellement des Français, si ce n’est des juifs marocains.
Mais c’est Ali Yata qui allait finalement défier la résidence française en permettant à cette nouvelle structure de jouer un rôle déterminant dans la vie politique marocaine. C’est encore lui qui mettra en place les fondements juridiques et idéologiques du parti tout en s’efforçant de lui donner une dimension vraiment nationale.

Un parti d’authentiques résistants

Au mois d’Août 1946, Ali Yata parvient à prendre contact avec feu le Roi Mohammed V. Il fera devant le défunt Souverain un remarquable exposé sur la situation politique au Maroc et les perspectives de l’action qu’il importait de mener, en vue de respecter les droits les plus élémentaires des citoyens marocains. Une audience qui fera date et qui balisera le terrain devant le déclenchement de la résistance nationale, suite à l’exil du Roi militant que fut Mohammed V vers l’île de Madagascar. Moins de deux années après la présentation du manifeste de l’indépendance du 11 janvier 1944, Ali Yata déclare solennellement devant feu le Roi Mohammed V que : «Notre peuple s’oppose à toutes les formes d’exploitation et de soumission des citoyens par l’administration française». Il précisa, cependant, que «La victoire finale reste tributaire de l’unité des citoyens et surtout des forces politiques et progressistes qui venaient d’être créées dans notre pays » .
Une année plus tard, le libérateur de la Nation prononce son discours historique de Tanger en 1947 où il réclama non plus des réformes internes de la part de l’administration française, mais purement et simplement l’abrogation de l’acte du protectorat de 1912 et l’avènement de l’indépendance.
Et alors que Ali Yata était déclaré persona non grata et interdit d’entrer au Maroc, les militants communistes marocains se distinguaient déjà par des actions retentissantes dont les principaux acteurs s’appelaient, entre autres, Abdeslam Bourquia, Abdallah El Ayachi, Simon Lévy et autre Abraham Serfati.
Le PCM avait lancé une nouvelle organisation de la résistance : le Croissant noir qui allait mener la vie dure aux forces coloniales en milieu urbain, en particulier à Rabat, Casablanca, Fès et Marrakech et aussi dans le Maroc profond, à travers les montagnes, notamment au Moyen Atlas.

Par Bahi Mohamed Ahmed


 


 

 

Yata, l’unioniste pragmatique

 

Depuis, Ali Yata n’a jamais rien fait que de militer pour l’unification des forces progressistes et de la classe ouvrière marocaine. Fidèle à l’action syndicale unitaire au sein de l’Union Marocaine du Travail (UMT), il s’est toujours opposé à l’émergence de nouvelles structures syndicales susceptibles d’accentuer les divisions et les déchirements de la classe ouvrière. Après avoir lancé plusieurs publications militantes durant les années cinquante, notamment AL Watan et
Al Amal en langue française et dont la direction avait été confiée au Docteur El Hadi Messouak et à Edmond Amran El Maleh, il lance également Al Jamahir en langue arabe dont la direction avait été confiée à Abdallah Layachi et Simon Lévy. Abdeslam Bourquia lancera, de son côté, la revue Al Mabadia (les principes), une revue culturelle et idéologique pionnière.
Durant les premières années de l’indépendance, et même si le Parti Communiste marocain sera interdit par le gouvernement progressiste de Abdallah Ibrahim, Ali Yata lance plusieurs autres publications progressiste, notamment Al Moukafih et Al Kifah Al Watani, parallèlement à l’émergence du parti sous une nouvelle appellation : cette fois il s’appellera le Parti de la libération et du socialisme (PLS). Ce parti sera interdit à son tour vers la fin des années soixante et il aura fallu attendre 1974 pour que Ali Yata sort de la clandestinité sous le nom actuel du Parti du Progrès et du socialisme (PPS).
Dès les années 70 et dans la foulée de la Marche Verte pour la libération du Sahara, Ali Yata se distingue par son pragmatisme. À travers son nouveau quotidien Al Bayane, il lance son nouveau concept fondé de la révolution nationale démocratique. Celle qui devrait, selon lui, mener le Maroc vers la démocratie dans le pluralisme et le respect des principes les plus élémentaires des libertés individuelles et collectives. Déjà, il s’éloignait des idées socialistes traditionnelles importées de l’ex-URSS, s’intégrait à sa société musulmane et faisait tomber son mur de Berlin. Le communisme est déjà abandonné, le socialisme marocain sera inspiré de la réalité du pays ou il ne le sera pas.
Les militants du PPS doivent au camarade Ali Yata non seulement l’existence de leur parti, mais surtout son intégration en tant que partenaire incontournable de la Koutla et des forces nationalistes et progressistes.
(08 Mai 2006)
(B M A

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