« Toute personne étrangère qui prévoit de travailler au Maroc, doit obligatoirement obtenir un CTE dûment visé »

Maître Kaltoum Jiddi, avocate, au barreau de Casablanca

Propos recueillis par kaoutar Khennach

De plus en plus d’entreprises marocaines recourent aux services de salariés étrangers. Pourtant, le droit du travail marocain soumet ces derniers à un régime dérogatoire comparé à celui applicable aux travailleurs nationaux. Ainsi, tout étranger souhaitant travailler au Maroc doit se conformer à un certain nombre de conditions qui aboutissent à l’obtention d’un permis de travail marocain. Maître Kaltoum Jiddi, avocate, au barreau de Casablanca, spécialisée notamment sur les questions de droit du travail, nous éclaire sur les spécificités de ce contrat.

Al Bayane : Comment un employeur peut recruter un salarié étranger ?

Maître Kaltoum Jiddi : Tout employeur  souhaitant recruter un salarié étranger doit  se conformer à un certain nombre d’obligations  pour  l’obtention d’un permis de travail marocain pour son futur salarié étranger. En effet, l’article 516 du code du travail dispose que : « tout employeur désireux recruter un salarié étranger doit obtenir une autorisation de l’autorité gouvernementale chargée du travail. Cette autorisation est accordée sous forme de visa apposé sur le contrat de travail »

Donc, toute personne étrangère qui prévoit de travailler au Maroc, doit obligatoirement obtenir un CTE dûment visé et ce, avant la prise de fonction. Cette obligation à la charge de l’employeur est d’ordre public. D’ailleurs l’article 512 du code du travail prévoit des sanctions contre les employeurs qui ne la respectent pas.

Il est à noter que même les employeurs personnes physiques qui souhaitent recruter du personnel domestique de nationalité étrangère sont également concernés, et ce, conformément à la loi 19-12 fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleuses et travailleurs domestiques.

Quelles sont les démarches à suivre pour l’obtention de cette autorisation ?

Pour l’obtention de l’autorisation sous forme de visa sur le CTE , l’employeur entame la procédure par l’inscription sur la plateforme en ligne TAECHIR , afin de télécharger la demande de visa pour recruter un salarié étranger et aussi trois exemplaires  du modèle type du contrat de travail tel que prévu par l’Arrêté du ministre du Travail et de l’Insertion Professionnelle n° 1356-19 du 19 avril 2019 fixant le modèle du contrat de travail réservé aux étrangers.

En plus de la demande téléchargée et les trois exemplaires du modèle type du CTE ,  le dossier du candidat doit aussi contenir plusieurs d’autres documents ,  à savoir : une copie certifiée conforme à l’original des diplômes et/ou des certificats délivrés par les ex-employeurs avec leur traduction le cas échéant ; une copie du passeport du salarié étranger en cours de validité ; une attestation d’activité délivrée par l’ANAPEC certifiant l’absence de candidats nationaux pour occuper le poste proposé au salarié étranger ; une copie des documents relatifs à la forme juridique de l’employeur ; et une délégation de pouvoir pour signature par les mandants au cas où les contrats sont signés par des mandataires.

Ensuite, une fois le dossier constitué, l’employeur procède au dépôt dudit dossier auprès du ministère du travail et l’insertion professionnelle qui va, après traitement de  la demande et vérification des pièces, décider soit l’octroi du visa d’un CTE ou refuser la demande .

En cas de refus d’octroi de l’autorisation par le ministère, l’employeur a l’obligation de prendre à sa charge les frais du retour du salarié étranger à son pays ou au pays où il résidait.

Ya-t-il des exceptions ?

Oui, certains salariés étrangers bénéficient d’une procédure simplifiée, du fait qu’ils  sont dispensés de la production de l’attestation d’activité délivrée par l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (Anapec) certifiant l’absence de candidats nationaux pour occuper le poste proposé au salarié étranger ou qu’aucun candidat national n’est suffisamment qualifié pour ce poste,  notamment les catégories suivantes :Les étrangers nés au Maroc et y résidents de façon régulière ; Les époux (ses) des nationaux ;Les époux (ses) de ressortissants étrangers résidents au Maroc de façon régulière (Regroupement familial) ;Les résidents au Maroc en tant que salariés de façon continue pour une durée supérieure à dix ans ; Les fondés de pouvoirs et les gérants de la société ou associations ou assimilés ;Les associés et les actionnaires de la société ; Les entraîneurs et les sportifs ; Les artistes étrangers ;Les salariés exerçant au sein des sociétés ayant le statut Casablanca Finance City (CFC)  et les ressortissants des pays avec lesquels le Maroc a conclu des conventions d’établissements ((Algérie, Tunisie et Sénégal) ou des accords bilatéraux en matière d’emploi et de séjour incluant des dispositions de non opposabilité au marché de l’emploi national .

Quid de la rupture abusive du CTE ?

Avant le revirement jurisprudentiel de 2018, les juges considéraient  le CTE comme étant un contrat conclu pour une durée déterminée, et ce en se basant sur l’idée que la durée du contrat était liée à celle du visa.

Un raisonnement qui allait à l’encontre des conventions internationales régissant les droits des travailleurs dont le Maroc est signataire et qui interdisent toute forme de discrimination envers les salariés étrangers, et impose plutôt l’égalité entre les salariés marocains et les salariés étrangers.

Et allant du principe que les conventions internationales priment sur le droit national , on a assisté a un réel revirement jurisprudentiel à travers l’arrêt n°1/936 rendu par la cour de cassation en date du 16 octobre 2018 , qui a considéré que la durée du visa apposé sur le CTE n’a aucune incidence sur la qualification juridique du contrat , en qualifiant  ainsi le CTE comme étant un contrat de travail à durée indéterminée , donnant droit au salarié à ses indemnités de licenciement en cas de rupture abusive au même titre que le salarié marocain .

Parmi les avancées majeurs apportées par la cour de cassation est que l’obligation d’obtention du visa ou le non renouvellement du visa ne constitue pas un motif de résiliation du contrat sans indemnités, vu que cette obligation est imposée à l’employeur et non pas au salarié. Il serait donc injuste que le salarié étranger soit privé de ses indemnités à cause de la négligence de son employeur .

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