Autour d’un café avec un ami vénézuélien

De Bolivar à Laâyoune

Par Hicham Lakhal (MAP)

 Nous nous sommes attablés mon ami Hugo et moi dans un café de la capitale vénézuélienne Caracas, par une journée estivale de 2013, la période où le climat est habituellement tempéré.

Hugo n’a jamais manqué au rendez-vous, mais cette fois il est arrivé plus tôt que d’habitude, comme s’il avait hâte de confier quelque chose. C’est toujours un plaisir de converser avec ce journaliste chevronné qui, bien au fait de l’actualité politique, économique et sociale de l’Amérique Latine, nourrit une passion sans bornes pour l’aspect culturel, la littérature en général et la poésie révolutionnaire en particulier.

Hugo se considère aussi parmi les grands sympathisants des séparatistes du polisario et par égard à notre profonde amitié, il évite d’évoquer le sujet avec moi, visiblement pour ne pas m’indisposer. Je l’ai rassuré, en lui disant qu’il serait équitable d’apprécier les deux points de vue pour que la sympathie ne soit pas un chèque en blanc.

Il m’a répondu qu’il était intéressé d’entendre ma version. J’ai dit que la question est très simple. Imagine qu’après le départ du dernier soldat de la colonisation espagnole du Venezuela, il y a près de deux siècles, la Colombie créa une entité de mercenaires, composée d’un groupe d’étudiants vénézuéliens qui poursuivaient leurs études dans les universités de Caracas.

Imagine que la Colombie les hébergea dans des camps sur une partie de son territoire, et fournit financement et entraînement militaire à leurs milices, avec l’assistance, disons du Brésil, en vue de créer un Etat dans le sud du Venezuela, précisément dans le Département de Bolivar, dont la superficie équivaut à celle du Sahara marocain.

Imagine que la Colombie riche de ses ressources eut fourni tant de largesses au point de permettre aux dirigeants séparatistes, jadis révoltés contre le système politique à Caracas, de faire des incursions dans les différentes capitales.

Elle leur assura le soutien dans les fora continentaux et internationaux, les gâta de passeports diplomatiques, et ouvrit une ambassade de cette république promise à Bogota, sans hésiter le moindre du monde à leur assurer un siège dans les différents groupements régionaux, y compris au sein de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), et que leur dirigeant siège face au Président de l’Etat du Venezuela et le qualifie de colonisateur du Département de Bolivar.

J’ai cru déceler un mélange d’énervement et de colère s’emparer du visage de mon compagnon qui s’est écrié qu’il était impossible pour lui de concevoir ce scénario. «Le Département de Bolivar ne peut être que vénézuélien et il le restera à jamais. Le Venezuela est uni et on n’acceptera jamais que l’on touche à un pouce de notre intégrité territoriale pour laquelle nos ancêtres ont sacrifié leurs âmes».

J’ai essayé d’apaiser sa colère, lui rappelant qu’on était là juste dans l’ordre de l’imaginaire. Et pour aller plus loin, imaginons, dis-je, que la Colombie n’eut pas arrêté à ce stade, allant jusqu’à approcher ses alliés de par le monde pour les persuader, tantôt par les moyens disponibles, tantôt par l’achat des consciences, à reconnaître «La République démocratique et populaire du Bolivar».

Imaginons que, dans ce stratagème, Bogota, profitant des conditions particulières que traversait le monde à l’époque, mobilisa toutes son armada diplomatique, financière et autre, dans le seul souci de contrarier l’intégrité territoriale du Venezuela et de faire de «la République fantasmée» un caillou dans sa chaussure pour entraver son aspiration au développement et à la croissance tant qu’elle n’aura pas trouvé une solution à cette question.

«Mon ami, lui dis-je, tu n’as pas admis, rien que le temps d’une imagination, que Bolivar puisse être autrement que vénézuélienne. Comment voudrais-tu alors que j’admette que Lâayoune et Dakhla soient autre que marocaines, alors que la géographie et l’histoire témoignent que l’ensemble des provinces du sud du Royaume ont été et resteront marocaines à jamais et jusqu’au bout du souffle».

«Mon ami Hugo, poursuivis-je, le problème du Sahara est un différend créé par l’Algérie voisine qui nourrit l’obsession de trouver un accès à l’Atlantique. A ce titre, la seule solution passe par l’adhésion sérieuse d’Alger à tourner la page de ce différend qu’elle a elle-même fabriquée et en a lourdement payé le tribut des richesses d’un peuple qui se demande ce que l’on en a gagné, à part les slogans…

Quant au Maroc, il est dans son Sahara ad vitam aeternam».

Hugo prit hâtivement une gorgée de son café avant de partir ; rendez-vous est pris pour demain, même lieu, même heure.

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