Une sourde lutte

Par Mustapha Labraimi

Bouchaib est boucher. N’ayant pas réussi à dépasser les études primaires, il est devenu boucher sous l’autorité et sur l’instigation de son père.A la mort de ce dernier, il hérita avec sa fratrie de deux comptoirs au marché central de la ville et de quelques dizaines d’ares aux environs proches. L’héritage restant dans l’indivis entre les membres de la famille, la location de l’un des comptoirs fût réservée à la mère pour subvenir à ses besoins. Le lopin de terre servit à son cadet qui devint chevillard.

Le commerce de la viande permettait à Bouchaib un contact facile avec la gent féminine et lui procurait les moyens pour se divertir. Il n’y alla pas de main morte sur ce dernier chapitre.Il se retrouva au jour d’aujourd’hui avec trois enfants dont les mères furent répudiées juste après leur naissance. Un divorce pour incompatibilité d’humeurs et violences ayant entrainées des blessures.

Avançant dans l’âge, sous la pression de sa mère, Bouchaib décida de se marier avec l’une de ses connaissances de plaisir. Orpheline, « coupée d’un arbre », comme la présentait sa mère elle montrait des aptitudes pour tenir un foyer. Son affection pour le dernier enfantde Bouchaib, âgé de deux ans, n’était pas feinte. Elle-même, après avoir été malmenée dans un premier mariage,avait projeté Bouchaib comme époux. Elle rêvait d’avoir des enfants, se projetait dans leur éducation quelle n’a pas pu avoir et de la chaleur affective que procure la famille.

Elle se mît à la tâche, celle de rendre la maison conjugale digne d’accueillir sa belle-famille tout en s’occupant de son intérieur et de sa cuisine au quotidien. Sa belle-mère lui demandait de temps en temps de lui préparer des gâteaux ou autres friandises qu’elle emportait chez elle ; une manière d’imposer son autorité.

La violence n’a pas quitté pour autant Bouchaib. Une violence verbale qui rend sa jeune femme dans une déprime maladive. Elle ne sent pas la reconnaissance de son travail quotidien ni de sa gouvernance des affaires de la maison. Quoiqu’elle fasse pour égayer l’atmosphère, Bouchaib la réprime en lui rappelant des choses qu’elle croyait enterrées à jamais dans un passé révolu. Jusque dans l’intimité, il se satisfait et tombe dans un sommeil entrecoupé par ses ronflements. Accrochée à son désir d’enfanter, elle se soumet ; ravalant ses perceptions pour devenir un réceptacle de sa semence.

Sans aucune couverture sociale, Bouchaib affronte la maladie en apaisant sa douleur. Ses excès lors de sa jeunesse, son régime alimentaire, sa sédentarité et son humeur dominée par des addictionsde différente nature rendent son corps vulnérable et fragilisé. Son esprit dispersé ne le conduit pas à une médecine qui, certainement, va limiter sa manière d’être ; sans parler des sommes d’argent qui lui seront nécessaires à ce sujet.

N’étant pas bancarisé ni comptable des ses avoirs et de ses dépenses, il usait de son argent comme son père le faisait. Une partie dans son commerce et une autre sous le matelas pour subvenir à ses besoins immédiats quand ils se manifestent. Sa femme voulait bien budgétiser et lui tenir les cordons de la bourse, mais rapidement cet effort de rationalité se trouve par terre pour une raison ou une autre. Bouchaib ne parlait jamais de l’avenir, mais vivait au jour le jour, en s’attendant à sa fin chaque fois qu’il s’étendait sur le lit conjugal pour dormir. Ces problèmes d’argent sont devenus une source de confrontations avec sa femme.

Elle, elle voulait épargner, se faire belle pour son homme, régir les dépenses et pourquoi pas se lancer dans une entreprise qui lui assurerait des bénéfices nécessaires à son autonomisation. Pour Bouchaib, elle lui volait son argent ; pire, il pensait qu’elle voulait le commander et l’asservir ; ce qui le révoltait au plus haut degré. Il se sentait nargué par les soins qu’elle apportait à son corps et à son apparence. Même son sourire le mettait en rogne, croyant fermement à l’ingéniosité de l’intrigue chez la femme en général.

Bouchaib n’a jamais fait de politique tout en étant à l’écoute des commentaires et des doléances de ses clients provenant de toutes les couches sociales.Le boucher, tout en veillant à ses affaires, savait tenir ses relations publiques avec les édiles et les fonctionnaires de l’administration.Cela le stressait mais lui permettait des facilités avec la bureaucratie et ses procédures. Il gardait ses réflexions pour lui, les ruminant jusqu’à exacerber sa méfiance.Difficile à convaincre, il est en perpétuelle lutte contre le temps, contre sa femme, contre ses enfants, contre lui-même ; une sourde lutte qui handicape la transformation de la société.

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