Le film américain « Nomadland » s’est imposé dimanche comme le grand vainqueur des Oscars, glanant trois prix majeurs dont la récompense suprême du meilleur long-métrage, sa réalisatrice chinoise Chloé Zhao devenant aussi la première cinéaste non blanche à remporter le prix du meilleur réalisateur, un succès largement passé sous silence lundi dans son pays d’origine.
Frances McDormand, l’une des rares comédiennes professionnelles de cet hybride de road movie, de drame social et de documentaire sur des Américains âgés vivant sur les routes après avoir tout perdu lors de la crise financière, rafle quant à elle l’Oscar de la meilleure actrice.
Avant Chloé Zhao, seule une autre femme avait reçu le prix convoité du meilleur réalisateur, Kathryn Bigelow en 2010 pour « Démineurs ».
« Quel voyage incroyable et unique nous avons fait ensemble », a lancé la réalisatrice née à Pékin en 1982 et de nationalité chinoise.
Dans son pays d’origine, son succès a été largement minimisé: aucun grand média n’a rapporté la nouvelle et il a été censuré sur les réseaux sociaux. Après des éloges pour ses premiers succès, elle est devenue cible de critiques alors que des propos lui étant attribués dans un magazine américain en 2013, où elle semblait critiquer la Chine, ont refait surface. sortie de son film en Chine avait dans la foulée été annulée.
Les acteurs de son film sont pour beaucoup des amateurs jouant leur propre rôle de vagabonds des temps modernes.
Avec son rôle de veuve désargentée et désabusée vivotant dans un vieux camping-car, Frances McDormand devient la deuxième à obtenir trois Oscars de la meilleure actrice, derrière la championne toute catégorie, Katharine Hepburn, qui en détient quatre.
Avec une pandémie qui a contraint de nombreuses salles de cinéma à fermer leurs portes, parfois définitivement, l’actrice, également productrice de « Nomadland », a profité des Oscars pour appeler le public à y retourner dès que possible. « S’il vous plaît, regardez notre film sur le plus grand écran possible. Et un jour, très très bientôt, emmenez tous ceux que vous connaissez au cinéma ».
Chez les hommes, le Britannique Anthony Hopkins a créé la surprise en raflant la statuette du meilleur acteur pour son rôle de vieillard sombrant dans la démence dans « The Father », film de l’auteur français Florian Zeller récompensé par l’Oscar du meilleur scénario adapté.
Hopkins, 83 ans, n’était pas présent pour recevoir son prix. Il faisait figure d’outsider assez improbable face à Chadwick Boseman, mort l’été dernier d’un cancer et qui semblait parti pour recevoir un Oscar posthume pour « Le Blues de Ma Rainey », où il incarne un trompettiste hanté par des atrocités racistes.
La cérémonie la plus suivie d’Hollywood se tenait exceptionnellement dans une gare historique du centre de Los Angeles accueillant les stars en lice, qui pour beaucoup ont foulé un tapis rouge pour la première fois depuis le début de la pandémie.
Le Danois Thomas Vinterberg, réalisateur de « Drunk », a reçu là l’Oscar du meilleur film étranger pour sa comédie douce-amère mettant en scène quatre amis menant une expérience de soûlographie quasi-scientifique.
Une victoire dédiée à sa fille Ida, morte dans un accident de voiture quatre jours après le début du tournage et qui devait jouer dans son film.
Florian Zeller a, lui, brandi sa statuette dorée à Paris, où les Oscars avaient prévu un site dédié et une liaison satellite avec Los Angeles.
Un autre Français, Nicolas Becker, a été primé avec l’Oscar du meilleur son sur « Sound of Metal », qui dépeint un batteur de heavy metal perdant l’audition. La France a reçu un troisième Oscar avec un prix pour le documentaire court « Colette », consacrée à Colette Marin-Catherine, une femme de 90 ans qui fut membre de la Résistance sous l’Occupation nazie.
Les quelque 200 candidats invités à se présenter sur le tapis rouge, réduit cette année à sa plus simple expression afin de respecter les règles sanitaires et la distanciation sociale, étaient visiblement ravis de se retrouver.
« Aujourd’hui, c’est la première fois que je m’aventure. Je ne me suis pas rendue dans une grande ville depuis plus d’un an », a assuré Glenn Close aux rares journalistes admis à suivre en personne cette 93e édition.
Même des magnats d’Hollywood, comme Bob Iger, le tout-puissant patron de Disney, numéro un mondial du divertissement, n’ont pas reçu de carton d’invitation pour l’événement. Il n’a donc pas pu assister en chair et en os à la victoire de « Soul », fable onirique des studios Pixar (filiale de Disney) sur le sens de la vie sorti au beau milieu d’une pandémie meurtrière, dans la catégorie du meilleur film d’animation.
Après des années de controverse sur la composition d’une Académie jugée trop blanche et trop masculine pour représenter l’ensemble de la société, deux acteurs de couleur ont été récompensés: le Britannique Daniel Kaluuya, 32 ans, pour « Judas and the Black Messiah », et la septuagénaire sud-coréenne Youn Yuh-jung pour « Minari ».
Kaluuya incarne Fred Hampton, charismatique leader des Black Panthers luttant pour les droits civiques des Américains noirs. « C’est tellement dur de faire un film sur un homme comme celui-là, mais ils l’ont fait », a-t-il lancé après avoir reçu son prix.
L’impertinente Coréenne Youn Yuh-jung a triomphé pour son rôle de grand-mère iconoclaste dans « Minari », face notamment à Glenn Close qui a essuyé sa huitième défaite et attend toujours d’obtenir un Oscar.
« Comment puis-je gagner face à Glenn Close? Je l’ai vue dans tellement de rôles… Ce soir, j’ai juste eu un peu de chance je pense », a lancé l’actrice après un petit jeu de séduction avec Brad Pitt.
Le premier Oscar de la soirée, celui du scénario original, est allé à Emerald Fennell pour « Promising Young Woman », thriller féministe inspiré par #MeToo.
Même si elle repart avec sept récompenses au total, la plateforme Netflix a en revanche subi une nouvelle déception dans les catégories majeures, malgré plusieurs films qui abordaient des thèmes d’actualité brûlante.
Chadwick Boseman et Viola Davis ont échoué avec « Le Blues de Ma Rainey » et son évocation des discriminations raciales dans le Chicago des années 1920 tout comme « Les Sept de Chicago », qui revisite la répression policière et judiciaire après les manifestations contre la guerre du Vietnam en 1968.
Ode en noir et blanc à Hollywood, « Mank » a dû se contenter d’Oscars pour sa photographie et ses décors.