Nezha Hayat, présidente de l’AMMC
La présidente de l’Autorité Marocaine du Marché des capitaux (AMMC), Nezha Hayat, a accordé une interview à la MAP sur la place et le rôle du marché des capitaux dans le nouveau modèle de développement et les principaux axes du nouveau plan stratégique 2021-2023 de l’Autorité. En voici la teneur:
Quelle est votre lecture du rapport général de la CSMD, notamment le volet relatif au marché des capitaux ?
Le rapport sur le nouveau modèle de développement a consacré un large chapitre au marché des capitaux tout en insistant sur son rôle majeur et sa contribution dans le développement économique. Nous avons découvert avec satisfaction qu’un grand nombre de nos actions, que ce soit dans le premier plan stratégique 2017-2020 ou le nouveau, va dans le même sens. D’ailleurs, notre nouvelle stratégie est guidée par une vision centrale: un marché des capitaux au service du financement de la relance économique.
Le rapport de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a également souligné la nécessaire complémentarité des différentes sources de financement pour faire face aux différents investissements et défis de la croissance économique et surtout de la relance. C’est une sensibilisation supplémentaire très importante pour favoriser le recours au marché des capitaux.
Bien entendu, dans notre nouvelle vision, nous avons insisté, dans le premier pilier, sur l’importance de faciliter le recours au financement par le marché des capitaux pour toutes les entreprises, quelles que soient leurs tailles, et pour tous les porteurs de projets. Évidemment, pour chaque type d’entreprise ou étape dans la vie de cette entreprise, les solutions de financement via le marché des capitaux ne seront pas les mêmes.
On ne peut pas parler d’une introduction en Bourse pour une très petite entreprise (TPE), mais, en revanche, elle pourra bientôt, faire appel aux plateformes de Crowdfunding, qui vont être lancées une fois que le dispositif réglementaire sera complété et que les plateformes démarreront leurs activités. Les start-ups et les porteurs de projets peuvent également bénéficier des financements et de l’accompagnement des capital-investisseurs, puis dans des phases ultérieures de développement, l’entreprise peut avoir recours à l’émission d’obligations, des billets de trésorerie ou bien ouvrir son capital en Bourse.
Ce que nous avons fait durant ces 5 dernières années et que nous allons poursuivre, voire accélérer avec nos partenaires, c’est adapter davantage les offres du marché des capitaux aux besoins des différentes catégories d’entreprises. C’est ce qui a été initié dans le règlement général de la Bourse qui a créé un marché alternatif dédié aux petites et moyennes entreprises (PME) et qui permet la création de plusieurs compartiments, le dernier étant celui des ETI (NDLR : Entreprises de Taille Intermédiaire). Bien sûr, nous sommes ouverts, avec la Bourse de Casablanca, à examiner tout autre type de compartiment marché, en fonction des besoins des entreprises.
Parmi les grandes Bourses d’Afrique en termes de capitalisation boursière, toutefois, la Bourse de Casablanca souffre du problème de manque de liquidité qui a été d’ailleurs soulevé par la CSMD. Quel est votre commentaire ? et comment pallier ce problème ?
La liquidité représente la capacité à acheter ou à vendre rapidement les actifs. Elle dépend non seulement du nombre d’émetteurs, qui clairement n’est pas encore suffisant ni représentatif du potentiel des entreprises marocaines qui peuvent aller en Bourse, mais aussi du nombre d’investisseurs.
Nous avons vu que lorsqu’il y a eu des opérations d’introduction en Bourse dans le cadre de la privatisation, et je fais le lien avec les recommandations du Rapport sur NMD, qui stipule qu’un certain nombre d’entreprises publiques puissent, à un moment ou un autre, ouvrir leur capital en Bourse, nous avons constaté qu’un grand nombre d’investisseurs s’est intéressé à la Bourse. Le petit porteur était présent. Du coup c’était plus liquide.
Aujourd’hui, vous avez un marché qui est surtout celui d’investisseurs institutionnels et de « patrimoniaux », qui sont souvent sur des stratégies de « buy and hold » en l’absence d’opportunités d’arbitrage et de papier frais réguliers, ce qui limite du coup la liquidité. Pour corriger ce problème, il faut avoir plus d’offres, il faut ramener du papier frais et il faut élargir la base -d’investisseurs-.
Il y a aussi des possibilités de couverture et d’arbitrage qu’apportera le marché à terme qui est en phase d’opérationnalisation et sur lequel il y a eu un certain nombre d’étapes et d’avancées qui ont été menées.
Nous travaillons aussi sur la diversification des instruments financiers. L’amendement de la loi sur les OPCVM, qui est en cours d’étude et qui j’espère pourra être amendée courant 2021, va permettre leur listing en Bourse et donc la création et commercialisation d’ETFs. Cela est aussi de nature à amener de la liquidité. Ce projet de loi prévoit la constitution d’OPCVM à compartiments, l’introduction d’OPCVM à règles de constitution et de fonctionnement allégées, l’admission des titres d’OPCVM aux négociations sur un marché réglementé et l’élargissement des possibilités d’investissements des OPCVM à l’étranger.
D’une façon générale, nous connaissons les facteurs qui pourraient améliorer la liquidité et dynamiser le marché. Certains dépendent de notre écosystème, d’autres dépendent de la capacité à apporter des entreprises en Bourse, qu’elles soient publiques – qui reste une décision du gouvernement- et de la capacité des banques et banques d’affaires à attirer les entreprises vers le marché des capitaux.
Bien entendu, nous contribuons dans le cadre des efforts de formation, de sensibilisation et de vulgarisation et sur lesquels nous devons renforcer davantage notre action et l’accélérer. D’ailleurs, nous travaillons sur une stratégie de communication Grand public, mais aussi sur un certain nombre d’actions d’éducation financières avec les différentes associations professionnelles et les partenaires, tout en étant à l’écoute des besoins des entreprises.
La CSMD a appelé à l’introduction en bourse de certains EEP, ainsi qu’à l’attrait des investisseurs étrangers. Y’a-t-il des introductions des EEP prévues cette année ou prochainement ? Quel est votre plan d’actions dans ce sens?
D’une façon générale, nous n’annonçons une opération que lorsque nous la visons, et ce, quel que soit le type d’opération.
Nous ne pouvons donc donner aucune indication sur les types d’opérations que nous sommes en train d’étudier. Les communications de l’AMMC ont lieu au moment de l’attribution d’un visa ou d’un agrément.
Vous avez présenté votre nouveau plan stratégique 2021-2023. Quels sont les principaux axes et dimensions de ce nouveau plan? Et comment voyez-vous l’évolution du paysage du marché des capitaux national dans les 3 ans qui viennent ?
Le plan stratégique triennal 2021-2023 de l’AMMC arrive dans un contexte particulier, marqué par la pandémie du Covid dont les conséquences sanitaires, sociales et économiques sont inédites dans notre histoire moderne. A l’instar d’autres économies, l’économie marocaine nécessite aujourd’hui des mesures d’accompagnement fortes, à même d’engager une dynamique de relance. Nous avons, dans ce sens, pris en compte les enseignements et les défis de la crise et nous avons pour ambition de contribuer à l’édification d’une économie attractive et plus compétitive. Ce deuxième plan stratégique repose sur 4 grands piliers déclinés en 10 leviers d’actions prioritaires :
– Faciliter le recours au financement par le Marché des Capitaux :
Une approche plus adaptée aux besoins des entreprises et des porteurs de projets
Un développement réglementaire en phase avec les évolutions et les besoins du marché
Un engagement continu en faveur de l’éducation financière.
– Promouvoir une régulation adaptée à l’innovation :
– Un encouragement continu du développement des produits innovants et durables.
– Un accompagnement soutenu de l’opérationnalisation des nouveaux produits et marchés.
– Une veille active des évolutions à l’international.
– Renforcer la protection de l’épargne en consolidant la nouvelle approche de supervision :
– Un renforcement de l’intégrité et de la transparence du marché.
– Des contrôles renforcés et une efficience améliorée.
– Accélérer la modernisation de l’AMMC et l’inscrire dans un processus de transformation digitale :
– Une organisation optimisée et des compétences valorisées.
– Une mise en œuvre accélérée de la stratégie de transformation digitale de l’Autorité.
Le marché des capitaux devrait jouer un rôle de plus en plus prépondérant dans le financement du développement économique et de la relance économique. De notre part, c’est un défi aussi pour continuer à superviser, moderniser nos outils de surveillance et de contrôle et pour l’accompagnement des opérateurs existants mais également des professions qui arrivent, comme les conseillers en investissements financiers. Le capital investissement devrait connaitre, sous l’impulsion du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, un essor incroyable et répondre aux problématiques de fonds propres dont souffre un certain nombre de nos entreprises. Aujourd’hui, la situation post-covid appelle à une vraie relance économique, Sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi, et cela donnera nécessairement lieu à de la mobilisation de l’épargne pour financer les investissements importants à venir. C’est un défi supplémentaire pour l’Autorité.
5- Une dernière question qui revient souvent est celle des seuils de variation. Pour quand le retour aux anciens seuils ?
Aujourd’hui, dans le monde entier, il n’y a pas encore de retour à la normale sur aucun marché. Au début de cette pandémie, chacun de ces marchés a utilisé les instruments dont il dispose pour limiter le sentiment de panique.
Dans le cas de notre pays, nous sommes encore dans le contexte d’urgence sanitaire. Toutefois, avec la création de nouveaux compartiments et marchés, tout cela est amené à évoluer. Il y aura peut-être des seuils différents. C’est dans nos prérogatives. C’est un marché évolutif mais, bien évidemment, les principes sont les mêmes: Protéger l’épargne et Respecter les règles de fonctionnement de ce marché. Il faut que les investisseurs soient assurés qu’ils évoluent dans un environnement protégé et où ils ont tous le droit en même temps à la même information.
Je voudrais dans ce sens saluer les efforts déployés par les entreprises, pendant la période difficile de la pandémie de l’année dernière, pour répondre à leurs obligations d’information et de diffusion. Nous les avons accompagnées, à travers les différents aménagements qui ont été faits sur les textes de lois pour valider la tenue des conseils d’administration et d’assemblées générales à distance, mais elles ont vraiment fait tous les efforts, car elles étaient sensibilisées au fait que c’est important pour garder leur crédibilité et la confiance de leurs investisseurs.