Un an à la Maison Blanche
Il invoquait les « anges gardiens » de l’unité, il a été rattrapé par les démons de l’Amérique: en un an, l’optimiste, le débonnaire Joe Biden s’est mué en un président plus sombre, qui bataille pour sauver au moins quelques grandes promesses.
Le 20 janvier 2021, sur les marches ensoleillées du Capitole, le tout juste investi 46e président des Etats-Unis assurait que l’Amérique saurait, citant Abraham Lincoln, « embrasser ses anges gardiens », et qu’il mettrait « toute son âme » pour la « réunir ».
Le 6 janvier 2022, c’est un tout autre Joe Biden qui prend la parole, seul dans le cadre écrasant de la salle des statues du même Capitole, un an après l’assaut lancé par une foule déchaînée de partisans de Donald Trump.
« Je ne laisserai personne mettre le couteau sous la gorge de la démocratie », dit-il. « Je n’ai pas cherché ce combat » contre la violence politique et les tentations autoritaires, mais « je ne me défilerai pas ».
Plus question de vanter le dialogue avec l’opposition républicaine ou de traiter son prédécesseur par le mépris. « Le but de l’ancien président et de ses alliés est de disqualifier quiconque vote contre eux. C’est aussi simple que ça. Les faits ne vaudront plus rien. Votre vote ne vaudra plus rien », attaque le président, quelques jours plus tard.
Le changement de ton est incontestable pour ce démocrate de 79 ans qui préfère habituellement les anecdotes aux invectives, le ton complice à la grande diatribe.
Tout débonnaire qu’il soit, le président n’est pas populaire: les sondages lui donnent autour de 42% d’opinions favorables.
Et selon une enquête de l’université Quinnipiac, 58% des Américains pensent que la démocratie ne résistera pas aux divisions du pays, plus que jamais hanté par la violence: celle des attaques politiques, des inégalités sociales ou raciales, des morts par overdose ou par arme à feu.
Joe Biden s’est engagé à tourner la page de la meurtrière pandémie de Covid-19, à garantir la prospérité de la classe moyenne, à restaurer le prestige international de l’Amérique.
De bien grandes promesses pour un président sans réel levier parlementaire: au Sénat, les démocrates n’ont que 50 + 1 voix (celle de la vice-présidente Kamala Harris) contre 50 aux républicains.
Joe Biden « a fait une erreur de calcul politique » en disant avoir « une majorité réelle de gouvernement » au lieu de « poser en +président de cohabitation+, ce qu’il est, de fait », analyse Corentin Sellin, professeur agrégé d’histoire et chroniqueur du site Les Jours.
Le mandat avait pourtant bien commencé: adoption rapide d’un plan de relance, baisse du chômage, bond de la vaccination contre le Covid-19, enthousiasme des alliés des Etats-Unis.
Joe Biden joue de sa personnalité, à l’opposé de celle de son prédécesseur républicain. Il a la blague et l’accolade faciles, des drames familiaux l’ont doté d’une empathie évidente. Aux côtés de son épouse Jill Biden, il cultive l’image d’un bienveillant grand-père: une balançoire pour les petits-enfants sous les fenêtres du Bureau ovale, un chien, la messe le dimanche et des glaces dans le congélateur.
Mais sa présidence déraille à l’été 2021. En juillet, Joe Biden déclare prématurément « l’indépendance » face au Covid, alors que le variant Delta se propage déjà.
Puis il tarde à réagir quand le retrait d’Afghanistan tourne au chaos. Les Américains assistent sidérés à la chute de Kaboul, Joe Biden est retranché dans la résidence de Camp David.
L’adoption d’un plan d’investissements historiques dans les infrastructures, avec quelques voix républicaines, lui redonne un peu d’air à l’automne.
Mais les Américains sont las de la pandémie, qui déferle vague après vague. Ils subissent une flambée d’inflation que la Maison Blanche tente, longtemps, de minimiser.
Et toute l’expérience de Joe Biden – sénateur pendant plus de 30 ans, vice-président huit – ne peut sauver deux grands projets du naufrage parlementaire.
Il doit geler en décembre, à cause d’un seul sénateur démocrate récalcitrant, un projet de dépenses sociales et environnementales de 1.850 milliards de dollars. Même scénario en janvier, pour une vaste réforme censée protéger l’accès au vote des électeurs afro-américains, majoritairement démocrates, et que restreignent de facto des lois de certains Etats républicains du Sud.
Les mêmes Etats qui, avec la bénédiction d’une Cour suprême devenue très conservatrice, défient aussi Washington sur le droit à l’avortement.
A l’extérieur, Joe Biden se fait fort de garder une ligne de communication ouverte avec Xi Jinping et Vladimir Poutine.
Mais son équipe semble parfois cueillie à froid par les provocations de la Chine ou de la Russie, ou par les protestations d’alliés qui s’estiment négligés – voire floués, quand la France se fait souffler un énorme contrat de sous-marins.
« Tout tournait autour d’un retour à la normale, un espoir de dialogue par-dessus les clivages partisans, et une priorité donnée aux grandes crises, à savoir le Covid et l’économie », analyse Lara Brown, politologue à la George Washington University. Mais cet « optimisme, combiné à l’espoir populaire que tous ces problèmes seraient réglés, a fait tomber (Joe Biden et son administration) dans l’orgueil ».