100 jours de grâce du gouvernement Akhannouch
La couleur a été annoncée dès le lendemain du vote de confiance de la chambre des représentants, avec 213 députés qui ont voté pour le programme gouvernemental, 64 voix contre et une seule abstention. Ainsi, au moment où l’Exécutif devait démarrer et mettre en œuvre sa feuille de route, une ministre de l’équipe gouvernementale a sauté, battant le record de brièveté comme ministre. C’était la première touche du gouvernement Akhannouch, qui a opté pour le stratagème du mutisme au sujet de ce faux pas «déceptionnel». En fait, le chef du gouvernement n’a pas pipé mot sur ce trébuchement, qui a pourtant fait couler beaucoup d’encore. «Vous aurez compris», laissait entendre son silence assourdissant. La même attitude aurait été d’ailleurs suivie au sujet des multiples promesses formulées lors de sa campagne électorale et qui n’ont pas trouvé de place dans son «programme» gouvernemental. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, dit-on.
Sorties hasardeuses
Pendant les 100 premiers jours, l’Exécutif, qui devait se distinguer par sa touche politique, s’est réduit en gouvernement d’affaires courantes, mettant en œuvre les chantiers relatifs à la sécurité alimentaire, sanitaire, énergétique et à la généralisation de la protection sociale. Ce qui était déjà prévu dans le nouveau modèle de développement, en tant que piliers, plus que jamais étroitement liés à la stabilité politique. Mais, l’axe se trouve encore souillé par les dysfonctionnements communicationnels du gouvernement et les sorties hasardeuses de certains de ses membres.
En suivant les conférences de presse, tenues juste après les conseils de gouvernement pour présenter la synthèse des travaux de l’Exécutif, on a l’impression que le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, place les téléspectateurs et les médias en position de devoir-douter. Evoquant l’affaire des enseignants contractuels, le ministre s’est embrouillé, en trébuchant devant les représentants des médias, pour faire de son éthos la risée des réseaux sociaux. Le constat était le même en surfant sur l’axe de la géopolitique, ou quand il abordait la crise sanitaire ou encore la fermeture du ciel à l’occasion. Porte-parole du gouvernement, mais en tant que ministre, il n’est pas le seul dans le lot. Son homologue aux commandes de la Justice, Abdellatif Ouahbi lui a volé la vedette sur l’axe de la sagesse politique. Dès qu’il monte au créneau, il excelle dans l’art de se dédire. Par exemple, il a déclaré qu’il compte demander la grâce royale pour les derniers détenus des manifestations dans le Rif, avant de répliquer le lendemain pour annoncer que «la grâce est une prérogative de SM le Roi ». Sa volte-face d’aujourd’hui constituera toujours son talon d’Achille. Désormais, qui va le croire ? Alors qu’en politique, «la parole est une action».
Dans la gestion de la crise sanitaire, les sorties du ministre de la santé et de la protection sociale, Khalid Ait Taleb aurait eu des effets pervers, notamment à propos de la décision gouvernementale d’imposer le pass vaccinal sans délai et sans prévoir une période de transition, de préparation et de sensibilisation. Ce qui a eu également des répercussions négatives sur la troisième dose. Ainsi, au lieu d’inciter les retardataires, les hésitants, voire les récalcitrants à se faire vacciner pour atteindre l’immunité collective, la manière a poussé les uns et les autres à faire front commun et ceux ayant déjà pris les deux doses à les rejoindre, en abandonnant la troisième. Bref, les dysfonctionnements communicationnels ont nourri les supputations, la défiance et la méfiance. Et dans la foulée, l’institution du chef du gouvernement, qui dispose d’importantes attributions depuis la constitution de 2011, dégringole.
Crise sanitaire aggravée par la crise de communication
Ainsi, la crise provoquée par la pandémie du nouveau coronavirus Covid-19 s’est aggravée au Maroc par la crise de communication du gouvernement. Dans ce sillage, il faut dire que plusieurs décisions auraient été appliquées sans bruit si les membres de la majorité gouvernementale avaient coordonné leur message et imposé intelligemment des cadres d’interprétation à leurs stratégies. En peu de temps, la rue a été investie par les enseignants, les avocats, les fonctionnaires des tribunaux, les professionnels du tourisme, les étudiants, les élèves, les anti-pass vaccinal et plusieurs autres formes de protestation à des fins sociales. Dans ce sillage, l’institution législative, qui devait fonctionner en tant qu’image réduite de la société, a été souillée par des interventions de certains députés portant à croire qu’ils n’appartiennent pas à cette société, certains autres allant jusqu’à caricaturer la politique et bien d’autres qui promeuvent la médiocrité par de misérables mises en scènes au sein de l’Hémicycle, en récitant la question qui leur a été rédigée et rapporter la mascarade sur les réseaux sociaux.
Il faut dire que la crise pandémique a engendré d’autres économiques, sociale et politique dont chacune nécessite une réponse différente et adaptée. Autant dire qu’il va falloir mettre en place une nouvelle stratégie de communication basée sur la transparence et l’anticipation pour convaincre l’opinion publique de la nécessité de mener ou d’approfondir des réformes, de mettre en application des décisions ou de reporter la mise en œuvre d’autres. Car, jusqu’à présent, la stratégie de communication du gouvernement, son incommunication bute directement sur l’acommunication où il n’y a plus de désaccord assumé, seulement des rapports de force. Et «avec l’acommunication, le silence domine», dixit Dominique Wolton, sociologue français, spécialiste des médias et de la communication politique.
Belkassem Amenzou