Abandonné par le ministère de l’Education Nationale, pris en charge par la société civile

L’enseignement artistique au Maroc:

L’éducation artistique est le parent pauvre de l’enseignement scolaire au Maroc. Depuis une dizaine d’années, le ministère de l’Education Nationale a cessé de recruter des professeurs de l’enseignement artistique (arts plastiques, musique) aux collèges.

Auparavant déjà, ces deux disciplines n’étaient pas généralisées et leur enseignement souffrait de beaucoup d’obstacles : absence de salles et d’équipements appropriés, sureffectif dans les classes, manque de formation continue,… Mais avec cette nouvelle stratégie du ministère, et au bout de quelques années seulement, le nombre de professeurs-artistes a chuté de manière spectaculaire et l’art est devenu une denrée rare dans les collèges marocains.

Pour s’en débarrasser, et au lieu de remplacer les enseignants indignés de cette situation lamentable (certains sont partis à la retraite et d’autres se sont reconvertis dans des tâches administratives), voire de généraliser l’enseignement artistique, le ministère a créé des centres soi-disant d’épanouissement artistique et littéraire qui accueillent une poignée d’élèves désireux de s’inscrire dans les ateliers proposés.

En suivant l’improvisation qui a caractérisé la création et la gestion de ces centres, baptisés désormais « Centres d’épanouissement pour l’Education et la Formation », depuis la sélection des directeurs et des enseignants-formateurs (y compris ceux des langues étrangères) jusqu’à celle des élèves bénéficiaires, on se rend compte qu’il y a un manque de visibilité effroyable et à tous les niveaux : ministère, académies régionales, directions provinciales, personnel de ces centres.

A quoi servent ceux-ci au juste ? À la formation de jeunes artistes ou d’un jeune public sensible à l’art ? À l’animation culturelle ? Au soutien scolaire dans les langues étrangères ? Ou tout simplement à préparer des cérémonies bâclées célébrant les fêtes nationales et celles de fin d’année?

Lorsqu’on voit les efforts fournis, dans la promotion de l’art et de la culture, par des institutions publiques (le ministère de la Culture, la Fondation Nationale des Musées, le Centre Cinématographique Marocain) et des mécènes privés, on trouve que le ministère de l’Education Nationale est loin de cette dynamique. Au lieu de généraliser l’enseignement artistique et lui offrir les ressources humaines et matérielles indispensables à son succès, les responsables de ce ministère le délaissent carrément. Ce sont les acteurs de la société civile œuvrant dans les différents champs artistiques qui l’ont pris en charge. Et les exemples sont nombreux : l’association « Chouf » organisant le Forum Internationale de la Bande Dessinée de Tétouan, l’association « Ali Zaoua » ayant créé plusieurs centres culturels dans différentes villes marocaines dont le dernier est « Les étoiles de Jamaa El Fna », l’association « Bidayat » organisant le Festival International du Cinéma des Ecoles de Tétouan, pour ne citer qu’elles.

Ce sont des universitaires passionnés et des artistes qui programment des activités destinées au jeune public des milieux urbain et rural (arts plastiques, cinéma, théâtre, musique, lecture,…) et sollicitent les directions provinciales de l’Education Nationale pour leur permettre d’y intégrer leurs élèves. Cela arrange bien sûr ces directions qui se contentent de signer des autorisations ou dans le meilleur des cas des conventions de partenariat avec ces associations qui assurent la formation artistique de nos enfants à la place du ministère de tutelle. En apparence, beaucoup d’établissements scolaires et d’élèves bénéficient de cette animation culturelle via des expositions d’art, des projections de films, des ateliers et des spectacles divers. En réalité, le ministère de l’Education Nationale a abandonné l’enseignement artistique et cueille les fruits des efforts déployés par ses partenaires parmi ces acteurs de la société civile.

Pour former des citoyens épanouis, équilibrés, modérés et éclairés, on doit accorder plus de place à l’enseignement artistique dans nos établissements scolaires et lui assurer les conditions de sa réussite. Si le ministère de l’Education Nationale n’a pas le savoir-faire nécessaire ni l’envie de le faire, au lieu de faire semblant, il doit créer des salles appropriées dans ses écoles et déléguer cet enseignement au ministère de la Culture selon des partenariats clairs et durables susceptibles, d’une part, de garantir aux enseignants leur dignité et de bonnes conditions de travail, et, de l’autre, d’offrir aux élèves un environnement artistique sain à l’intérieur même de leurs écoles.

Au lieu de créer des répliques des instituts étrangers (français, espagnols, américains,…) installés au Maroc, notre ministère de l’Education Nationale doit assumer ses responsabilités pédagogiques, culturelles et historiques en démocratisant l’enseignement artistique et en abandonnant plutôt son approche myope et élitiste.

L’art n’est pas juste du divertissement ni un passe-temps ni un luxe. Il nous apprend à lire, à voir, à contempler, à méditer, à réfléchir, à imaginer, à réagir, à apprécier, à dénoncer, à nous engager,… En quoi serait-il donc accessoire?

Fouad El Bahlaoui

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