DNES à Meknès Mohamed Nait Youssef

Dans l’univers onirique de Sofia El Khyari…  

« Les songes descendent parfois si profondément dans un passé indéfini, dans un passé débarrassé de ses dates, que les souvenirs nets de la maison natale paraissent se détacher de nous. », Gaston Bachelard.

Le rêve est la demeure de l’être. C’est plus qu’une échappatoire, voire  une voie royale qui mène à l’inconscient, comme disait l’autre. Ipso facto, toute l’intelligence humaine est dans un songe. «Voyage en rêverie », tel est le thème d’une exposition inédite signée par la jeune réalisatrice, Sofia El Khyari. En effet, c’est à l’institut français de Meknès, en marge des activités du FICAM, que l’artiste a transporté le public dans son univers à la fois onirique, coloré et poétique ; à traves des installations, des peintures, mais aussi des recherches qui ont accompagné ses trois œuvres d’animation : «Ayam » (2017), «le Corps Poreux » (2018) et «l’Ombre des Papillons » (2022). Ses inspirations et références sont multiples, mais l’artiste fouille dans ses souvenirs ensommeillés dans les tréfonds de sa mémoire. En découvrant son exposition, les images et réminiscences reviennent à l’esprit du regardant ; tel un poète marchant dans un rêve long et inachevé. La musique enveloppe l’espace, les couleurs aussi. Ses dessins et peintures donnent à voir un monde contemplatif, plein de rêveries… où la femme est mise en valeur.

«On me pose souvent cette question! Mais, je me demande si on me poserait la question si j’étais un homme et que c’est un personnage masculin qui était au cœur de l’œuvre. Je pense qu’on n’a pas l’habitude parce que les réalisatrices ne sont pas encore mises en avant.», nous confie Sofia El Khyari.

La femme est cœur de l’œuvre de l’artiste. Elle est presque omniprésente, voire dans tous ses états : heureuse, angoissée, réviseuse, nostalgique…  

«Je pense qu’on n’a pas beaucoup l’habitude de voir des personnages féminins. Moi, je suis une femme, et je n’ai pas honte de ce que je connais. Donc, c’est pour cela que mes personnages sont essentiellement féminins.», a-t-elle révélé.

Une main rêveuse, une peinture révélatrice…

«La main aussi a ses rêves, elle a ses hypothèses. Elle aide à connaître la matière dans son intimité. Elle aide donc à la rêver.», écrivait Gaston Bachelard. L’artiste doit beaucoup d’ailleurs à ce philosophe qui l’a tant marquée. Certes, la peinture a cette force révélatrice, de dépoilement, d’extériorisation de ce qui demeure caché dans le corps, dans la mémoire. Dans les peintures de Sofia El Khyari, il y a cette main rêveuse, salvatrice… !

«Le court-métrage «le Corps Poreux » est très inspiré de Bachelard. Je suis quelqu’un qui est souvent dans la lune, très rêveuse. Je m’inspire beaucoup de ce monde intérieur. C’est ce que j’essaie d’explorer dans mes films.», a-t-elle affirmé. Et d’ajouter : «Je cherche un point commun parce que l’exposition est autour de mes trois films dont le rêve est le point commun. J’essaie de faire entrer les gens dans cet univers onirique.»

L’exposition est une invitation au voyage. Un périple onirique dont le corps  est à la fois  rêve et rêvé.

«Le corps, c’est quelque chose qui m’intéresse. J’ai beaucoup réfléchi au corps comme contenant de l’âme et des émotions. En effet, l’exploration du corps nous renseigne sur nous, sur le monde et sur le rapport à soi.», a-t-elle fait savoir.

Une mémoire toujours vivace…

Saudade est un sentiment étrange parfois insaisissable mêlant nostalgie, mélancolie, angoisse  et espérance. De Fernando Pessoa en passant par Amália Rodrigues, Cesária Évora, et bien d’autres, ce sentiment a interpelé et habité  tant d’artistes, de poètes, de peintres…

À vrai dire, vivre dans l’entre-deux, entre deux rives rend l’artiste nostalgique à une enfance, une vie vécue au Maroc. Un verre de thé, une chanson mythique de la diva Oum Kalthoum, dans le court-métrage «Ayam » sorti en 2017, Sofia El Khyari nous plonge dans le rituel de trois femmes préparant la cérémonie de l’Aid el Kébir. Des souvenirs vivaces réanimés par la voix de l’une des pionnières des planches nationales, feue Amina Rachid.

«C’est le fait d’avoir vécue longtemps à l’étranger rend très nostalgique. Mon dernier film parle de la Saudade qui est la nostalgie portugaise. J’ai beaucoup lu les poèmes de Fernando Pessoa pour m’inspirer parce que je trouve que c’est plus qu’une nostalgie, mais plutôt la Saudade qui résume ce sentiment au point de rencontre avec la joie de souvenir et la peine résultante de son absence.», a-t-elle déclaré à Al Bayane.  

Née à Casablanca, Sofia El Khyari est peintre et réalisatrice de films d’animation.

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