Selon certains professionnels du marché, Sothema aurait fait appel à une banque d’affaires parisienne afin de lever des fonds auprès de nouveaux actionnaires, voire tout simplement, trouver repreneur. Juste après l’ébruitement de cette information sur le marché, l’entreprise a réalisé plusieurs sorties médiatiques à l’occasion de la communication de ses résultats annuels, mais aussi pour annoncer le lancement et la réalisation de nouveaux projets qui ne peuvent que servir son image dans le cadre d’une valorisation pour une éventuelle reprise. Une hypothèse que d’autres balayent d’un revers de main, arguant que dans le secteur pharmaceutique marocain, les success story familiales ne sont pas à vendre.
Sans le dire clairement, Lamia Tazi, directrice générale de Sothema, a elle aussi écarté l’éventualité d’une cession.« Il n’a jamais été question d’un quelconque désengagement de notre part. Notre politique d’expansion est ambitieuse et nous continuerons d’innover afin de faciliter l’accès aux médicaments à tous les patients marocains et africains. En parallèle avec le développement de ses activités historiques, le développement de Sothema s’appuiera aussi sur l’innovation à travers la production locale de biotechnologie et d’autres thérapies de pointe », rétorquera-t- elle à un confrère de la place.
Lamia Tazi est une femme avec une poignée d’hommes. Quand elle accroche une affaire, elle ne la lâche pas», disait d’elle Amine Tahiri, pharmacien responsable au Laboratoire pharmaceutique Steripharm, ami et partenaire de Lamia Tazi. La fille d’Omar Tazi, PDG de Sothema, qui a démarré son projet par la production d’un dentifrice qu’il a nommé Fluopat, dans un appartement à Casablanca, en 1977, a voulu emprunter le chemin de son père. «A l’âge de 6 ou 7 ans, j’allais pendant les week-ends dans les sites de production à Bouskoura. Dès lors, j’ai commencé à connaître Sothema et je savais ce que je voulais faire», confiait-elle. Après son bac obtenu au lycée Lyautey en 1992, la directrice générale de Sothema opte pour des études en pharmacie entamées à Liège en Belgique, qui dureront cinq ans. Dès qu’elle rentre au pays, elle «réintègre» Sothema, mais cette fois-ci dans le département production.
Une affaire de famille
Issue d’une famille de pharmaciens, Lamia Tazi est perçue comme «carriériste et très persévérante» par sa sœur Salma Tazi qui, elle, a choisi d’ouvrir une pharmacie, échappant ainsi aux conflits que peut vivre la DG de Sothema au quotidien. «Néanmoins, elle reste très diplomate et ne s’emporte pas. Elle est plutôt appréciée de ses collaborateurs», remarque Salma Tazi. Dès 1999, c’est- à-dire deux années après avoir pris les rênes de Sothema, cette femme à l’allure sobre et soignée, débute une réflexion sur l’organigramme de l’entreprise. Cependant, ce n’est qu’en 2011 que Sothema entreprend une vraie réorganisation de l’entreprise par pôle : industriel, commercial, qualité et développement et enfin les directions support (ressources humaines, export, communication…). «Entre 1999 et 2010, il y a eu la création de nouveaux métiers dans l’entreprise comme la division export et ce, après que l’agence européenne nous ait accordé l’accréditation pour exporter vers l ’Europe. », remarque Lamia Tazi.
Son frère Mohamed, membre de la direction générale de Sothema, diplômé en ingénierie financière et qui a intégré l’entreprise en 2010, voit en la réorganisation une solution aux disfonctionnements: «La réorganisation va permettre je pense un meilleur fonctionnement (optimisation et meilleure productivité de nos dirigeants). Sothema a très vite évolué mais pas son management et c’est pour cette raison que le remaniement de l’organisation était inévitable pour le bon fonctionnement de la société», remarque-t-il. Ce gestionnaire aurait une vision pragmatique, alors que celle de sa sœur est plutôt sociale. «Côté RH, nous avons harmonisé les salaires et revu leur grille. Cela nous a pris deux années de travail. Le but est que chacun se retrouve dans l’organisation. Quant aux personnes qui stagnent dans des postes, ils se verront offrir de nouvelles opportunités», révélait à l’époque la directrice générale de Sothema. Dès le départ, la jeune dirigeante attache une grande importance au volet social, spécialement au statut de la femme et à l’enfant.
En 1999, elle dépose l’autorisation de mise sur le marché marocain de la pilule du lendemain. Les ministres de l’époque ne voulaient pas se mouiller là- dedans. Ce n’est qu’en 2009 que l’introduction s’est faite dans le marché sous le mandat de Yasmina.
Elle initie aussi une fondation pour les œuvres sociales et culturelles à Bouskoura et un fonds dédié pour les œuvres caritatives. Au début, c’est un projet psychia- trique proche de la spécialité de la DG de Sothema que le top ma- nagement de l’entreprise voulait initier. Le but était le dépistage de la skyzophrénie, le suicide et la dépression entre autres… Des cas qui existent bel et bien mais qui ne sont pas prioritaires selon la cellule INDH de Bouskoura. Pourtant, la fondation de la famille Tazi financera à hauteur de quelques millions de dirhams des projets sportifs, culturels et de santé dans la région de Bouskoura où ses sept usines sont implantées sur 80.000 mètres carrés au total. Mais, avant d’en arriver là, en cinq ans et grâce notamment au dynamisme de Lamia Tazi, le chiffre d’affaires de Sothema augmente de 60% passant entre l’année de l’introduction en bourse en 2005 de 500 millions de dirhams à 820 millions en 2010 pour atteindre aujourd’hui 1,32 milliard de dirhams en hausse de 14,8%.
Embellir la mariée?
En 2016, Sothema a réalisé une excellente performance avec une évolution à deux chiffres donc, résultat de la diversification de ses activités liées à la signature de nouveaux contrats de partenariat ainsi que le développement de ses propres produits au Maroc et à l’international.Aussi, Sothema investit le domaine de la biotechnologie et se lance dans la fabrication des anticancéreux. Il s’agit de produits de traitement du cancer qui seront mis sur le marché à des prix inférieurs à ceux des princeps et qui seront distribués au Maroc ainsi qu’au niveau de toute l’Afrique francophone. Le groupe pharmaceutique a reçu les accords de principe pour ce projet important et ses produits sont actuellement en cours de contrôle auprès du ministère de la Santé.
Par ailleurs, la directrice générale réaffirme la politique d’expansion ambitieuse du groupe en assurant que Sothema continue à innover afin de faciliter l’accès aux médicaments à tous les patients marocains et africains. En parallèle avec le développement de ses activités historiques, le développement de Sothema s’appuiera aussi sur l’innovation à travers la production locale de biotechnologie et d’autres thérapies de pointe.
«Nous sommes en train d’assurer la formation de tous nos cadres techniques et opérationnels pour pouvoir accompagner cette transition.Nous prévoyons bien évidemment d’exporter nos produits biosimilaires vers d’autres régions d’Afrique », soutient-elle
D’ores et déjà Sothema s’est implanté au Sénégal via une filiale qui assure une présence en Afrique francophone, et dispose d’équipes de promotion directe dans les autres régions. Le top management lorgne désormais sur l ’Afrique lusophone et affirme sa volonté d’apporter un savoir-faire et une technicité pour permettre au continent d’être plus autonome en matière de fabrication des médicaments.
Au Maroc, le laboratoire détient 8% des parts du marché pharmaceutique privé et envisage de mobiliser un investissement de 200 millions de dirhams dans les biotechnologies. Aussi, Sothema va mettre en place au sein de son laboratoire à Bouskoura la première centrale biomasse du secteur. Ce projet sera réalisé en partenariat avec Aveo Énergie. Grâce à cette centrale, dont la mise en service est programmée pour le 4ème trimestre 2017, Sothema sera en mesure d’éviter l’émission de plus de 2.000 tonnes de CO2 par an. Autant de projets qui nécessitent de lourds financements.
«J’ai voyagé au Maroc et à l’étranger pour effectuer des road shows qui permettront de vendre la société auprès des institutionnels. Une excellente expérience qui m’a permis de beaucoup apprendre», confiait il y a encore quelques années Lamia. Pourtant, l’entreprise familiale continue à financer ses projets grâce aux banques avec lesquelles elle entretient de «très bonnes relations». La transparence de ses résultats et la notoriété gagnée grâce à l’introduction en bourse lui ont au moins permis de se financer à des taux et des conditions plus favorables. Cependant, il est fort à parier que cela soit insuffisant face aux grandes ambitions de Sothema. Affaire à suivre.
Soumayya Douieb