Un festival sous le signe de la résistance

Les journées cinématographiques de Carthage, ce sont d’abord des images, beaucoup d’images mais aussi des chiffres; et ils sont éloquents : 180 films, 60 projections et plus de 200 000 spectateurs attendus.

C’est un festival qui reste marqué par l’histoire, par son histoire : cinéphile et militant. Autant dire qu’aujourd’hui c’est un festival ancré dans la résistance face à un vent qui ne souffle pas toujours dans le sens de cette riche histoire. Cette 28e édition est porteuse d’espoir par la qualité des films venus non seulement de l’Afrique et du monde arabe, dont c’est la maison d’origine (la compétition est arabo-africaine) mais aussi de plus en plus du reste du monde. Et comme l’a rappelé son excellent directeur Néjib Ayed, «les JCC sont désormais le festival des trois continents : Afrique, Asie, Amérique latine». La programmation de cette édition est portée par cette philosophie et ce souffle de renouveau et d’ouverture touche à tous les étages de l’organisation des JCC.

Et cela commence à l’aéroport avec un effort réel de faciliter à la fois le passage des invités, avec un accueil personnalisé, lors de ce parcours du combattant que sont devenus les aéroports post 11 septembre ;  et aussi pour leur installation, leur accès à tous les documents une fois installés dans leur lieu d’hébergement. Cela paraît une évidence mais elle est utile à rappeler au moment où la dimension humaine de plusieurs grands rendez-vous est reléguée au second plan face aux exigences du marketing et du dictat des partenaires et autres sponsors. Autre signe réconfortant pour l’avenir des JCC : l’excellente organisation qui a marqué la cérémonie d’ouverture : marquée d’abord par son retour au Colisée sur l’avenue Bourguiba et par son conducteur simple, convivial ; sans  aucune pression ou tension ressentie par la présence quasi discrète des officiels; son timing respecté à la minute près et enfin par la qualité de son design et mise en scène. Le décor idoine était mis ainsi en place pour que la fête du cinéma commence. Une fête qui met au centre les films dans leur diversité.

Le  film d’ouverture donne le ton avec Ecrire sur la neige du palestinien Rashid Mashahraoui. Un huis clos tragique qui réunit une constellation de personnages qui se sont retrouvés sous le toit d’une maison lors des bombardements israéliens de la bande de Gaza. Un lieu fermé, sans issue à l’image du calvaire du peuple palestinien «enfermé dehors». Deux symboles traversent le film : l’horloge arrêtée que tente de préserver le vétéran du groupe et l’ambulance qui n’arrive pas et lorsqu’elle arrive, elle est touchée par un obus israélien, annihilant toute issue. Ce qui condamne les protagonistes à revenir à la case départ : «qu’allons-nous faire ?», s’interroge l’un d’entre eux. «Attendre…», répond le plus expérimenté d’entre eux.

Après le cérémonial d’ouverture, le festival retrouve très vite son rythme de croisière avec des projections multiples et variées qui mettent à l’épreuve l’endurance du cinéphile le plus aguerri. Chaque matin, celui-ci est appelé à faire son choix. Crayon à la main, il coche les séances qui l’intéressent ou qui attirent sa curiosité. A Carthage, il faut arriver informé pour pouvoir faire le tri dans l’offre de films  riche et séduisante. L’avantage facilitant la tâche est que la plupart des salles sont situées dans un rayon de 500 mètres autour de l’axe central que constituent l’avenue Bourguiba et l’hôtel Africa qui abrite la direction et les différents services des JCC. La salle principale reste l’historique le Colisée qui abrite les séances de la compétition officielle.

Mais les occasions de rattrapage sont multiples. D’autres salles proposent une programmation plus spécifique plus centré sur un thème ou une section particulière : le documentaire, cinéma du monde…Si le Colisée reste un temple qui rappelle l’âge d’or du cinéma de la grande tradition populaire, il y a à Tunis un nombre impressionnant de petites salles notamment ma préférée le 4e  art sise avenue de Paris : un café à l’entrée où se retrouvent  les artistes, les jeunes les écrivains ; une salle moyenne de 250 places ; une scène professionnelle ; une bonne sono et un grand écran…c’est là où je viens après  une longue journée d’activités, je viens revoir ou redécouvrir un classique, tard dans la soirée.

Ma première journée a été marquée par une belle surprise qui nous vient d’Egypte, Withred green de Mohammad Hammad. Sélectionné hors compétition, ce premier film est un grand moment de cinéma dans la grande tradition des plans larges asiatiques où la vie quotidienne est captée dans sa trivialité, un tram qui traverse une avenue délabrée ; une boutique ; une femme qui  va à un rendez-vous ou encore deux sœurs qui préparent dans la solitude des grandes villes les noces de la benjamine alors que pour l’ainée, le corps donne déjà des signes d’essoufflement. Pour les films de la compétition officielle, Hedbang Lullaby de Hicham Lasri a fait salle comble ; dommage qu’aucun représentant de l’équipe du film n’était là pour suivre les vibrations de la salle et ses réactions à certaines scènes révélant la communauté du destin des gens du Maghreb.

Pour la deuxième journée, j’ai opté pour une programmation «européenne» avec d’abord un spécial cinéma belge avec deux documentaires d’une grande actualité ; un court métrage, Ma fille Nora, sur les attentes angoissées d’une mère qui attend des nouvelles de sa fille ayant rejoint Daech et L’intégration Inchallah sur les cours d’initiation à la vie sociale et culturelle en Belgique flamande à l’attention d’un groupe de migrants (l’enseignant d’origine marocaine chargé de former ces gens mérite un Tanit d’or pour tant d’énergie déployée). Insyriated (La maison syrienne) de Philippe Van Leeuw fut incontestablement le moment fort de la journée et certainement de cette édition des JCC : un huis clos tragique dans l’enfer de Damas. Houyam Abbas dans l’un de ses grands rôles a porté haut ce drame qui dit d’une manière purement cinématographique (usage éloquent et intelligent du hors champ, des silences, du non dit) ce que balisent les mille mots des discours formatés des médias dominants.

Ma longue journée se clôt avec The square du suédois Ruben Oustlend; j’ai passé un bon moment même si le sous-titrage anglais m’a certainement empêché de saisir tout l’humour nordique qui marque cette satire féroce de  certains milieux de la modernité  bourgeoise. Bref un bon film mais pas une bonne palme d’or.

D’importants rendez-vous professionnels et culturels se tiennent en parallèle des projections. Les JCC commencent ainsi à se positionner comme une plateforme de présentations de projets en mettant en contact des représentants de guichets de financement et des porteurs de projets. Des colloques sont également proposés notamment celui consacré au lancement de la Cinémathèque nationale tunisienne ; une délégation du CCM est venue présenter l’expérience marocaine en la matière.

Tunis: Mohammed Bakrim

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