L’année 2018 aura apporté son lot d’événements juridiques, heureux et malheureux. Mais elle aura connu trois grands procès qui auront marqué, selon bien des observateurs, des régressions dans la pratique judiciaire, semé le doute dans les esprits et rappelé, pour d’aucuns, les «années de plomb», alors que la réconciliation des Marocains avait fait bien des admirateurs à travers le monde… On l’aura vite deviné : le procès des «hirak» d’Al Hoceima et de Jerada, en tant que mouvements sociaux de revendications, d’une part, et du procès de Taoufik Bouachrine- profession oblige -, d’autre part. Retour sur ces trois affaires portées devant la justice.
Le 27 juin 2018, une journée maudite dans la conscience collective des Marocains. Et pour cause, la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Casablanca a rendu, ce jour, ses jugements sur les manifestants du Hirak de Al Hoceima, qui avait débuté en octobre 2016 et s’était poursuivi jusqu’en mai 2017, après l’arrestation de groupes de manifestants présentés, localement, à la justice dans la ville d’Al Hoceima.
Les mois d’avril et mai de 2018 connaitront également des interpellations de membres du Hirak et plus particulièrement les «meneurs», selon les autorités, qui seront, eux, transférés à Casablanca pour y être jugés.
Le verdict tomba, dans la nuit de mardi à mercredi, tel un couperet.
Nasser Zefzafi, leader du mouvement de protestation et de contestation, a été condamné à 20 ans de prison. Une sentence identique sera infligée à 3 autres de ses compagnons, jugés aussi comme meneurs du mouvement qui avait duré plus de 6 mois avec, souvent, des affrontements avec les forces de l’ordre et de dérapages avec, notamment, la casse de biens d’autrui.
Au total, les 53 accusés jugés à Casablanca écoperont de 360 années de prison cumulées, avec une peine minimale de 2 années de privation de liberté !
Mais de l’avis général, en procès normal, les condamnés risquaient de quelques mois (pour les casseurs pris en flagrant délit) à quelques années (deux au maximum pour les plus graves faits commis comme celui de Zafzafi qui avait arrêté une prêche du vendredi dans une mosquée au nom d’une cause sociale).
Hélas, bien des voix se sont distinguées pour dire que le procès a été fortement «politisé» et que l’on a vu déferler de très graves accusations du genre «complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’Etat»…
De lourdes charges ont été retenues par le Ministère public, malgré le fait que les accusés ont nié en bloc toute velléité de séparatisme ou d’intelligence avec l’étranger pour porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Ils ont, par contre, dénoncé «un procès inique».
Cela nous ramène aux mesures réductrices et aux réflexes d’autodéfense, et donc à des années en arrière nous rappelant l’instance de l’IER et les marches réussies par le nouveau règne
Mais, encore hélas, lors de ce procès, bien des voix de juristes, de défenseurs des droits de l’homme et mêmes de quelques politiques et médiatiques (enfin) se sont élevées, quoique souvent timides et à peine audibles, dans les limites imposées par le fameux respect des décisions de justice, pour critiquer les amalgames, la disproportion des jugements avec les faits réels reprochés aux accusés, et l’interférence du politique dans le judiciaire.
Aussi, de l’avis de nombreux observateurs, ce procès, comme celui des émeutes de Jerrada, devrait «servir de leçon» aux Marocains et Marocaines, de crainte qu’il fasse tâche d’huile à travers tout le pays. Un «rappel à l’ordre», de fait.
Car le commun des mortels sait que ce procès est venu sanctionner un mouvement revendicatif, social et populaire, né à la suite du décès en octobre 2019, accidentel certes, d’un poissonnier , Mohcine Fikri, qui tentait de sauver sa marchandise saisie par la police et broyée sur le champ dans une benne d’ordures. Il aura le même sort que celui réservé à la marchandise.
Depuis, les habitants de la ville, notamment ceux parmi les plus nantis ont commencé à revendiquer une vie meilleure. Un hôpital. Une université. Du travail. De la dignité.
Le « cahier revendicatif » va s’élargir, au fil des mois, pour englober «la fin de l’arbitraire», la «justice spatiale» et «les projets de développement».
Et comme tout mouvement inorganisé, le protestation générale et à multiples revendications humaines et spatiales a pris des ampleurs jamais tolérées au Maroc (Rappelons-nous encore des événements de 1981 de Casablanca!).
Et d’aucuns ont estimé que la seule issue était «juridique» pour apaiser le Nord, mais aussi l’Oriental et le sud avec des ébauches de manifestations à Tinghir.
Signalons, par ailleurs que, parmi les 53 condamnés du Rif, onze ont été graciés fin août par SM le Roi Mohammed VI, en même temps que 177 autres personnes liées aux différents mouvements revendicatifs et condamnées par d’autres tribunaux.
Pour le reste, en dépit d’un certain optimisme de bon aloi, d’aucuns avaient espéré une grâce ou une atténuation substantielle des jugements en appel, dont les audiences ont commencé en novembre dernier.
Mais, apparemment, l’on n’aura noté aucun signal positif pouvant plaider en cette faveur.
Reste que l’espoir demeure de mise pour que le pays et sa région rifaine oublient cet épisode triste et malheureux et renouent avec la construction de la démocratie dans tous les sens du mot.
Mohamed Khalil