Engagée dans la course au renouvellement de son contrat à Marrakech, son marché historique au Maroc, Alsa Maroc a réussi depuis une vingtaine d’années à se frayer un chemin dans le secteur du transport urbain au Maroc. Un succès qui a amené l’opérateur espagnol à gagner d’autres villes et à déployer peu à peu ses ambitions à l’échelle nationale. Un parcours parfois parsemé d’anicroches mais qui reste un cas d’école sur le marché du transport public.
Serait-ce le premier couac dans la machine bien huilée d’Alsa Maroc, sur son marché historique ? Ou juste des aléas sans importance ? Car prévue pour avoir lieu ce 7 janvier, la SDL «Bus City Motajadida» a décidé 4 jours avant cette échéance de repousser la date d’ouverture des plis pour un mois supplémentaire. L’opération devait permettre de désigner le gestionnaire du transport urbain pour la période 2019-2034. Parti pour succéder à elle-même, Alsa Maroc s’est vu opposé une concurrence sur ce marché par l’opérateur maroco-marocain City Bus Transport qui a également soumissionné à cet appel d’offres. La demande du report est venue du ministère de l’Intérieur et du wali de la région Marrakech-Safi qui ont souhaité « approfondir certains articles du cahier des charges ». L’attente se prolonge donc pour Alsa Maroc qui tient à rempiler à Marrakech, la ville qui a fait sa fortune et qui l’a lancée dans le Royaume.
Sans vagues et sans heurts
Appréciée à Marrakech et Tanger pour ses services, Alsa Maroc a réussi à rendre jalouses d’autres villes du Maroc, notamment Rabat et Casablanca, pour ce qui est du transport en commun par bus. D’ailleurs, les compliments ne manquent pas à son égard. La petite phrase de Ahmed El Motassadek, vice-maire de la ville de Marrakech, qui affirmait que «Marrakech qui a toujours été l’exemple en matière de qualité de son transport urbain doit garder ce leadership» n’est pas passée inaperçue auprès du prestataire. Son directeur général, Alberto Perez, n’a pas manqué de rebondir là-dessus et afficher son expérience dans la ville ocre. «Cela fait 20 ans que nous gérons le transport urbain et interurbain à Marrakech et où nous avons développé une expertise reconnue de tous et qui était un modèle au Maroc. Et ce n’est pas pour rien que notre groupe a été retenu dans d’autres villes (Tanger, Agadir, Kénitra, Rabat)», rapporte un quotidien. À Tanger justement où le groupe espagnol a repris en main le transport urbain en décembre 2013 pour un contrat de 10 ans, à la suite des déboires de la compagnie Autasa, les autorités de la ville sont globalement satisfaites du service fourni. Selon les mots du vice-président du Conseil de la ville, Idriss Temsamani, «nous devons signaler qu’il n’y a plus de problèmes graves comme c’était le cas avec l’ancienne entreprise en charge du transport urbain à Tanger. Il faut signaler que le nombre de bus en service actuellement qui est de 150, a été au départ de 130. Alsa a donc pris l’initiative d’augmenter sa flotte pour répondre à la demande». Autant dire que la réputation que s’est construite Alsa Maroc en vingt ans de présence sur le marché reste intacte.
Marrakech et les grandes ambitions
Arrivée en 1999, après le fiasco total de la Régie du Transport Urbain de Marrakech et sa mise en liquidation, Alsa Maroc a été la première à ouvrir la vague des concessions exclusives au Maroc. Un changement de paradigme qui a, plus tard, essaimé partout dans les autres villes du pays et mis fin à la situation d’une régie publique ou de plusieurs acteurs assurant le transport dans la même ville. Le groupe espagnol Alsa (AutomóvilesLuarca SA) avait bénéficié, pour ce faire, d’un contrat en béton de 15 ans, prorogé depuis lors de 5 ans, qui s’achève en juin de cette année. Le groupe jouissait (et jouit encore) d’une longue expérience dans le transport de voyageurs aussi bien en Espagne qu’en Europe. La filiale marocaine est adossée à un opérateur centenaire espagnol lui-même intégré dans le groupe anglais National Express, opérateur de transport public par autobus, autocars et chemins de fer présent au Royaume-Uni, Europe Continental, Amérique du Nord, Maroc et Moyen Orient. Le groupe espagnol possède une flotte de près de 3.000 bus et transporte plus de 300 millions de voyageurs par an.
À Marrakech où le groupe a fait ses premiers pas au Maroc, « le contrat initial exigeait 70 bus, rappelle Alberto Perez. Nous opérons aujourd’hui avec 240 bus et environ 1000 employés. Quand nous sommes arrivés à la ville ocre, les bus de la RATMA transportaient 8 millions de passagers par an. Actuellement, nous transportons 57 millions de passagers », avance-t-il. Entre temps, le temps a passé et la population de la ville ocre s’est agrandie. Mais il faut relever la bonne intelligence et la coopération entre les deux parties qui a permis au prestataire de faire les investissements nécessaires pour suivre la demande. Marrakech est depuis lors l’une des rares villes où la gestion du transport urbain se déroule sans générer de nombreuses polémiques. Et la société y transporte pas moins de 200.000 passagers par jour pour un chiffre d’affaires de 200 millions de dirhams par an.
Dans son plan initial, Marrakech devait servir de rampe de lancement pour se déployer dans plusieurs villes du Royaume. Toutefois, ces ambitions ont longtemps été contrariées. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Candidat à plusieurs appels d’offres pour la gestion du transport urbain, l’opérateur a souvent échoué. Il aura fallu attendre 2012, soit 13 années après son implantation à Marrakech, pour trouver grâce aux yeux d’une autre ville, Agadir, où il opère aujourd’hui avec 206 bus. Puis, suivront Tanger en 2013 avec 150 bus aujourd’hui et Khouribga en 2015 avec 40 bus. Rabat constituera sa prochaine destination.
Soumayya Douieb
Un gros morceau nommé Casablanca
Le pari est-il risqué pour Alsa Maroc (et son partenaire City Bus Transport) dans une ville où le prestataire actuel, M’dina Bus, a sombré surtout par la faute du délégant défaillant dans sa responsabilité ? Car faut-il le noter, Casablanca est un ogre qui fait douter voire fléchir les plus téméraires. De déficit en déficit, M’dina Bus a fini par trainer des dettes colossales qui ont détruit sa capacité à renouveler son parc automobile et assurer un service de qualité. Le management de l’entreprise rejetait la faute sur l’absence des subventions promises par l’autorité délégante.
Aujourd’hui, c’est City Bus et Alsa,les deux partenaires qui bénéficient d’une bonne réputation dans leurs villes respectives, qui s’attaquent à la ville blanche. Une ville où, selon toute vraisemblance, le comité de suivi de la délégation comportant M’dina Bus et les autorités de la ville ne se réunissait plus depuis très longtemps, rapporte un hebdomadaire. Ce qui a eu pour répercussion de bloquer les investissements et la gouvernance. Et même « l’audit commandité par l’actuel Conseil pour mettre la lumière sur les dysfonctionnements dans l’exécution du contrat a été sans suite », rapporte La Vie éco. Selon la Cour des comptes, l’opérateur n’aurait effectué que 248 millions de dirhams d’investissement, loin des 772 millions de dirhams prévus dans la convention entre les deux parties. M’dina Bus s’était également plaint de la non mise en place des couloirs dédiés qu’avait promis la ville. En essayant de reprendre le flambeau, le duo Alsa Maroc et City Bus arrivera-t-il à faire bouger les choses et ne pas tomber dans les mêmes travers que M’dina Bus ? Quelles garanties pourront-elles requérir afin de pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Si la perspective d’un nouveau prestataire est attrayante, les questions sur l’interaction entre le prestataire et le délégant restent entières.
Alsa-City Bus, une joint-venture forcée?