Annoncées presque simultanément, la feuille de route du Ministère du Transport pour une réforme du transport et la fusion entre les transporteurs Ghazala et SAT ont pu donner l’impression qu’enfin il y a du mouvement chez les transporteurs. Mais dans un secteur où les réticences et les lobbies ont complètement phagocyté les décideurs et ankylosé les changements, ce sursaut ministériel peine déjà à convaincre et s’appréhende déjà comme un échec en vue. Analyse.
D’abord, il y a eu ce mariage inattendu entre deux acteurs du transport par autocars. Trop rare pour passer inaperçu, cette opération qui a surpris plus d’un continue de susciter des interrogations. Le secteur du transport routier interurbain va donc connaître quelques “remous“ avec le rachat par le groupe Ghazala de son concurrent Société des Autocars Transmaghreb (SAT) (Voir Encadré). Cette opération, dont les montants ne sont pas révélés, aura pour double effet de remettre un peu de vie dans un secteur devenu léthargique et tournant en automatique depuis quelques années d’une part, et d’autre part de reconfigurer les cartes dans le secteur. L’opération, rapportée par un confrère, précise que les deux entreprises vont exister juridiquement mais la marque SAT devra définitivement céder la place à Ghazala. Mieux, ce rachat va propulser le groupe Ghazala au second rang parmi les sociétés de transport du pays, juste derrière le leader historique et jusqu’ici indétrônable qu’est la CTM avec ses trois millions de voyageurs transportés chaque année. Il en déloge Supratours, filiale de l’Office National des Chemins de Fer (ONCF) qui était jusque-là solide deuxième et comptera avec cette opération, près de 2 millions de passagers transportés annuellement. Mais ce n’est pas la seule surprise.
Une coïncidence bien heureuse!
La révélation de cette opération dans la presse est tombée juste au moment où le gouvernement a annoncé son intention de remettre sur le tapis son fameux projet de réforme du secteur des transports. Coïncidence ? Ou présage d’un chamboulement en cours dans le secteur ? Difficile pour le moment d’avancer sans supputer ; mais le timing des deux événements ne laisse pas sans questions. Du côté du ministère, qui exhume un projet laissé à l’abandon depuis plusieurs années, c’est sa réelle volonté qui est questionnée. Sera-ce un énième coup de bluff, un nouveau coup d’épée dans l’eau ou devrait-on s’attendre cette fois-ci à de réelles avancées sur la réforme de ce secteur ? Pour l’instant, le ministère de tutelle en est encore aux premières phases de son retour en scelle sur la question. Pour l’occasion Abdelkader Amara, Ministre du Transport, avait convié le 9 février dernier cinq fédérations à une journée d’études. Objectif : présenter sa vision de la réforme du secteur « à la lumière de l’implémentation de la régionalisation ». Il s’agit, pour des acteurs du secteur, de remettre la réforme du transport de voyageurs dans le circuit. Pour rappel, cette réforme avait été initiée il y a déjà plusieurs années mais n’a jamais pu aboutir ni voir le jour, bloquée par des corporatistes et des lobbies qui voulaient préserver leur pré carré. Pour revenir à la charge donc, le Ministre l’a ressortie et réactualisant, probablement, la terminologie. Le projet présenté la semaine dernière vise à “verrouiller l’accès à la profession de transporteur routier de voyageurs via la création d’un registre national des entreprises de transport routier de voyageurs, dont les conditions d’inscription par les opérateurs sont des plus objectives et ayant trait notamment aux capacités financières, techniques et professionnelles des impétrants potentiels“.
Dans les termes du ministère, cela donne ceci : «le Ministère de l’Equipement, du Transport et de la Logistique déploie des efforts sans précédents en vue de réformer l’arsenal juridique réglementant le secteur, de mettre à niveau l’élément humain sur le plan professionnel et social et la mise à niveau des différentes prestations de transport routier et la révision des procédures y afférentes en vue de remplacer le régime d’autorisation par celui de déclarations et l’adoption de cahiers de charges, ainsi que le renforcement de la coopération internationale bilatérale dans le domaine du transport international par route» (Voir Encadré). Cette réunion censée relancer les choses intervient aussi dans le cadre d’un contrat-programme à l’horizon que le ministère veut signer avec la profession. Mais le grand absent de cette rencontre à laquelle participait environ 250 personnes représentant les associations professionnelles du transport public de voyageurs, les départements ministériels, les élus des Chambres des Représentants et des Conseillers ainsi que les responsables des établissements publics concernés par le secteur a été les agréments.
L’épineuse question des agréments
Sujet central et sensible dans ce secteur, les axes stratégiques qu’a exposés le Ministre ont royalement fait fi de la question des agréments. La feuille de route n’en fait pas mention. Et pourtant, c’est l’agrément qui tient le secteur presque en “otage“ tant les rentes qu’il assure à ses bénéficiaires, souvent qualifiées de “privilégiés“, pénalisent le métier. Comment expliquer la non présence de sujet dans le débat autour de la réforme du transport par autocar des voyageurs, si ce n’est que le sujet est désormais considéré intouchable et que le Ministre n’a pas envie de faire les frais du puissant lobby derrière ces “grimates“ ?! Estimés pour certains à 4000 et pour d’autres à 11000 titres en 2011 déjà, les agréments continuent de perturber le secteur en créant des situations de rente. Les bénéficiaireslouent généralement leur sésame à des prix exorbitants, assortis eux-mêmes d’un pas de porte conséquent. Conséquence : «l’hémorragie des agréments a entraîné la saturation de certaines lignes», déplorait le président de la Fédération nationale des syndicats des transporteurs routiers du Maroc (FNSTRM) en 2011. Et ceux-ci constituent un puissant lobby qui n’a pas intérêt à ce que le secteur du transport soit mis à niveau et qui a déjà réussi à faire échouer plusieurs précédentes tentatives de réforme. Est-ce la raison pour laquelle que le Ministre n’a pas souhaité s’attaquer à ce gros morceau, histoire de mettre à son propre actif ce que Salaheddine Mezouar, Président de la CGEM, qualifierait bien de «mesurettes» ? Tout y converge. Mais, envisager une réforme du secteur sans poser la question des agréments reviendrait tout simplement à traiter des symptômes d’une maladie sans s’attaquer à la maladie elle-même. Elle ne servira pas plus que la non-réforme. Un sursaut de volonté politique s’impose…
Ghazala absorbe SAT
Décrite comme historique dans le secteur, le rachat de SAT par le groupe Ghazala porte sur la totalité des actions détenues par la famille Ghammad dans le capital de cette société de transport créée il y a plus de 70 ans. Le deal englobe aussi bien l’activité de transport de voyageurs que la messagerie. Qu’est-ce qui explique ce retrait des Ghammad du secteur ? Difficile de le savoir.
À l’inverse, le groupe Ghazala créé par Mohamed Aziza il y a une vingtaine d’années étend sa voilure à travers cette opération. Sa couverture du territoire passe instantanément à 110 points de vente et de ramassage à travers le pays là où le leader CTM en est à 105 agences et Supratours (de l’ONCF) à 60 agences. Le groupe avait renforcé la modernisation de son parc d’autocars ces dernières années, faisant de ce dernier un des plus jeunes du marché. En 2013 déjà, le groupe introduisait les longs trajets en ouvrant la ligne Casablanca-Oujda et Casablanca-Nador, l’introduction d’un service de gamme sur des bus de 30 places au lieu de 44-48 places. Avec cette absorption, le groupe Ghazala compte désormais 5 filiales (Transport Ghazala, Ghazala Messagerie, Ghazala Tourisme, Société des Autocars Transmaghreb et SAT Messagerie), 750 collaborateurs et un chiffre d’affaires consolidé de plus de 300 millions de dirhams.
Les axes de la réforme du Ministère
Le ministre Amara jette-t-il ses dernières forces dans la bataille, à l’approche de la fin de la mandature actuelle ? En tout cas, en décidant de réactiver ce dossier épineux passé de mandat à mandat comme une patate chaude, il s’attaque à un secteur qui refrène souvent les ardeurs des plus hardis. Les 4 piliers de ce projet concernent :
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Le développement de l’arsenal juridique réglementant le secteur, composé de 4 axes: la révision du cadre juridique du secteur ; l’amendement de certaines dispositions du code de la route; l’adaptation de la tarification du transport public de voyageurs selon les changements économiques et sociaux; et la simplification des mesures et procédures administratives.
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La mise en place d’un référentiel de qualité de service et de sécurité dans le secteur, composé de 5 axes : l’amélioration de la qualité de services offerts aux passagers des autocars ; la mise à niveau des infrastructures d’accueil ; l’amélioration des conditions sociales des personnes exerçant dans le secteur ; la sécurité routière ; et l’encouragement de l’efficacité énergétique et le respect de l’environnement ;
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La mise à niveau de l’entreprise de transport, composé de 4 axes : la mise à niveau des entreprises opérant dans le secteur du transport public de voyageurs ; le renforcement des compétences et professionnalisation des ressources humaines du secteur ; le renouvellement du parc des autocars; et l’organisation des représentativités professionnelles et encouragement de leur regroupement.
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La gouvernance du secteur, composé de 4 axes: l’observatoire national du transport; la mise en place d’un mécanisme national de régulation du secteur tenant compte de la régionalisation avancée; la modernisation et développement du système et des appareils de contrôle routier; et le contrôle de la concurrence déloyale et de la spéculation des prix.