La nuit était déjà bien avancée ce lundi 3 février 2020 lorsque, les oreilles collées à leurs postes de radio, des centaines de milliers de Malawites prirent connaissance des conclusions de l’enquête diligentée par le juge Healey Potani à la suite des contestations auxquelles avaient donné lieu les résultats de la dernière élection présidentielle. Ainsi, après la lecture des 500 pages du jugement y afférent, les malawites, apprirent, après une attente qui aura duré six mois, que ces résultats ont été officiellement annulés, que le président Peter Mutharika, 79 ans, au pouvoir depuis 2014, «n’a pas été dûment élu le 21 mai 2019» et qu’un nouveau scrutin présidentiel devra être organisé dans un délai de cinq mois.
A l’issue de l’élection ainsi contestée, Peter Mutharika, le président sortant et leader du Democratic Progressive Party (DPP), aurait recueilli 38,57% des suffrages exprimés soit près de 160.000 voix de plus que son plus proche concurrent, l’ancien pasteur Lazarus Chakwera qui n’en aurait obtenu que 35,41%.
Or, ces résultats n’avaient pas été du goût de tout le monde. Aussi, les autres candidats les avaient-ils immédiatement contestés en avançant qu’un grand nombre de procès-verbaux de dépouillement avaient été falsifiés par l’utilisation d’un fluide correcteur blanc – ce qui valut, au président Peter Mutharika, le surnom de «président Tipp-Ex» – du nom de la célèbre marque du correcteur utilisé. Les autres concurrents ont, également, dénoncé le fait que seul un quart des procès-verbaux auraient été vérifiés et que de nombreux électeurs auraient voté à deux reprises; ce qui avait fait dire à Mark Stephens, le chef des observateurs de l’Union européenne, que «beaucoup d’erreurs avaient été commises pendant le décompte».
«L’intégrité de la commission s’est effondrée » a déclaré Piers Pigou, consultant pour le think-tank International Crisis Group, qui estime, par ailleurs, que, d’une part, cette décision qui est « un bol d’air frais» pour le journaliste d’investigation zimbabwéen Zenzele Ndebele, «prouve que l’opposition peut retourner le résultat d’une élection si elle apporte suffisamment de preuves crédibles devant une justice qui décide d’être indépendante » et que, d’autre part, « un renouveau à la tête de la commission dans les cinq prochains mois sera un gage de crédibilité».
Le Parti du Congrès du Malawi, principal parti d’opposition, s’est félicité, par la bouche de son porte-parole Eisenhower Mkaka, « d’un jugement très équitable à la lumière des preuves fournies à la Cour» alors qu’un autre militant a, quant à lui, appelé «le vaincu à accepter sa défaite avec humilité».
Et si ce jugement constitue, pour l’Union européenne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, «un moment-clé de l’histoire du Malawi», Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations-Unies a, pour sa part, exhorté la population du Malawi à «continuer de maintenir l’Etat de droit et de promouvoir la paix, l’unité et la stabilité».
Après leurs nombreuses manifestations de ces derniers mois, violemment dispersées par les forces de l’ordre, les malawites attendaient le jugement de ce lundi dans une atmosphère d’extrême tension. Aussi, pour éviter tout dérapage, les juges en charge de ce dossier avaient été transportés dans un véhicule blindé alors que d’importants contingents des forces de police étaient massés aux abords de la Cour constitutionnelle et qu’un hélicoptère en survolait les bâtiments et le quartier des affaires.
La décision d’invalidation des résultats de l’élection présidentielle du 21 mai 2019, prise ce lundi par la Cour Constitutionnelle du Malawi, parviendra-t-elle à cicatriser les blessures infligées depuis lors aux manifestants par les forces de l’ordre et à donner l’occasion à la population d’ouvrir une nouvelle page de son Histoire ? Attendons, pour voir…
Nabil El Bousaadi