Zaineb Fasiki, bédéiste marocaine
Propos recueillis par Younes Mustapha
Exerçant un métier très prenant Zaineb Fasiki dessine, à ses heures perdues, pour dénoncer la culture de la honte qui ronge la société marocaine. Son livre « Hschouma et sexualité au Maroc » a eu, dès sa sortie, un succès retentissant. On y retrouve les idées qui animent l’esprit féministe de son auteur exprimées dans le langage universel de la bande dessinée. Zaineb Fasiki est ingénieur en mécanique et bédéiste marocaine.
«On ne naît pas femme on le devient», à en croire Simone de Beauvoir. On ne naît pas féministe aussi, on le devient. Comment l’êtes-vous devenue?
Zaineb Fasiki: Durant mes études comme technicienne supérieure en ingénierie mécanique, j’étais souvent, comme d’ailleurs des milliers de femmes marocaines, victime de harcèlement dans le transport public et dans la rue. Cette situation révoltante m’a poussé à rompre le silence et à réagir. J’ai donc cherché le moyen qui me permettrait d’exprimer ma colère et mon indignation. Je me rappelle le jour où, rentrant chez moi dépitée, je me suis mise à me dessiner toute nue. C’était pour moi un moyen d’extérioriser ma colère. J’ignorais que ça allait devenir mon arme de combat.
Vous avez opté pour le dessin comme mode d’expression pour revendiquer le droit des femmes à être libres. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?
Le dessin qui représentait pour moi une sorte de thérapie personnelle est vite devenu mon outil de prédilection pour lutter contre le sexisme et toutes les formes de discrimination dont sont victimes les femmes. En publiant mes dessins sur les réseaux sociaux, j’ai tout de suite remarqué l’effet que cela faisait. Nous vivons à une époque où l’image a plus d’impact sur la jeunesse que le texte. D’ailleurs le dessin c’est aussi un texte au sens le plus large. C’est de là que m’est venue l’idée de réunir mes dessins dans un livre que j’ai intitulé « Hschouma » en référence aux tabous qui servent à assujettir la femme marocaine.
Les FEMEN pour se faire remarquer surgissent lors d’événements publics ayant une dimension machiste et s’exhibent seins nus, le corps barbouillé de slogans féministes. Elles choisissent, donc, la provocation. C’est aussi, en quelque sorte, votre arme. N’est-ce pas?
Mon intention première n’était pas de provoquer. Cela dit, je suis une artiste qui refuse de conforter le public dans ses préjugés. Il est vrai que j’ai cherché, d’abord, une satisfaction personnelle. Mon art était avant tout une thérapie, une manière d’exorciser le mal dont je souffrais. Mais, en postant mes dessins je me suis aperçue qu’ils étaient partagés par beaucoup d’internautes qui avaient le même idéal que moi, menaient le même combat et aussi par des femmes qui subissaient la tyrannie machiste sans pouvoir réagir. Celles-là ont, peut- être, retrouvé en moi leur voix.
Dans une société patriarcale comme la nôtre, qui continue de renvoyer la femme à son image d’être inférieure, pensez-vous que les choses peuvent évoluer dans le sens d’une véritable émancipation?
Je reste optimiste. Je crois en ma génération et en celles à venir. C’est, sans doute, aux jeunes qu’incombe la responsabilité d’améliorer la condition de la femme dans notre société. Les mœurs et les représentations négatives concernant la femme ne doivent pas être une fatalité. Le monde change et nous changeons avec. Vous conviendrez que l’artiste à lui seul, ne peut pas faire grand-chose. L’émancipation de la femme est le combat de tous, hommes et femmes. Somme toute, c’est un projet de société.
La première chose qui intrigue dans votre look c’est votre coupe de cheveux. Cela-a-t-il un quelconque lien avec votre militantisme?
Dans mes photos à la crèche, j’avais la même coupe de cheveux. Depuis ma tendre enfance, j’étais fan des dessins animés japonais où les personnages féminins tenaient le premier rôle. C’est surtout les super-héroïnes qui me fascinaient le plus. Je regardais aussi Amélie Poulain, puis les films de Louise Brooks, je raffolais des dessins des grands bédéistes qui ont créé des personnages nus avec cheveux noirs et courts dans les années soixante comme « Valentina » et « Hypocrite ». Cette culture visuelle a certainement forgé ma personnalité.
Plus tard, cette coupe de cheveux que certains trouvent un peu excentrique est devenue ensuite le signe ostentatoire d’une féminité rebelle.
Les revendications féministes ne peuvent se concrétiser que dans une société laïque » pensent certains. Etes-vous de cet avis?
Dans mon livre « Hschouma corps et sexualité au Maroc », j’ai bien expliqué mon point de vue sur la laïcité comme clé de liberté individuelle pour les citoyens. Je suis, en fait, une citoyenne qui rêve d’un monde où l’on respecte la vie privée des autres et les droits des femmes.
Le combat pour l’acquisition des droits fondamentaux de la femme et surtout celui de disposer de son corps ne peut être efficace que s’il est mené par ceux qui y souscrivent. Vous y croyez comme dur sur fer. Vous êtes par exemple l’initiatrice du « Women power collective ». Pourriez-vous nous en parler un peu?
Pour moi, si les femmes ne s’unissent pas dans ce combat on ne pourra rien atteindre. Vous savez, c’est malheureux de voir, des fois, des femmes se targuant d’être progressistes se montrer terriblement réactionnaires dans certaines situations. C’est donc dans cet esprit de combat que j’ai créé le collectif « Women power ». Il s’agit d’une série d’ateliers pour encourager les marocaines à persévérer dans leurs carrières d’artistes, surtout que bon nombre de ces femmes sont malheureusement freinées dans leur élan par leurs familles.
Quels sont vos projets d’avenir ? S’inscrivent-ils dans le même esprit féministe?
Je prépare de nouvelles bandes dessinées. La première abordera la fameuse question d’égalité homme-femme. La deuxième est sur le racisme au Maroc et une troisième aura comme sujet Dihya tadmut mon icône amazigh. Je travaille aussi sur une nouvelle collection de tableaux avec peinture à l’huile. J’ai aussi comme ambition de m’investir dans des projets collectifs pour aider les jeunes créatrices et artistes marocaines à exposer leurs œuvres.