Ali Lagrouni: quand l’harmonie des sons et des couleurs façonne le spectacle pictural

Le tempérament contrasté d’Ali Lagrouni est si prégnant dans ses toiles qu’il cherche, têtu, à emporter le visiteur dans un voyage à mi-chemin entre la nostalgie débordante de la terre d’origine et les horizons de l’expatriation.

C’est en quelque sorte la rencontre entre deux mondes, une échappée belle entre le Maroc et la Suisse qui l’inspirent dans une harmonie de sons et de couleurs, le tout dans un univers qui fourmille de détails reliés les uns aux autres par la curieuse alchimie du rythme.

De sorte que chacun de ses tableaux est une pensée pour le ciel natal, une surface où il est évident qu’il y projette son âme, y reconstruit ses souvenirs, y inscrit son intimité la plus chère. Par l’inspiration de ses mélodies, il retrace les villages ensoleillés d’antan dans un spectacle pictural, flamboyant et paisible à la fois, lequel réinvente la célébration du soleil et la générosité musicale.

«Il y a des jours où le pinceau me démange, particulièrement quand je viens de faire de la musique. Les sons se plongent dans mon esprit et cette résonance me donne envie de peindre», a-t-il déclaré à l’occasion d’une exposition montée dans la galerie Esprit à Genève.

Son plus ardent souci est d’établir un pont entre sa culture d’origine et celle européenne, entre le bled et le Vieux-Continent, raccourcir les distances dans la sérénité, l’harmonie et la douceur. Et c’est dans cette interminable quête que Lagrouni «sème des milliers d’infimes correspondances d’où naît le rêve», estime la critique d’art, Marie-France Mevaux.

«L’artiste peint en musique, plaque sur la toile des accords harmonieux de couleurs que lui inspirent les sons qu’il écoute et les compositions qu’il exécute», d’après une lecture de Mevaux.

Avec la sensibilité et la spontanéité qu’on lui connaît, celui qui s’était d’abord installé en 1972 à Paris voit dans son histoire de la peinture «presque l’univers de l’enfance retrouvée». Au départ, le jeune Ali comptait s’établir dans la «capitale des lumières» alors qu’il avait à peine 15 ans. «Mais une fois de passage à Berne pour un week-end, je n’ai plus quitté la Suisse depuis», raconte-t-il.

Haut lieu des beaux-arts, la ville suisse a tant séduit ce Fassi de naissance qui a su ainsi se lancer petit à petit dans le monde de l’art et de la musique de divers courants et écoles. «Je n’ai vraiment pas fait d’apprentissage en peinture au sens académique du terme, mais je suis devenu peintre parce que je l’étais déjà en quelque sorte» dit-il. Pour lui, c’était vraiment une aubaine de s’être immergé dans un milieu d’artistes, toutes tendances confondues, au début des années 70 du siècle dernier.

S’il est pianiste par excellence, son dévouement à sa passion pour la peinture n’a cessé de grandir et faire les beaux jours de cet artiste multi-facettes, sans jamais renier son identité première, celle du musicien qu’il est. A sensibilité d’artiste, il travaille dans toute œuvre par petites touches successives de couleurs et apprivoise le pinceau à l’image d’un percussionniste avec ses baguettes et d’un pianiste avec ses cordes.

Avec lui, on découvre « le monde de la magie », on entrevoit une femme voilée, une boule de cristal, des hiéroglyphes en profusion, des portraits d’hommes et des souvenirs d’enfance, sans se priver d’un détour dans l’immensité de l’univers et ses étoiles mystérieuses. «A chacun absolument de se laisser entraîner, de faire sa propre interprétation, de faire son propre tableau», suggère-t-il volontiers.

Abdellah Chahboun (MAP)

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