Cafés

«Entre un café et un café, on aménage un autre café». C’est par cette expression que les Marocains ont réagi à la prolifération de ces établissements privés, mais publics. Les Marocaines ne les fréquentent que rarement et leur clientèle reste majoritairement masculine.

C’est dans ces lieux que les Marocains se retrouvent pour «tuer le temps» ou lui donner un objectif. La plupart des rendez-vous, soit pour affaires soit simplement pour se voir, s’effectue dans les cafés. Cette habitude n’est pas nouvelle ni spécifique à notre population sauf que le regard étranger s’étonne de cette présence masculine importante; et à tout moment de la journée dans ces lieux. A croire que les Marocains n’ont que cela à faire!

Depuis la libération du prix du breuvage servi, les cafés se distinguent les uns des autres par leur aménagement, le service et les prestations rendues. Avec une bouteille ou un verre d’eau, la qualité du «noir» est corrélée au prix qui pourrait augmenter par l’adjonction d’un carré chocolaté ou d’un bonbon.

La rentabilité de ce commerce est indéniable et les investisseurs ne s’y trompent pas. Malgré la pesanteur des taxes et des charges, la nécessité d’une présence soutenue, le café est un business confirmé. C’est un métier reconnu aussi bien en milieu urbain que dans les souks hebdomadaires des campagnes marocaines. Dans toutes les agglomérations, dans chaque quartier, pour chaque avenue, les cafés offrent l’opportunité de se rencontrer entre habitués et autres clients passagers.

Divers par leur standing, le type de consommation, les prix pratiqués; les cafés se distinguent aussi par le nom qu’ils affichent. Tout y est ou presque! Cela reflète beaucoup plus l’inspiration du proprio, voire une part de son vécu. La nomenclature spécifique reste toutefois peu usitée, celle de café, générique et exclusive l’emporte dans le langage. En milieu rural, c’est le nom du kahouaji qui est usité.

Lieux de sociabilité, de convivialité et de commerce, les cafés sont devenus des espaces de liberté et de libre expression. Particulièrement pendant les périodes électorales, certains deviennent des QG pour tel candidat ou tel autre. Les matchs de foot les rendent plein à craquer. Certains permettent aux étudiant(e)s de potasser leurs cours tout en papotant pour se divertir, d’autres sont réservés, par les prix pratiqués, à des personnes dont la tenue vestimentaire se veut respectable. Certains sont devenus des cybercafés où les ordinateurs sont à la disposition du client pour tout ce que permet le web, d’autres sont spécialisés pour aligner les numéros nécessaires afin de gagner au tiercé, quarté et quinté. L’actualité hippique (plus rarement celle concernant le racing ou le coursing) est analysée. Des photocopies de pronostics sont manipulées et confrontées avec les archives pour déterminer les gagnants et les placés dans ces courses qui rendent les équidés et les canidés des frères de l’humanité. Certains  sont enfumés par des brumes où le tabac s’associe à des fragrances de fruits, d’autres placent des billards où les boules sont frappées par une queue.

Paradoxalement, autant les cafés laissent voir une certaine proximité, autant une distance est maintenue entre les personnes. Le chuchotement est pratiqué autant que le fou rire, sans que pour cela quelqu’un trouve à dire. A la limite, le tbarguig est usité aussi bien en interne qu’en externe. Donnant sur la rue, empiétant souvent sur le domaine public, le café est un lieu d’observation aussi bien de l’espace que de ses occupants, qu’ils soient permanents ou fugitifs. Les «m’as-tu vu», toutes typologies confondues, l’utilisent pour se faire remarquer à toute fin utile. Un jeu de situations peut même se créer par les intéressé(e)s sans pour autant que l’attention soit attirée, à part celle des pros.

Le café est un concurrent sérieux du domicile familial ou de la pratique cultuelle. Lieu de retraite sans pour autant qu’il soit celui des retraités, le café permet de lire la presse sans débourser un centime, de se libérer du stress quotidien et de la malvie. Sa temporalité permet une occupation différente généralement assimilée à de l’oisiveté et dont l’addiction est assimilée à une absence devant les devoirs familiaux ou autres. «Un café cassé, le journal et augmente le son de la radio … » disait l’autre.

Mustapha Labraimi

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