Aux confins de la matière, une quête de l’humain…

Belkacem Lhou 

 Mohamed Nait Youssef  

«Je voulais que le tableau soit comme un talisman, qu’en le touchant, vous sentez des énergies qui vous guérissent, par exemple. L’idéal, c’est de prendre un petit tableau, quand vous avez mal à la tête, et en le touchant avec la tête, ça vous donne des énergies pour vous guérir. Chaque matériau s’exprime à sa façon, disons. Il faut les laisser parler. Ils ont déjà une charge expressive. », Antoni Tàpies.

La peinture est plus qu’une passion : c’est une raison de vivre. C’est ce que qui donne un sens à l’existence humaine dans un monde de plus en plus vulnérable, chaotique, instable et délaissé à son sort. En effet, chaque œuvre est porteuse d’un vécu, d’une sensibilité, d’une  vision du monde. Aux confins de la peinture, Belkacem Lhou, dont les questions actuelles hantent sa démarche artistique et l’essence de son œuvre, a fait de la toile un support de révélation, de dénonciation, de déconstruction, de construction et de reconstruction de toute une réalité ; celle de l’homme des temps modernes.

C’est à Ras Laksar, à Guercif, dans la région de l’Oriental, que l’artiste a mené une enfance paisible, mais surtout bien animée et inspirante. Les beaux paysages lui inspirent des images et des dessins. Ainsi, son premier rapport esthétique était avec la nature, sa muse. D’ailleurs, c’est là où il avait développé une passion pour la peinture et le dessin.  

«À l’époque, les touristes étrangers venaient visiter la région, je les observais et je peignais leurs voitures. Au lycée, je me suis véritablement lancé dans le dessin en faisant la rencontre d’un ami artiste peintre, Slimani Seddik. Par la suite, j’ai mené une quête à la recherche de mon style en maîtrisant les bases du figuratif : la fantaisie, la femme berbère, les ruelles, la nature morte. En 2015, j’ai exploré d’autres champs artistiques en s’aventurant dans l’univers de l’abstrait, de la matière et de l’abstraction.», nous révèle Belkacem Lhou sur ses débuts.  

Comme artiste, le peintre a commencé par le figuratif afin de maîtriser les dimensions de la perspective, de la couleur, de la forme, de la peinture.

 «Dans mes débuts, j’étais fasciné par la nature, ses objets et  ses éléments. Je l’imitais, je m’évadais en libérant mon imaginaire créatif. Il faut dire que la création humaine a commencé ainsi ; notamment avec l’Homme préhistorique qui ornait les grottes de traces, de dessins et de gravures schématiques…», confie-t-il.

Belkacem Lhou s’est aventuré dans les océans de la création en poussant son navire lointain vers d’autres  territoires en se penchant sur des thèmes comme le cercle ou encore la chaise.

«Ma palette est le fruit d’un travail de recherche de longue haleine. En effet, j’ai travaillé sur la chaise qui était non seulement un simple objet, mais aussi et surtout un élément clé dans ma démarche artistique parce que le travail qui était derrière est majeur pour moi. En d’autres mots, derrière la chaise, il avait une recherche, un travail sur les éléments de mon enfance passée à Ras Laksar, à Guercif, entre autres, la palette de couleurs de la terre, du ciel qui sont omniprésents  dans ma mémoire et  dans mes œuvres.», a-t-il précisé.  

Après les thèmes du cercle et de la chaise, l’artiste a entamé une recherche profonde sur le mur: ses transformations, ses connotations et ses sens latents et patents. Incontestablement, la technique des niveaux de profondeur horizontale, des surcouches, de la destruction, de l’effacement, de la construction font la force de son œuvre. Tel un palimpseste… son dernier travail nous amène à l’enfance de l’artiste, aux murs, aux surfaces qui se renouvèlent et qui s’effacent en créant des textures au fil des années. Et c’est ainsi l’histoire est écrite!

«Dans mon œuvre, j’ai travaillé sur la texture du mur. Il s’agit  bel et bien d’une trace humaine qui était relative au mur. Par ailleurs, cette question du mur a un rapport d’abord avec ma mère parce que c’est elle qui renouvelait la peinture des murs de notre maison. Sans oublier bien entendu mon vécu en tant que fonctionnaire de la prison.», a-t-il fait savoir. Et d’ajouter: «cette question du mur m’a beaucoup interpellé, notamment le rapport  de l’homme avec le mur parce que l’un des spectacles les plus tragiques, c’est  la relation du détenu aux  quatre murs du béton. Toutefois, mon expérience en tant que fonctionnaire de la prison m’a ouvert les yeux sur la question du mur comme support de création. Dans la prison, les quatre murs du béton deviennent un support de création pour le détenu. J’espère que ces derniers soient transparents.», a-t-il indiqué.   

L’artiste a de l’art, de la manière, mais aussi de la matière pour exceller dans son style. Pour ce faire, il travaille sur des nivaux de couleur et de matière qu’ils effacent, déconstruisent avant de travailler par la suite un autre niveau pour arriver au final à l’image du mur porteur de traces humaines.

«Ce qui m’intéresse, c’est d’arriver à cette vulnérabilité du mur après avoir passé par les étapes incarnant l’impact humain. Je travaille sur les matières de mon enfance ; la terre  et  les couleurs de mon arrière-pays qui m’habite, et sont omniprésents dans mon œuvre. Il faut dire que ma façon de s’exprimer, c’est la matière.» a-t-il révélé.

L’artiste manie la matière en reproduisant le mouvement de la main de sa mère en blanchissant le mur. Les images de l’enfance lui reviennent à la mémoire. «Il faut que cette connexion spirituelle soit établie entre l’artiste et la toile.», a-t-il dit.

L’artiste a besoin d’une inspiration, d’un moment de transcendance, de réflexion profonde et ontologique pour créer. «J’attends toujours ces moments particuliers d’isolement du monde, entre vents et marées,  où je me sentais emporter par une vague qui me jette sur les rivages de la matière, des couleurs et des univers de la création.», a-t-il révélé.    

Il faut dire aussi qu’il y a cette condition humaine qui se reflète dans les œuvres de l’artiste. «Mon travail artistique est lié essentiellement à l’humain, à la justice, au droit. La preuve : l’expérience artistique du mur est une issue de secours, une échappatoire de mon quotidien, de mon vécu. Face à cette vague du non sens, nous avons besoin plus que jamais de  l’art et de la culture.», poursuit-il.

La ville de Salé a ouvert ses portes à l’artiste. C’est dans cette ville d’ailleurs où l’artiste a créé une grande partie de ses œuvres et travaux artistiques.

«Salé était un commencement pour de belles aventures. C’est à travers cette ville que j’ai découvert les mondes de la création, du beau, du pinceau et de la toile. Mes débuts de ma folie artistique étaient dans cette cité lumineuse.», conclut-il.

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