Fake News
Par Meriem Rkiouak -MAP
Dans un monde dominé par les médias de masse, les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle, l’information est devenue à bout de clic, gratuite et abondante. Submergés par ce flux ininterrompu de textos, images, audios et vidéos d’origines diverses, les internautes ne sont pas toujours en mesure de faire la distinction entre « info » et « intox ». La « guerre de la désinformation » bat son plein, surtout en temps de crise et d’incertitude.
C’était, justement, le cas au lendemain du séisme qui a frappé la région d’Al Haouz le 8 septembre dernier. Un déluge de contenus apocalyptiques a alors inondé l’espace virtuel: vidéo relatant un soit-disant effondrement d’immeubles à Casablanca et Rabat, images de vagues géantes déferlant sur la côte de Salé, annonces sur une supposée suspension des cours dans les différents établissements d’enseignement dans le cadre du deuil national décrété, ou encore sur de prétendues pluies torrentielles prévues dans les localités sinistrées…
Cette avalanche de rumeurs, fausses alertes et autres contrevérités, plus farfelues les unes que les autres, s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie instantanée, partagées massivement et souvent sans arrière-pensée par des internautes surexcités.
Pour faire passer la pilule, les producteurs de ces contenus, qui peuvent être Monsieur tout le monde comme ils peuvent faire partie de réseaux occultes servant un agenda pernicieux, s’ingénient à donner des allures de vérité à leurs balivernes: titres racoleurs, photos truquées, anciennes ou relatant des événements qui se passent ailleurs, propos tronqués, sources falsifiées, audios et vidéos montés de toutes pièces à l’aide de l’intelligence artificielle… Les imposteurs du monde digital ont plusieurs cordes à leur arc.
Mais c’est sans compter sur la vigilance des médias professionnels et des pouvoirs publics. Grâce aux reportages menés sur place, aux mises au point et aux services publics de Fact-checking mis à la disposition des citoyens (dont celui de l’Agence Maghreb Arabe Presse « SOS Fake news »), cette hémorragie de désinformation a été stoppée net et la vérité a été rétablie, preuves à l’appui.
Comme un air de déjà-vu… Il y a un peu plus de trois ans, une vague de désinformation comparable a déferlé sur le Maroc et le monde entier, concomitamment avec le déclenchement de la crise sanitaire liée au Covid-19. Parallèlement aux efforts consentis pour endiguer la propagation fulgurante de la pandémie, un combat sans relâche était mené contre « l’infodémie”, cette épidémie de désinformation pas moins dangereuse que le Coronavirus.
Selon l’ONU, « les contextes dans lesquels la désinformation peut survenir sont variés et complexes, comme le processus électoral, la santé publique, les conflits armés ou le changement climatique ». En clair, les Fake News prolifèrent principalement dans les moments de crise, se nourrissant du climat d’angoisse et d’incertitude ambiant.
« J’aime je partage »: la désinformation à bout de clic
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Le psychosociologue Mohssine Benzakour considère le recours excessif à la fonctionnalité « Partager » offerte par les réseaux sociaux et Whatsapp comme une technique inconsciente d’autodéfense face à un danger jugé imminent et insaisissable. « Devant des situations à haut risque, les personnes anxieuses croient se protéger en partageant les textes, audios et vidéos qui leur parviennent avec leur entourage, dont les membres de la famille, les amis, les voisins, etc., sans faire le tri entre info et intox », explique-t-il à la MAP.
Un autre profil-type de récepteurs/propagateurs de Fake news avancé par le spécialiste se rapporte à « ces surconsommateurs de réseaux sociaux qui partagent tout et n’importe quoi sur leurs pages dans leur course effrénée vers les vues et les likes ».
Comme une boule de neige, d’un écran à l’autre, ces contenus toxiques se propagent à une vitesse vertigineuse, induisant en erreur l’opinion publique et faussant le jugement, la décision et l’action des individus.
Marouane Harmach, expert en communication digitale, évoque un « facteur de viralité » établi par des études spécialisées qui fait que « les contenus faux, extraordinaires ou sensationnels se propagent dix fois plus rapidement que les informations authentiques et fiables ».
Si le mensonge et la manipulation sont pratiqués par l’Homme depuis la nuit des temps, à l’échelle des individus comme à l’échelle des services de renseignement et des organes de propagande des régimes totalitaires, il n’empêche que « leur vitesse d’amplification se trouve décuplée avec la facilité de partage offerte par les réseaux sociaux, dans le cadre de ce qu’on appelle une guerre informationnelle de quatrième génération », souligne M. Harmach dans un entretien accordé à la MAP.
Autrement dit, la révolution technologique a fait que « de nos jours, tout le monde est éditeur et tout le monde peut publier des informations, notamment sur les réseaux sociaux », comme le signale Richard Bowyer, maître de conférences en journalisme à l’université de Derby en Angleterre.
Le Fact-checking comme antidote à la désinformation
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Pareillement, tout le monde peut tomber victime de contenus fallacieux, sans distinction de milieu social ni de niveau d’instruction et de maîtrise de l’outil numérique, avertit Mohssine Benzakour. D’où l’importance, insiste-t-il, d’ »intégrer l’éducation aux nouveaux médias comme matière à part dans les cursus scolaires, dès l’âge de dix ans, pour apprendre aux petits à détecter les fausses informations et les aider à développer les bons réflexes face aux écrans ».
Cette recommandation rejoint celle contenue dans un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) intitulé « Inquiétante propagation des Fake News: de la désinformation à l’accès à une information avérée et disponible ».
Dans cet avis rendu public en février dernier, le CESE appelle à faire en sorte que les citoyens soient « sensibilisés et conscients de leur responsabilité en matière d’accès et de partage de l’information ». Pour y parvenir, il estime nécessaire de développer le sens critique depuis le plus jeune âge en prévoyant à l’école « une formation spécifique à la lecture des médias intégrée aux matières scolaires en mettant l’accent sur le raisonnement et la recherche des sources d’information ».
Outre l’école, Marouane Harmach estime que la lutte contre le fléau de la désinformation est une « responsabilité partagée entre l’Etat, les médias et les citoyens ».
« Il y a d’abord l’État qui doit mettre en place un arsenal juridique pour encadrer la diffusion de l’information tout en garantissant la liberté d’expression, et encourager le journalisme d’investigation et le Fact-checking qui reste malheureusement très faible. Les médias, pour leur part, sont appelés à rendre l’information agréable et facile à consommer par le public. Une grande responsabilité incombe enfin au citoyen qui devrait acquérir une culture numérique et prendre le temps de réfléchir à la véracité et l’intérêt d’une information avant de cliquer sur le bouton « Partager », plaide-t-il.
« Informer c’est gouverner », « savoir c’est pouvoir »… De nos jours, l’information est devenue le nerf d’une nouvelle génération de guerres, numérique et psychologique, par écrans interposés. Arme à double tranchant, elle est capable, quand elle est exacte, pertinente et actualisée, d’éclairer le jugement des gens et de guider leur comportement dans la bonne direction, comme elle peut désorienter l’opinion publique et menacer la paix sociale quand elle est erronée ou mensongère. Pour ne pas être un maillon dans la chaîne de transmission de l' »infodémie », réfléchissons mille fois avant de « Partager ». Un homme averti en vaut deux !