Le business des universités privées est-il en refonte?

Annoncée il y a quelques jours, la cession des parts de Laureate Education Inc. dans l’Université Internationale de Casablanca soulèverait quelques questions quant aux motifs de ce désengagement soudain du leader mondial des universités privées. Car l’entreprise américaine n’en est pas à ses premières cessions et attise par ce retrait les rumeurs de flop financier de son projet.

Créée en 2010, et première université privée pluridisciplinaire, l’Université Internationale de Casablanca fait office d’OVNI tant elle n’est pas le fruit d’un rachat, mais d’une création ex nihilo par le groupe américain présent dans des dizaines de pays à travers le monde. C’est pour cela qu’en se désengageant, Laureate laisse planer de gros doutes sur la rentabilité de ce projet, au vu des sommes consacrées à son développement. Toutefois, ce retrait n’est pas une première si l’on suit les évolutions du groupe américain dans le monde.

Une assise locale

Ainsi, la cession de l’UIC n’est en fait qu’un deuxième événement au sein des écoles et universités contrôlées par Laureate. En 2016 déjà, le géant américain de l’éducation avait cédé pas moins de 5 écoles détenues en France au fonds d’investissement APAX Partners. En outre, le même groupe avait cédé à la société Eurazeo (actionnaire dans le groupe Accor) ses deux écoles hôtelières en Suisse, les Roches et Glion, avec une valorisation à 350 millions d’euros dont 42% de dette. Simple opération de désengagement ou retrait stratégique, l’analyse que faisaient à l’époque certains connaisseurs du marché français indique une tendance. En effet, il était question d’un désengagement du géant américain de l’éducation de l’Europe afin de se délester de sa dette avant une probable entrée en Bourse.

Laureate Education devait, à ce propos, se recentrer sur du «pure player» en Amérique et en Asie. Une stratégie qui a du sens et fait écho à la cession de l’Université Internationale de Casablanca, d’autant plus que cette cession intervient à peine une année après l’entrée du fonds d’investissements britannique Actis dans le tour de table de l’Université Mundiapolis. Si les deux opérations vont dans deux sens opposés, il est toutefois raisonnable de songer à une révision des ambitions des groupes internationaux sur le marché marocain. «A l’évidence, le modèle de l’implantation en propre dont l’UIC portait l’exception a montré ses limites, si en réalité, elle n’a pas constitué un gouffre financier pour le groupe américain. En cédant ses activités, Laureate semble reconnaître tacitement l’échec de cette tentative et accrédite la nécessité pour les groupes internationaux de s’appuyer sur des acteurs locaux afin de mener des investissements viables».

En tombant dans le giron des KMR Holding Pédagogique (cf encadré), l’UIC s’offre-t-elle de nouvelles chances de réussite ? A priori, les succès engrangés par l’Université Privée de Marrakech peuvent constituer une bonne base de refondation pour cette université. La holding de Mohamed Kabbaj ayant une grande expérience de l’enseignement supérieur au Maroc et dans d’autres pays du continent, il est à parier l’UIC peut s’attendre à des retouches profondes. Toute la question reviendra donc aux effets de ce changement de propriétaire sur les cursus et surtout les prix des études. Car si l’UIC n’était pas réputé très abordable, il est fort à parier qu’une augmentation des frais de scolarités n’arrangera pas la situation sur le long terme.

Pourtant Laureate n’avait pas lésiné sur les moyens, au lancement de l’UIC en 2010. Au contraire cette expérience a bénéficié de tous les égards pour sa réussite, la création étant accompagnée d’investissements importants pour se faire une place dans le paysage marocain de l’enseignement.

Des moyens colossaux

En effet, dans une interview concédée à un confrère en juin 2011, l’ancien président de l’Université Internationale de Casablanca Antonio Maceda expliquait les efforts mis en œuvre. «Nous débutons dans toutes nos acquisitions par une étude de marché en analysant tous les besoins de point de vue quantitatif et qualitatif, mais aussi du point de vue des diplômes demandés ainsi que des forces et faiblesses de la concurrence» précisait-il à cette époque. Une étude de marché qui a conforté Laureate dans sa décision de s’implanter au Maroc. Car fait inédit à l’époque, l’Université Internationale de Casablanca était la première université rentrée dans le giron du groupe et qui ne procédait pas d’une acquisition. A cette époque, Laureate avait investi pas moins de 10 millions de dirhams dans la partie étude de marché, hors campagne de communication. Ces études consistaient d’abord en l’analyse démographique du pays, au test de validation du modèle Laureate auprès de la population cible et la mesure de la sensibilité aux prix pratiqués. Ce qui a conduit à déterminer le mix-marketing le plus adapté.

D’ailleurs, le projet de création d’une université au Maroc remonte en 2004, suite à deux visites effectuées par le président de Laureate au Maroc en 2004 et en 2005. Celui-ci tenait à ce que le groupe dispose d’une université au Maroc ; mais le projet a été retardé afin de permettre une mise à niveau réglementaire permettant un développement sain des universités et écoles privées dans le pays. Pire, l’attente au niveau du Ministère n’a pas été courte. Le gouvernement avait mis presque deux ans pour élaborer les conditions d’accréditation pour une institution d’enseignement supérieur. Visiblement, le vers était dans le fruit pour ce beau projet.

Soumayya Douieb

 

Qui est Laureate Education, Inc. ?

Laureate Education, Inc. est le premier réseau mondial d’universités privées. Il est présent dans quelque 25 pays et rassemble plus d’un million d’étudiants répartis dans 70 universités à travers les cinq continents. Créé en 1999, le capital de Laureate est détenu, en majorité, par des fonds d’investissements (City Bank, Kohlbers Kravitz Roberts, une caisse d’épargne du Canada et par Douglas Becker, son fondateur. A partir de 2003, le groupe se débarrasse de toutes ses autres activités et se consacre exclusivement sur l’enseignement supérieur. Le groupe procède essentiellement par rachat d’universités et écoles ayant fait leur preuve. En France, et jusqu’en 2016, Laureate était propriétaire de plusieurs écoles de commerce et d’ingénieurs : ESCE Paris (École Supérieure du Commerce Extérieur), EBS Paris (European Business School), ECE Paris (École Centrale d’Électronique), HEIP (Hautes Études Internationales et Politiques), IFG (Institut Français de Gestion).En 2016 donc, Laureate cède ses écoles françaises au fonds d’investissement APAX Partners. Au Maroc, Laureate Education, Inc. a plutôt procédé à la création d’une université, étant donné le manque d’universités et écoles privées répondant à leurs critères d’acquisition.

KMR Holding Pédagogique & Co.

Créée en 2014, KMR Holding Pédagogique est dans l’enseignement supérieur au Maroc et en Afrique de l’Ouest. Au Maroc, KMR Holding Pédagogique est propriétaire de l’Université Privée de Marrakech. Avec l’acquisition de l’Université Internationale de Casablanca, la holding revendique plus de 7.500 étudiants à travers ses universités et écoles de Marrakech, Casablanca et Dakar. KMR Holding Pédagogique offre un cursus varié, allant de la médecine à l’hôtellerie, en passant par les sciences de la santé, l’ingénierie, la gestion, l’art et la culture, le Sport et la formation continue. KMR Holding Pédagogique a été créée par Mohamed Kabbaj qui en assure la présidence. La holding a fait entrer DPI –Development Partners International-et Mediterrania Capital Partners dans son tour de table respectivement depuis 2014 et 2016. DPI, quant à lui, est un fonds d’investissement basé à Londres créé en 2007 et finançant des projets innovants à destination des classes moyennes africaines. Le fonds dispose de 1,1 milliard de dollars d’actifs sous gestion et investit entre 20 et 100 millions de dollars dans ses prises de participation. Mediterrania Capital Partners est enfin un fonds d’investissement régional créé en 2008. Il a été récemment rejoint par Saâd Bendidi (ex-ONA et ex-Saham Groupe) et vise des investissements de croissance dans les PME africaines. Fondé et dirigé par Albert Alsina, Mediterrania Capital Partners a investi quelque 100 millions de dirhams pour prendre des parts dans KMR Holding Pédagogique. Avec des bureaux à Alger, Barcelone, Le Caire, Casablanca, etc., MCP avait déjà accompagné Medtech dans ses opérations de croissance externe.
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