L’Afghanistan attend son nouveau gouvernement
Les talibans sont sur le point d’annoncer la formation de leur nouveau gouvernement, qui ne devrait pas inclure de femmes, une perspective contre laquelle des dizaines d’Afghanes ont protesté jeudi, illustrant les défis auxquels le pouvoir va être confronté.
Selon des sources talibanes, les nouveaux maîtres du pays pourraient annoncer la composition de leur gouvernement juste après la prière ce vendredi, quelques jours seulement après le départ lundi des dernières troupes américaines et la fin d’une guerre de 20 ans.
Les Afghans et le monde attendent impatiemment de connaître la composition de ce gouvernement, dont les talibans ont maintes fois promis qu’il serait « inclusif ».
Le chef adjoint de leur bureau politique au Qatar, Sher Mohammad Abbas Stanekzai, a renouvelé cette promesse mercredi dans une interview à la BBC. Mais il a aussi laissé entendre qu’il « pourrait ne pas y avoir » de femmes nommées ministres ou à des postes à responsabilité, mais uniquement à des échelons inférieurs.
Parias lors de leur premier passage au pouvoir entre 1996 et 2001, les talibans sont attendus au tournant par la communauté internationale qui garde en mémoire la brutalité de leur régime à l’époque.
Leur application stricte de la charia, la loi islamique, s’était notamment traduite par la disparition progressive des femmes de l’espace public et la persécution des opposants.
Une cinquantaine de femmes sont descendues jeudi dans les rues d’Hérat, capitale cosmopolite de l’Ouest afghan, pour revendiquer leur droit à travailler et réclamer la participation de femmes au nouvel exécutif, a constaté un journaliste à l’AFP.
« C’est notre droit d’avoir une éducation, du travail et la sécurité », ont chanté à l’unisson les manifestantes. « Nous n’avons pas peur, nous sommes unies. »
« Des pourparlers sont en cours pour former un gouvernement mais ils ne parlent pas de la participation des femmes », a regretté Basira Taheri, l’une des organisatrices de la manifestation, interrogée par l’AFP.
« Nous voulons que les talibans tiennent des consultations avec nous », a-t-elle ajouté. « Nous continuerons nos manifestations, elles ont commencé à Hérat, elles s’étendront bientôt à d’autres provinces. »
Ce genre d’expression publique de mécontentement est une nouveauté pour les talibans, qui réprimaient impitoyablement toute contestation lors de leur régime précédent.
Cela montre qu’ils vont devoir s’adapter à une société afghane devenue plus libérale et plus ouverte sur le monde extérieur ces 20 dernières années.
Parmi les 123.000 personnes, afghanes et étrangères, qui ont fui l’Afghanistan ces dernières semaines grâce à un pont aérien organisé par les Occidentaux, figurait la première femme journaliste afghane à avoir interviewé un responsable taliban en direct à la télévision.
Présentatrice sur la chaîne de télévision privée afghane Tolo News, Beheshta Arghand a fui au Qatar, craignant pour sa vie au moment où les islamistes prenaient le contrôle du pays.
« Je veux dire à la communauté internationale: s’il vous plaît, faites quelque chose pour les femmes afghanes », a-t-elle déclaré mercredi à l’AFP.
Les talibans se sont efforcés depuis plusieurs semaines de présenter un visage plus modéré et plus ouvert, assurant que le droit des femmes serait respecté.
Ils ont notamment annoncé qu’elles pourraient étudier à l’université, mais dans des classes non mixtes, et appelé récemment les travailleuses du secteur de la santé à reprendre le travail. Mais pour l’heure ces déclarations peinent à convaincre.
Ces dernières semaines, les talibans ont noué des contacts notamment avec des personnalités afghanes qui leur sont opposées, comme l’ex-président Hamid Karzaï, ou l’ancien vice-président Abdullah Abdullah. Mais rien n’a transpercé sur leurs intentions réelles à leur égard.
Selon Tolo News, le chef des talibans, le mollah Hibatullah Akhundzada, exercera l’autorité suprême au titre de guide religieux du pays. Mais la responsabilité de mener le gouvernement sera confiée à quelqu’un d’autre. Le co-fondateur du mouvement, Abdul Ghani Baradar, devrait occuper un poste important au sein de l’exécutif.
Ce gouvernement aura devant lui un lourd défi: celui de rebâtir une économie détruite par deux décennies de guerre et largement dépendante de l’aide internationale, qui a été en grande partie gelée depuis la prise du pouvoir par les talibans le 15 août.
Dans les rues de Kaboul, la première préoccupation est celle-là. « Avec l’arrivée des talibans, il est juste de dire qu’il y a la sécurité, mais les affaires sont en-dessous de zéro », a expliqué à l’AFP Karim Jan, un commerçant en électronique.
Les talibans vont devoir trouver d’urgence les fonds pour verser les salaires des fonctionnaires et maintenir en état de marche les infrastructures vitales (eau, électricité, communications).
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a mis en garde mardi contre « une catastrophe humanitaire » en Afghanistan et « la menace d’un effondrement total des services de base ».
Les talibans doivent aussi prouver qu’ils ont l’expertise pour diriger le pays, alors que des dizaines de milliers d’Afghans, souvent parmi les plus éduqués et qualifiés, ont fui l’Afghanistan depuis leur arrivée au pouvoir.
L’une de leurs priorité sera de remettre en état l’aéroport de Kaboul, d’une importance cruciale pour faire transiter le soutien médical et humanitaire dont le pays a besoin.
Un avion qatari transportant une équipe technique s’est posé mercredi sur le tarmac de cet aéroport. Une source proche du dossier a indiqué à l’AFP que le Qatar avait envoyé cette équipe pour discuter de « la reprise des opérations de l’aéroport », les talibans ayant fait une requête d' »assistance technique ».
Aux États-Unis, où le président Joe Biden est critiqué pour sa gestion de la crise afghane, les plus hauts responsables du Pentagone se sont engagés mercredi à « tirer les leçons » de la guerre, reconnaissant ressentir « douleur et colère » après avoir remis le pays aux mains des talibans, leurs ennemis de 20 ans.