«Donner à voir la mode par le prisme de la nature et revoir la nature par le prisme de l’art et de la science !»

Entretien avec Alexis Sornin, directeur du Musée Yves Saint Laurent Marrakech 

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Les deux expositions inédites et lumineuses «Cactus», présentées sous le co-commissariat de Marc Jeanson, botaniste au Musée national d’Histoire naturelle à Paris, et Laurent le Bon, Président du Centre Pompidou à Paris, et «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent», le commissariat a été assuré par Gaël Mamine et d’Olivier Saillard, ont été ouvertes, samedi dernier, au Musée Yves Saint Laurent Marrakech (mYSLm).

Un véritable voyage dans le temps et dans l’espace. Les deux expositions, en présentant une collection d’œuvres colorées et originales, invitent les différents publics à une promenade savoureuse dans les univers de la mode, de l’art et de la science. Pour en parler, Al Bayane a rencontré Alexis Sornin, directeur des Musées Yves Saint Laurent et Pierre Bergé des arts berbères. Entretien.

Al Bayane : «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» et «Cactus», deux magnifiques expositions qui illuminent le Musée Yves Saint Laurent Marrakech (mYSLm) en présentant une collection d’œuvres inédites, colorées et originales. A quel point les deux expositions reflètent l’esprit esthétique et la philosophie artistique de Yves Saint Laurent?

Alexis Sornin : Pour la première fois depuis l’ouverture du musée, en octobre 2017, nous proposons une exposition qui fait venir le Jardin Majorelle dans le  musée Yves Saint Laurent pour plusieurs raisons. En effet, la première était d’instaurer un dialogue entre les différentes parties de l’institution connue sous le nom de Jardin Majorelle, ouvert depuis 47, mais aussi les deux musées : le Musée Pierre Bergé des arts berbères ouvert depuis 2011 et le musée Yves Saint Laurent à Marrakech ouvert depuis 2017. Cette intention de réunir les parties géographiquement proches, mais thématiquement éloignées ; c’est ce que propose de faire cette double proposition d’expositions et de publications parce qu’il y a deux catalogues qui accompagnent ses deux expositions. Donc, c’est cette première intention de réunir jardin et musée, de faire en sorte pour les collections vivantes du Jardin Majorelle. C’est un peu ce complément de deux compétences «histoire des sciences et histoire de l’art » qui lient ce double commissariat. C’est aussi un dialogue entre les deux expositions : «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» ; il s’agit bien sûr de la nature, des liens que Yves Saint Laurent entretenait avec le Jardin Majorelle depuis 1966 au Maroc et à Marrakech en particulier, et continuait le travail de Jacques Majorelle en laissant le Jardin Majorelle ouvert au public quand il a racheté à la mort de la veuve de Jacques Majorelle,  en 1980.  Le but, c’était de continuer à faire de ce jardin un lieu public connu au Maroc et au-delà en y ajoutant des couches de couleurs sous la forme de peau en terre cuite, colorée par une décision de Yves Saint Laurent, grand coloriste de la mode. C’est aussi une forme de continuité de l’intérêt de Yves Saint Laurent pour le jardin, pour les fleurs en particulier. Il faut dire que son univers de travail est très fleuri.

Les deux expositions ouvertes au public depuis samedi 2 mars invitent à rêver, à apprécier la beauté et à interroger le monde par le prisme de l’art et de la mode. Parlez-nous de ce double projet à Marrakech et à Paris ?

C’est un double projet dans le sens où cette exposition «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» s’est ouverte au public,  samedi  2 mars, à Marrakech, mais elle s’ouvrira dans un deuxième chapitre à Paris au mois d’octobre 2024 pour se prolonger jusqu’au printemps 2025. C’est un double projet Cactus et double projet «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» entre Paris et Marrakech, entre le musée Yves Saint Laurent de Marrakech et le musée Yves Saint Laurent de Paris avec un seul commissariat pour l’exposition fleurs avec les mêmes scénographies, le même graphisme, trilingues au Maroc (français, arabe, anglais) et bilingue à Paris (Français, anglais). C’est un peu cette double proposition Jardin-Musée, mais aussi Musée-Musée (Paris, Marrakech).

Il y a un fil poétique qui accompagne les deux expositions. En effet, l’exposition «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» a été conçue comme des livres ouverts dont les  poèmes d’ Omar Khayyam, Rainer Maria Rilke ou encore Paul Éluard poétisent l’espace. Pourquoi un tel choix?

Je pense que c’est un choix respectueux de la part de deux duos de commissaires des deux expositions qui connaissaient la bibliophilie de Pierre Bergé et l’intérêt de Yves Saint Laurent vis-à -vis de la littérature. Il va sans dire que les poèmes choisis pour l’exposition «Les Fleurs d’Yves Saint Laurent» reflètent l’intérêt qu’avaient Pierre Bergé et Yves Saint Laurent pour la littérature et la poésie en particulier. Il est peut être question de la forme de la poésie dans les Fleurs et Cactus, mais aussi du passage du temps. C’est peut être une des forces de la poésie ; c’est d’évoquer le temps, le temps passé ou le temps présent par le biais de mots, d’assonance de syllabes… C’est peut être ça que soulignent les deux expositions.

Peut-on dire aussi que cette question du temps est liée à l’univers de la mode, son évolution et ses changements ?

Il est question du temps, du passage du temps parce que les fleurs naissent pour mourir, les robes ont un cercle court de vie, mais parfois renaissent par le biais de l’exposition, par le regard du commissaire, 10 ans, 20 ans ou 30 ans plus tard.

Par ailleurs, les plus anciennes robes présentées ici sont des robes de 1962, début de la carrière de  Yves Saint Laurent jusqu’au en 2002. De même, une des premières choses qu’on voit dans l’exposition «Cactus», c’est un squelette de cactus qui accuse le passage des cochenilles au Maroc et qui laissent derrière elles un paysagé dévasté sous la forme d’un os qu’un cactus vert. C’est aussi ça dont il est question du passage du temps, d’une certaine mélancolie.

Laurent le Bon, Président du Centre Pompidou à Paris et co-commissaire  de l’exposition « Cactus »,  a évoqué lors de la visite guidée qu’il y a une espèce de « beauté dans la mort ». En parlant de la  résilience et de la beauté, peut-on dire que cette métaphore incarne ce que vivent actuellement l’humain  et le monde ?

Je pense qu’ils avaient raison parce que les deux expositions invitent à la réflexion. En aucun cas, il s’agit tout simplement d’une invitation à réfléchir sur le monde éphémère de la mode saisonnière, mais aussi le temps le plus long ;  celui de la nature, du temps à Marrakech. C’est peut être une des leçons de l’exposition, c’est de donner à voir la mode par le prisme de la nature, mais aussi revoir la nature par le prisme de l’art et de la science dans le cas de l’exposition «Cactus».

L’exposition «Cactus» est aussi une réflexion sur les changements climatiques et les enjeux auxquels fait face la planète aujourd’hui.  À votre avis, comment les commissaires ont convoqué le Cosmos sans l’exposition ?  

Je pense que les commissaires ont convoqué le monde dans l’exposition «Cactus». Il est beaucoup question d’Amérique, d’Amérique centrale, du Mexique, du Canada, mais aussi du Maroc. Il est aussi question d’une jeune génération qui entretient son milieu naturel. C’est un sujet qui suscite la réflexion et l’interrogation pour réapproprier la nature.

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