En pièces, en billets et en bits…

«Quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion» disait Voltaire. Est-ce que c’est le cas quand il s’agit de la cryptomonnaie, argent virtuel libre de tout fondamental ?Le choix n’est pas aussi simple que l’abandon d’un téléphone fixe, noir et en bakélite, et l’acquisition d’un smartphone pour être dans l’air du temps ! Quelle option pourrait-on imaginer entre d’un côté, une monnaie emblème de la souveraineté nationale, outil économique destiné à faciliter les échanges dans l’économie nationale et dont la maitrise et la création reflètent aussi bien l’état général de la société que les rapports de forces qui la traversent; et de l’autre, une cryptomonnaie, monnaie virtuelle sans relation aucune avec aucune activité, privée et spéculative, créée et gérée par un logiciel dédié, moyen de paiement et devise dont la fluctuation est en relation surtout avec sa médiatisation?

Ce sujet a constitué l’objet d’une discussion tenace entre un père et son fils. Entre un jeune «post Marche verte», encore sur son chemin de croix, rebelle et ouvert à toutes les initiatives «pour démocratiser le vivre ensemble sur la base des valeurs universelles et des nouvelles avancées technologiques» et un représentant de la génération des «majeurs et vaccinés, ante Indépendance», imprégné des conditions nécessaires à l’affirmation de l’Etat national, démocratique et moderne. Les deux avis se contredisaient et aucun ne voulait concéder à l’autre la justesse de son approche.

Sauf que ; entre une innovation rampante et un conservatisme figé, la question de la monnaie virtuelle s’impose pratiquement de plus en plus. Bank Al Maghrib, tout en restant dans l’interdiction de l’utilisation de la cryptomonnaie, vient d’instituer un comité de réflexion sur« les Monnaies Digitales de Banque Centrale».

Dans cette dernière appellation, il faudrait remarquer que l’Etat n’apparait aucunement. Car si le capital de Bank Al Maghrib est entièrement détenu par l’Etat, c’est la banque centrale qui a «le privilège d’émission des billets de banque et des pièces de monnaie ayant cours légal sur le territoire du Royaume »; et c’est BAM qui contrôle la politique monétaire et le marché de la monnaie dans notre beau pays.

Le statut de Bank Al Maghrib a ainsi évolué entre l’affaiblissement de l’Etat par la mondialisation et le néolibéralisme, l’affirmation de sa présence et de son action par la crise sanitaire de la covid19 (et auparavant par les nombreuses crises financières du capitalisme) et le rôle d’équilibriste dans une économie en voie d’émergence. Pour faire très court, Bank Al Maghrib est autonome, a les cordons de la bourse et de ce fait gouverne, loin des méandres du processus démocratique et au-dessus des joutes de la démocratie représentative.

C’est la banque centrale qui frappe la monnaie ; notamment cette petite monnaie divisionnaire, en métal, dont l’utilisation tend à disparaitre faute de la disponibilité, auprès des caisses des grandes et moyennes surfaces, de ces centimes de dirhams que la sommation des prix des produits achetés, du pourcentage de la TVA et du timbre dû fait ressortir. La monnaie fiduciaire est appréciée par ses billets dont la couleur est un code réel, surtout là où l’argent est manipulé par des personnes n’étant pas en odeur de sainteté. Espérons que 2021, année électorale, ne sera pas l’année du billet bleu roi comme le fût le billet marron cannelle dans les années antérieures. La monnaie scripturale n’est qu’écritures, d’où son intérêt pour les banques.

La tendance est de ni voir ni de toucher la monnaie générée et gérée par l’écriture. Rien ne se crée, rien ne se perd et tout se dépense au bonheur de la banque. Comme tout se monétise et se monétarise, les espèces sonnantes et trébuchantes sont menacées de disparition. Tout est entrepris pour que l’argent devienne de plus en plus virtuel pour ceux qui travaillent afin d’en avoir. Ainsi, la bancarisation touche presque quatre marocains sur cinq et l’activité monétique, GAB, TPE, E-commerce …,avance sur le cash. Ne reste que la cryptomonnaie, interdite mais présente dans les tribunaux de justice par les affaires qu’elle suscite déjà.

Pour assurer, au maximum, que l’argent ne soit ni vu ni touché, bien que crédité et dépensé, la technologie de la blockchain est mise en œuvre. Par son usage, le stockage, le transfert de l’information sont sécurisés et le partage peut s’effectuer entre les utilisateurs sans contrôle central. Blockchain et monnaie numérique ont été développées conjointement en 2008 par «Satoshi Nakamoto». Par cela, la tentation est facile pour commercer avec le bitcoin dont l’envolée actuelle exerce une attraction supplémentaire sur les pratiquants de ce trading. Dans notre beau pays, l’interdiction, toujours en vigueur,est contournée par ces personnes «connectées» au sens propre et au sens figuré du terme.

Alors, de là à penser à la création d’une «monnaie locale» qui s’inscrit dans un projet fonctionnant en réseau, il n’y a que quelques clics de souris pour se faire. Cela peut s’inscrire, par exemple, dans le cadre d’un projet de permaculture soutenu par un réseau de consommateurs bio; ou, malgré la machine répressive et contraignante, cela peut donner d’autres idées plus spéculatives….

Du troc à l’utilisation de coquillages, du métal avec des pièces sonnantes et trébuchantes au papier fiduciaire, l’argent dont la monnaie constitue l’expression, instrument de pouvoir, de puissance et facteur de réussite sociale est dorénavant en bits.Ici et ailleurs, l’Etat a déjà cédé sa prérogative de frapper la monnaie à la banque centrale ;en ce qui nous concerne, toute la question réside dans la sauvegarde de ce monopole ou dans un compromis avec un dirham virtuel ?

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