«La résistance peut passer par le cinéma»

C’est à la cafétéria d’une petite salle de cinéma, le 4ème art, de l’avenue de Paris à Tunis que je rencontre le comédien et metteur en scène palestinien Mohamad Bakri.

Installé à une table, tranquillement et sereinement avec sa femme, Layla, attendant le début de la projection de son film, Depuis que tu n’es plus là, un documentaire de 2006 présenté dans le cadre des Journées cinématographiques de Carthage. D’un abord facile et sympathique, on engage très vite une discussion à bâtons rompus sur sa riche et tumultueuse carrière marquée notamment par les dures conditions de travail à l’intérieur d’Israël.

«La famille de Bakri est restée dans la partie occupée par les Israéliens en 1948; c’est un palestinien de l’intérieur comme disent les médias», nous précise sa femme; «une situation difficile qui nous impose par exemple de voyager avec un passeport israélien…mais nous avons préféré payer ce coût à la vie en exil».

Apprenant que je suis Marocain, Bakri me dit tout le bien qu’il pense de notre pays : «Je viens d’ailleurs d’y tourner une série française… Mon fils Salah a appris le parler marocain pour les besoins du tournage du film La source des femmes».

Depuis que tu n’es plus là est un documentaire original. En fait il se laisse voir comme un récit à la première personne : on y voit le comédien s’y livrer en toute intimité. C’est un film dédié à Emile Habibi, le grand écrivain palestinien qui a toujours refusé de s’en aller ou de quitter la ville qui l’a vu naître et puis mourir, Haïfa. «Emile Habibi est mon mentor; j’ai eu la chance et le bonheur de le côtoyer, d’apprendre de lui et de travailler avec lui; j’ai adapté notamment son célèbre récit L’optissimiste dans un monodrame qui a eu un succès international inouï y compris en Israël où je l’ai montré en hébreux dans plus de 700 représentations. Emile m’a toujours appris que la résistance peut se faire par l’écriture, par l’art. En faisant ce film, après son départ, j’ai voulu lui adresser un message posthume, une sorte de confession publique pour lui dire tout ce que j’ai subi comme tracasseries et exactions en restant fidèle à son apprentissage.» Dans une très belle scène d’ouverture, on voit en effet Bakri revenir sur la tombe du grand écrivain communiste, désormais lieu de mémoire et de fidélité. Le récit démarre ainsi avec des séquences qui alternent l’intime, avec les membres de la famille et le dramatique, sinon le tragique. Bakri va en effet subir une terrible épreuve judiciaire, administrative et humaine suite à son documentaire époustouflant Jénine…Jénine où il avait donné la parole aux rescapés du terrible massacre mené par l’armée de l’occupation dans le camp de Jénine. Bakri était un artiste connu et admiré de la scène israélienne ;  on voit dans le film combien est grand son talent (dans des extraits de spectacles) mais aussi combien est grande sa popularité puisque les gens l’interpellent et lui demandent de ne pas faire de la politique. Mais la politique va finir par le rattraper doublement; il va lui-même s’engager avec son film sur Jénine, film attaqué par l’institution militaire et pratiquement censuré; l’autre événement est l’implication de ses neveux dans un attentat suicide. Cela va le marquer définitivement. Le film que nous avons vu et aimé restitue admirablement cette phase très dure dont il est sorti plus aguerri que jamais et son film se laisse lire comme un message d’espoir : «je ne regrette rien et je continue à espérer et croire, car pour moi l’homme n’est pas mauvais ; le cinéma pour moi est un acte de résistance». Pour ce faire, il dit à sa dette à l’égard de ceux qui l’ont soutenu, sa femme d’abord, ses amis, l’avocat israélien qui l’a défendu bénévolement, «et puis me dit-il, il y a mon expérience et ma formation et là je suis reconnaissant à mes maîtres à l’école dont notamment, Ahmed Darwich (le frère de Mahmoud) qui m’a non seulement appris mais m’a fait aimer ma langue, l’arabe, et en aimant ma langue j’ai pu m’ouvrir sur d’autres langues, -dont l’hébreu-, qui sont devenues aussi mes langues».

Mohammed Bakrim

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