Le bilan gouvernemental: en déphasage des réalités du pays!

Par Abdeslam Seddiki

Le gouvernement, ou du moins son Chef, vient de présenter son bilan relatif à la troisième année de sa mandature (avril 2019-mars 2O2O) après avoir présenté les bilans des deux années précédentes depuis son investiture en avril 2017.

En parcourant les 188 pages qui composent le document dans sa version arabe, on sort avec un sentiment de déception. Bien que le document ait été sous-titré «document de synthèse», il n’a de synthèse que le nom puisque y sont présentées, pêle-mêle, en fonction des départements ministériels, les mesures et actions réalisées ou en voie de l’être, en annonçant ce qui est prévu au cours de la quatrième année (avril 2020-mars 2021), sans aucun discernement entre le principal et l’accessoire, entre le souhaitable et  le réalisable, entre l’intention et la réalité.

Le plan de présentation a respecté l’ordre dans lequel fut élaboré le «programme gouvernemental» à savoir les cinq axes qui sont : Soutien à l’option démocratique et aux principes de l’état de droit et la consécration de la régionalisation avancée ; Renforcement des valeurs d’intégrité, réforme de l’administration et ancrage de la bonne gouvernance;

Développement du modèle économique, promotion de l’emploi et développement durable;  Renforcement du développement humain et de la cohésion sociale et spatiale; Renforcement du rayonnement national du Maroc et promotion de ses causes justes à travers le monde.

Une première remarque s’impose déjà à ce niveau : s’il est pertinent sur le plan méthodologique d’évaluer les réalisations par rapport aux prévisions du programme gouvernemental, force est de relever cependant  que ce dernier (programme) ne comporte pas de mesures chiffrées  à l’exception de rares chiffres d’ordre macro-économique, lesquels ont perdu toute signification sous l’effet de la crise sanitaire et économique. Tout au mieux, y sont annoncées des mesures sous forme de déclarations d’intention: sans chiffrage, sans calendrier et sans évaluation de coût.

Par conséquent,  tout exercice de comparaison entre le réalisé et le prévu relève de l’arbitraire et d’une pure création de  l’esprit. Dès lors, on ne comprend pas sur quelles bases le Chef du Gouvernement,  s’est permis d’annoncer que 56% des mesures prévues  par le Programme gouvernemental sont déjà entièrement  réalisées, que  33% sont en cours de réalisation, 4% sont en phase de lancement et 7% sont bloquées ou non encore lancées.

On aurait aimé, cependant, par respect des «valeurs d’intégrité» qui sont inscrites dans le programme gouvernemental que l’on sache les raisons qui expliquent le blocage de 7% des mesures prévues et l’abandon de 10% d’autres, soit au total près d’un cinquième du contenu du programme gouvernemental qui s’est évaporé sans avoir la moindre explication. Dans une démocratie qui se respecte, ce chamboulement dans le programme aurait mérité, à lui seul, la présentation devant le parlement d’une déclaration gouvernementale pour s’en expliquer et obtenir de nouveau la confiance de la représentation nationale. Mais on n’en est pas encore là tant que la gouvernance dont on se targue  se réduit à  un simple slogan lancé pour la circonstance.

Voyons à présent quelques «échantillons» de ce qui est retenu comme «réalisations et grandes réformes» par le gouvernement. Franchement, il n’y a pas de quoi pavoiser. Ainsi, au niveau du renforcement des valeurs d’intégrité et de la lutte contre la corruption, la grande réalisation du gouvernement consiste dans «la poursuite de l’exécution de la stratégie nationale de la lutte contre la corruption» (p.28).  De quoi rassurer les corrompus  dans la mesure où tout le monde sait que ladite stratégie est un échec. Son élaboration a coûté plus qu’elle ne rapporte.

Au chapitre, «consolider la convergence et l’efficacité des politiques publiques», il est mentionné comme grandes réalisations «la tenue de la deuxième réunion interministérielle pour faire le suivi de l’exécution du programme gouvernemental…, la préparation d’une stratégie nationale intégrée de la protection sociale, l’organisation des troisièmes assises fiscales» (pp31-32).

Pour soutenir le secteur du commerce, le gouvernement œuvre «pour la préparation d’une stratégie nationale de développement du commerce» (p.50). C’est avec la même légèreté qu’il aborde d’autres secteurs aussi importants que la PME, l’artisanat  l’économie sociale ou le tourisme. Pour promouvoir les PME, on compte sur le nombre de déplacements, de foires internationales, conférences et réunions auxquelles on a assisté ! (p.51).

Pour développer l’artisanat, on se prépare «à donner le lancement de l’étude consacrée à la mise en place d’une stratégie de développement de l’artisanat 2021-2030» (p.58). Les artisans doivent prendre leur mal en patience!! Pour le tourisme qui est entrain d’agoniser, deux lois ont été adoptées au cours de cet exercice : l’une portant sur les agences de voyages et l’autre sur le statut du  guide touristique…

A longueur du texte, que d’anomalies relevées, que de platitudes annoncées dans le mépris de notre intelligence collective en tant que citoyens. D’ailleurs, le gouvernement savait au fond qu’il a peu de choses à présenter comme bilan comme il l’a reconnu implicitement  en résumant ses principales réalisations de la 3ème année comme suit : «Poursuite et accélération des chantiers de réformes en cours;

Renforcement de la compétitivité de l’économie nationale et soutien aux entreprises (réforme des Centres Régionaux d‘Investissement, amélioration du climat des affaires,…); Accélération qualitative des secteurs sociaux tels que la santé, l’éducation et la protection sociale (généralisation du préscolaire, activation de la couverture sanitaire des indépendants, accélération du programme de réduction des inégalités spatiales,…);

Accélération des chantiers de réformes relatifs à la gouvernance et à la réforme de l’administration (activation de la charte de la déconcentration administrative, ateliers de digitalisation,…)». De la pure littérature en somme !

La question qui se pose en définitive est la suivante : le gouvernement a-t-il suffisamment de courage politique  pour venir devant le Roi et le peuple et reconnaitre son incapacité à gérer les affaires du pays et  apporter des solutions aux multiples défis qu’il affronte dans une conjoncture de crise généralisée? Seuls de grands dirigeants et des hommes d’Etat d’envergure seraient en mesure de le faire. C’est loin d’être le cas chez nous où la devise «j’y suis, j’y reste»  fait encore partie d’un  certain archaïsme de gouverner.

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