Le «Chinatown» marocain

sont peut-être des voisins de palier pour certains, des co-passagers pour d’autres ou encore des rivaux commerciaux… Pourtant leurs vies et histoires, leur présence au Maroc restent encore un mystère et une énigme pour qui les croise. Leurs regards, parfois indifférents et  leur silence font naître des interrogations. Qui sont-ils au juste?
Il est 11h ce vendredi à Casablanca, plus précisément à Derb Omar. Comme d’habitude, ce quartier historique foisonne de monde. Vendeurs et clients s’engagent dans des négociations. Les porteurs montent et descendent. La circulation se densifie. L’espace se réduit et transforme le quartier commercial en un cul de sac. Des ouvriers chargent ou déchargent des camions à un rythme accéléré : l’heure de la prière approche à grands pas. L’activité commerciale bat son plein. Dans ce brouhaha de termitière, on aperçoit vers la rue Abdelkrim Khatabi, une lignée de magasins chinois ouverts et où s’arrêtent des clients.
Dans l’un de ces magasins spécialisé dans la vente de vêtements pour enfants, une Chinoise tient les rênes du commerce. Ne prêtant pas assez attention à notre demande sur les prix des écharpes, elle est plongée dans son ordinateur avec à ses côtés un carnet de comptabilité. Dans un français peu compréhensible, elle réplique «20 dirhams». Un prix plus alléchant qu’une autre marchande qui vend le même article pas très loin à 35 dirhams. Comme tous les autres magasins chinois des environs, cette dame travaille avec des Marocains qui manifestent visiblement un plaisir à travailler aux côtés de ces étrangers.
La présence des Chinois à Derb Omar est devenue un fait naturel. Plusieurs habitent des immeubles situés à proximité. Dans un grand et vieux bâtiment de couleur blanche, appelé Kissariat Casa 2, plusieurs habitants déclarent rencontrer des Chinois dans le palier et avouent que leur nombre s’est accru ces dernières années. Au 3e étage, un appartement porte sur le linteau un drapeau rouge avec des mots en mandarin. C’est un entrepôt de chinois, dont la porte est toujours fermée, comme le confient des voisins de l’appartement.
Le nombre de magasins chinois s’est accru ces dernières années. A l’heure de la prière, tandis que les magasins marocains rabattent leurs portes, les boutiques chinoises restent ouvertes. Autour d’un déjeuner constitué de soupe, ces derniers discutent. C’est l’heure propice où tout passant s’essaye à décoder quelques mots de la langue chinoise.
Les chinois vivent et travaillent toujours en communauté. Si quelques uns de leurs magasins se mélangent aux boutiques de Marocains, la plupart sont séparés et se retrouvent alignés sur la rue Abdelkrim Khatabi.
Tout de même, comme l’affirment de nombreux habitants de Derb Omar, les Chinois s’adaptent à leur environnement et maitrisent parfaitement l’arabe dialectal. Malgré cette adaptation fortement reconnue et appréciée des clients et d’autres commerçants du coin, les commerçants chinois demeurent pour la plupart des Marocains de vrais concurrents qui nuisent à leur commerce. Et pour cause, ils vendent à des prix très bas si bien que la plupart des clients préfèrent y trouver leurs comptes. Hakim, vendeur de sacs de la place, à la seule question que nous lui posons «combien coûte ce sac ?», répond brusquement «65 dirhams, mais soyez sûrs que ce n’est pas un produit de chinois.» «Les produits vendus par les Chinois sont de mauvaise qualité », ajoute-t-il.
Une vraie lutte entre commerçants marocains et chinois se livre tacitement à Derb Omar. Mais, au-delà de son simple aspect économique et commercial, le vieux quartier s’est transformé en un vrai kaléidoscope de cultures où on aperçoit également quelques subsahariens qui marchandent des tissus et pagnes  aux couleurs éclatantes.

Top